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— Ce n’est pas une supposition : c’est un fait. Aucune de ces prétentions n’est toutefois justifiée. Parmi ces centaines de mondes à revendiquer le crédit de l’antériorité, pas un seul ne présente la moindre trace d’une société hyperspatiale – et ne parlons pas de traces d’une évolution à partir d’organismes préhumains.

— Donc, vous me dites qu’il existe effectivement une planète des origines mais que, pour quelque raison, elle ne s’en réclame pas ?

— Vous avez touché juste.

— Et c’est cette planète-là que vous comptez rechercher.

— Que nous allons rechercher. Telle est bien notre mission. Madame le Maire a déjà tout arrangé. Vous allez conduire notre vaisseau à Trantor.

— Trantor ? Mais ce n’est pas la planète des origines. Vous venez de le dire à l’instant.

— Bien sûr que non : c’est la Terre.

— Alors, pourquoi ne pas me demander de nous conduire directement vers la Terre ?

— J’ai dû mal m’expliquer : ce nom de Terre est légendaire. Enchâssé dans les plus anciens mythes de l’antiquité. On ne peut être certain de sa signification. Mais c’est un synonyme bien pratique pour l’expression : la-planète-des-origines-de-l’espèce-humaine. Savoir quelle planète de l’espace correspond exactement à celle que recouvre le mot Terre : mystère !

— Le sauront-ils, sur Trantor ?

— J’espère découvrir là-bas des informations, sans aucun doute. Trantor abrite quand même la Bibliothèque Galactique, la plus vaste de tout le système.

— Elle a certainement dû être déjà fouillée par tous ceux dont vous me dites qu’ils s’intéressaient à la Question des Origines, sous le premier Empire. »

Pelorat opina, songeur : « Oui, mais peut-être pas suffisamment. J’ai appris bien des choses sur cette fameuse Question des Origines qu’ignoraient les Impériaux d’il y a cinq siècles. Je pourrai mieux qu’eux tirer parti des enregistrements anciens, voyez-vous. Vous savez, je songe à tout cela depuis fort longtemps et j’ai envisagé une excellente possibilité.

— Vous avez parlé de tout cela au Maire Branno, j’imagine, et elle l’approuve ?

— L’approuver ? Mais mon bon ami, elle était aux anges ! Elle m’a dit que Trantor était sans aucun doute l’endroit idéal où dénicher tout ce que j’avais besoin de savoir.

— Sans aucun doute », marmonna Trevize.

Voilà – en partie – ce qui l’avait occupé cette nuit. Le Maire Branno l’envoyait balader, à charge pour lui de découvrir tout ce qu’il pouvait sur la Seconde Fondation. Elle l’envoyait balader, accompagné de Pelorat pour qu’il pût camoufler son objectif réel derrière une prétendue recherche de la Terre – une recherche qui pouvait effectivement le mener absolument n’importe où dans la Galaxie : une couverture parfaite, sans nul doute, et dont il ne pouvait qu’admirer l’ingéniosité.

Mais Trantor dans tout ça ? Une fois rendu à Trantor, Pelorat allait s’engouffrer dans les tréfonds de la Bibliothèque Galactique pour ne plus reparaître : entre ses rayonnages interminables de livres, de films et de bandes, ses innombrables données numériques et représentations symboliques, il ne serait pas question de le faire repartir.

D’un autre côté…

Ebling Mis s’était un jour rendu à Trantor, au temps du Mulet. On racontait qu’il y avait découvert les coordonnées de la Seconde Fondation mais était mort avant de pouvoir les révéler. Puis Arkady Darell y était venue à son tour et était, elle, parvenue à la localiser, mais ç’avait été pour découvrir que la Seconde Fondation était située à Terminus même et on avait alors nettoyé les lieux. Où que fût à présent située cette Seconde Fondation, ce ne pouvait qu’être ailleurs, alors, que pouvait-il bien apprendre de nouveau à Trantor ? S’il cherchait la Seconde Fondation, autant aller n’importe où – en dehors de Trantor.

D’un autre côté…

Quels étaient les prochains plans de Branno, il l’ignorait, mais il ne se sentait pas d’humeur à lui complaire. Alors comme ça, Branno était aux anges à l’idée d’un voyage à Trantor ? Eh bien, puisque Branno voulait Trantor, ils n’iraient pas à Trantor. N’importe où ailleurs – mais pas à Trantor !

Et sur cette ferme résolution, épuisé, tandis que l’aube commençait de poindre, Trevize enfin s’endormit d’un sommeil agité.

11.

Madame le Maire Branno avait passé une excellente journée le lendemain de l’arrestation de Trevize. On l’avait encensée bien au-delà de ses mérites et l’incident avait été complètement passé sous silence.

Malgré tout, elle savait pertinemment que le Conseil finirait sous peu par émerger de sa paralysie et qu’on soulèverait des questions. Il lui faudrait alors agir, et vite. Aussi, remettant un maximum d’affaires en cours, elle se consacra d’abord exclusivement au cas Trevize.

Au moment où ce dernier discutait de la Terre avec Pelorat, Branno rencontrait le conseiller Munn Li Compor dans ses bureaux de la mairie. Et tandis qu’il s’asseyait devant elle, parfaitement à l’aise, elle en profita pour le jauger de nouveau, installée derrière son bureau : plus petit et plus mince que Trevize, il n’était que de deux ans son aîné. L’un comme l’autre des bleus au Conseil, l’un comme l’autre jeunes et impétueux, c’était bien là sans doute leur seul point commun car tout le reste les séparait.

Quand Trevize semblait irradier une force éclatante, Compor brillait d’une assurance presque sereine ; peut-être était-ce à cause de ses cheveux blonds et de ses yeux bleus – deux traits bien peu fréquents chez les membres de la Fondation et qui lui donnaient une délicatesse presque féminine qui (jugeait Branno) le rendait moins attirant auprès des femmes qu’un Trevize. Il était toutefois manifestement très imbu de sa personne et aimait à se mettre en valeur – portant les cheveux plutôt longs, et veillant soigneusement à leur ondulation. Il mettait en outre un soupçon d’ombre à paupières pour souligner la couleur de ses yeux (le maquillage était devenu pratique courante chez les hommes depuis une dizaine d’années).

Il n’était pas coureur, toutefois. Il vivait tranquillement avec sa femme mais n’avait pas encore déposé de demande de paternité et on ne lui connaissait pas de maîtresse. En cela aussi, il se différenciait de Trevize qui changeait de compagne aussi souvent que de ces ceintures aux couleurs criardes qui faisaient sa renommée.

Concernant les deux jeunes conseillers, bien peu de détails demeuraient ignorés des services de Kodell – lequel justement était en train de s’asseoir tranquillement dans un coin de la pièce en exhalant selon sa bonne habitude un soupir satisfait.

Branno prit la parole : « Conseiller Compor, vous avez rendu un grand service à la Fondation mais, malheureusement pour vous, il n’est pas de ceux qu’on puisse louer en public ou récompenser de la manière habituelle. »

Compor sourit. Il avait des dents blanches et régulières et, l’espace d’un instant, Branno se demanda si tous les habitants du Secteur de Sirius avaient la même physionomie. La fable selon laquelle il serait originaire de cette région bizarre et passablement reculée remontait à sa grand-mère maternelle, elle aussi blonde aux yeux bleus, et qui avait soutenu que sa propre mère était native du Secteur de Sirius. Selon Kodell, toutefois, rien ne permettait de confirmer de telles assertions.

Les femmes étant ce qu’elles sont, avait expliqué Kodell, elle pouvait fort bien s’être targuée d’une ascendance aussi lointaine qu’exotique rien que pour ajouter à son prestige et à son attrait par ailleurs déjà remarquable.