Trevize plissa les paupières. « Une quête remarquable, dites-vous…
— Assurément, oui. Une perle de grand prix est dissimulée parmi les dizaines de millions de mondes habités qui peuplent la Galaxie et nous n’avons que l’ombre des plus vagues indices pour nous guider. La récompense n’en sera que plus grande si nous parvenons à la découvrir. Si vous et moi pouvons y arriver, mon garçon – Trevize, devrais-je dire : je m’en voudrais de paraître paternaliste –, nos deux noms résonneront dans l’histoire jusqu’à la fin des temps.
— Cette récompense dont vous parlez… cette perle de grand prix…
— Je parle comme Arkady Darell – vous savez, la romancière – lorsqu’elle évoque la Seconde Fondation, n’est-ce pas ? Pas étonnant que vous ayez l’air surpris. »
Pelorat rejeta la tête en arrière comme s’il allait éclater de rire mais il se contenta de sourire : « Non. Rien d’aussi stupide et futile, soyez rassuré.
— Alors, si vous ne parlez pas de la Seconde Fondation, de quoi parlez-vous donc ? »
Pelorat retrouva soudain un ton grave, presque d’excuse : « Ah ! le Maire ne vous a donc rien dit ? C’est curieux, vous savez. J’ai passé des décennies à reprocher au gouvernement son incapacité à saisir l’importance de mes recherches et voilà maintenant que le Maire Branno se montre soudain d’une générosité remarquable.
— Oui », dit Trevize, sans chercher à cacher son ironie, « c’est une femme qui sait remarquablement bien dissimuler ses dons philanthropiques mais elle ne m’a pas dit de quoi il retournait…
— Vous n’êtes donc pas au courant de mes recherches ?
— Hélas non. J’en suis désolé.
— Non, non, inutile de vous excuser : c’est parfaitement compréhensible. On ne peut pas dire qu’elles ont eu un grand retentissement. Alors, permettez-moi de vous l’annoncer moi-même : vous et moi, nous allons partir à la recherche – et à la découverte, j’en suis certain, car j’ai mon idée là-dessus – … de la Terre. »
10.
Trevize dormit mal cette nuit-là. Sans cesse, il se jetait contre les murs de la prison que cette femme avait bâtie autour de lui. Sans pouvoir trouver une issue.
On le contraignait à l’exil et il ne pouvait rien y faire. Elle s’était montrée d’un calme inflexible et n’avait même pas pris la peine de dissimuler l’inconstitutionnalité de la procédure employée. Il avait cru pouvoir faire valoir ses droits de conseiller ou simplement de citoyen de la Fédération, mais elle n’avait pas même fait mine de s’en préoccuper.
Et maintenant, voilà que ce Pelorat, ce savant bizarre qui donnait l’impression de ne pas être tout à fait là, venait lui raconter que cette redoutable vieille bonne femme avait arrangé tout cela depuis déjà plusieurs semaines.
Il se sentait effectivement dans la peau du « pauvre garçon » qu’elle avait évoqué.
Il allait donc devoir s’exiler en compagnie de cet historien qui lui donnait du « cher ami » long comme le bras et semblait manifestement (quoique silencieusement) déborder de joie à l’idée de se lancer dans une quête galactique à la recherche de… la Terre ?
Mais au nom de la grand-mère du Mulet, qu’est-ce que c’était donc que cette Terre ?
Il l’avait demandé. Bien entendu ! Il l’avait demandé sitôt que le terme avait été mentionné.
Il avait dit : « Excusez-moi, professeur. Je suis ignare dans votre domaine et j’espère que vous ne m’en voudrez pas si je vous demande une explication en termes simples : qu’est-ce que la Terre ? »
Pelorat l’avait alors contemplé gravement durant vingt longues secondes avant de lui dire : « C’est une planète. La planète des origines. Celle sur laquelle sont apparus les premiers êtres humains, mon cher ami. »
Trevize resta bouche bée : « Apparus ? Et d’où ?
— De nulle part. La Terre est la planète sur laquelle l’humanité s’est développée par un processus d’évolution naturelle à partir d’espèces inférieures. »
Trevize réfléchit à la chose puis hocha la tête. « Je ne vois pas ce que vous voulez dire. »
L’ombre d’une expression ennuyée effleura les traits de Pelorat. Il se racla la gorge et poursuivit : « Il fut un temps où Terminus n’avait à sa surface pas le moindre être humain. Notre planète a été colonisée par des hommes venus d’autres mondes. Vous savez quand même ça, je suppose ?
— Oui, bien entendu », dit Trevize avec impatience. Ce soudain assaut de pédagogie l’irritait.
« Fort bien. Mais ceci est également vrai de tous les autres mondes : Anacréon, Santanni, Kalgan… Toutes ces planètes ont, à un moment ou à un autre de l’histoire, été colonisées. Leurs habitants sont venus d’autres mondes. Et c’est vrai même de Trantor. Ce fut peut-être une vaste métropole pendant vingt mille ans mais elle n’était pas comme ça au début.
— Ah bon ? Et comment était-elle, avant ?
— Déserte ! Pour ce qui est des êtres humains, en tout cas.
— C’est plutôt dur à avaler.
— Mais c’est pourtant vrai. Les documents anciens le prouvent.
— D’où venaient alors ceux qui ont colonisé Trantor en premier ?
— Nul ne le sait avec certitude. Il y a des centaines de planètes à prétendre avoir été déjà peuplées dans les brumes lointaines de l’antiquité et dont les habitants colportent des contes fantaisistes sur le débarquement initial de l’humanité. Les historiens tendent toutefois à ignorer ces récits pour se consacrer à ce qu’ils appellent la “ Question des Origines ”.
— Allons bon, qu’est-ce encore ? Première fois que j’en entends parler.
— Cela ne me surprend pas. Ce problème historique n’est plus guère populaire de nos jours, je l’admets, mais il fut un temps, durant la décadence de l’Empire, où la question soulevait un certain intérêt parmi les intellectuels. Salvor Hardin y fait même brièvement allusion dans ses Mémoires. C’est la question de l’identification et de la localisation de l’unique planète à partir de laquelle tout a commencé. Si nous remontons en arrière dans le temps, on voit l’humanité confluer depuis les colonies les plus récemment établies vers des mondes de plus en plus anciens à mesure que l’on recule dans le passé jusqu’au moment où l’ensemble finit par se concentrer sur une seule planète – la planète originelle. »
Trevize vit immédiatement la faille évidente de ce raisonnement : « Ne pourrait-il pas avoir existé un grand nombre de planètes originelles ?
— Bien évidemment non. Tous les êtres humains dans toute la Galaxie sont d’une seule et unique espèce. Et une espèce unique ne peut pas provenir de plusieurs planètes différentes. C’est tout à fait impossible.
— Comment pouvez-vous le savoir ?
— En premier lieu… » Pelorat effleura l’index de sa main gauche avec l’index de la droite puis parut se raviser devant ce qui menaçait de s’annoncer un exposé complexe et touffu. Il écarta les mains et dit en toute franchise : « Mon bon ami, je vous en donne ma parole d’honneur. »
Trevize s’inclina cérémonieusement et dit : « Loin de moi l’idée d’en douter, professeur Pelorat. Admettons donc qu’il n’existe qu’une seule planète des origines mais ne peut-on supposer qu’elles seront toutefois des centaines à revendiquer cet honneur ?