— Cela pourra peut-être se produire une fois, rétorqua Compor avec assurance, voire deux si le poursuivant est particulièrement chanceux mais c’est tout. On ne peut pas se fier à une telle méthode.
— Peut-être bien que si. Conseiller Compor, vous avez déjà participé à des compétitions dans l’hyperespace. Vous voyez : je sais beaucoup de choses sur vous. Vous êtes un excellent pilote, capable de prouesses étonnantes quand il s’agit de poursuivre un rival à travers l’hyperespace. »
Compor écarquilla les yeux. Il se tortillait presque sur son siège.
« J’étais au collège, à l’époque. J’ai vieilli.
— Pas tant que ça : vous n’avez pas encore trente-cinq ans. Par conséquent, c’est vous qui allez le suivre Trevize, conseiller. Où qu’il aille, vous allez le suivre et vous m’en rendrez compte. Vous décollerez immédiatement derrière Trevize ; ce dernier doit partir dans quelques heures. Si vous refusez la mission, conseiller, vous vous retrouverez en prison pour trahison. Si vous prenez le vaisseau que nous allons vous fournir, et si vous échouez à le suivre, dans ce cas, ne vous fatiguez pas à revenir : vous serez immédiatement désintégré si vous essayez d’approcher. »
Compor se leva brusquement : « J’ai une vie à vivre, moi. Un travail à accomplir. J’ai une femme. Je ne peux pas abandonner tout cela.
— Il va pourtant bien le falloir. Ceux d’entre nous qui ont choisi la Fondation doivent à tout moment être prêts à la servir de manière prolongée et dans les pires conditions si cela doit se montrer nécessaire.
— Ma moitié devra m’accompagner, bien entendu…
— Vous me prenez pour une idiote ? Elle reste ici, bien entendu.
— En otage ?
— Si le terme vous plaît… Pour ma part, je préfère dire que votre mission est si risquée que mon tendre cœur préfère la savoir ici, à l’abri de tout danger… Mais il n’y a pas lieu de discuter : je vous rappelle que vous êtes en état d’arrestation au même titre que Trevize et je suis sûre que vous comprendrez pourquoi je dois agir vite – avant que se dissipe l’euphorie baignant Terminus… Je crains en effet que ma faveur ne soit bientôt sur la pente descendante. »
12.
Kodell remarqua : « Je trouve que vous avez été dure avec lui, madame.
— Et pourquoi pas ? dit-elle avec une moue. Il a trahi un ami.
— Mais on en a bien profité.
— Certes, parce que ça s’est trouvé ainsi. Sa prochaine trahison, toutefois, pourrait bien ne pas nous être profitable.
— Pourquoi devrait-il y en avoir une autre ?
— Allons, Liono, dit Branno avec impatience, ne faites pas le malin avec moi. Quiconque a montré une seule fois des dispositions au double jeu doit désormais être perpétuellement suspecté de récidive.
— Il pourra toujours mettre à profit son don pour fricoter avec Trevize. Ensemble, ils pourraient…
— Ne croyez pas ça ! Avec toute sa bêtise et sa naïveté, Trevize est homme à foncer droit au but : il ne comprend pas la trahison, lui, et ne se fiera plus jamais, en aucune circonstance, à Compor.
— Pardonnez-moi, madame, mais je voudrais être sûr de bien vous suivre. Jusqu’à quel point, dans ce cas, faites-vous confiance à Compor ? Comment savez-vous qu’il suivra Trevize et rendra compte honnêtement de sa mission ? Comptez-vous jouer sur ses inquiétudes quant à la sécurité de sa femme pour faire pression sur lui ? Sur sa hâte à la retrouver ?
— L’un et l’autre sont à considérer mais je ne peux pas m’y fier exclusivement. A bord du vaisseau de Compor se trouvera un hyper-relais. Trevize se méfie de poursuivants éventuels et pourrait donc rechercher un tel dispositif. Compor en revanche, étant lui-même le poursuivant, n’imaginera sûrement pas d’être poursuivi et n’aura jamais l’idée d’en chercher un. Bien sûr, s’il le cherche et le trouve, tous nos espoirs reposent alors sur les charmes de son épouse… »
Kodell eut un rire : « Et dire que jadis j’ai dû vous donner des leçons. Mais le but de cette filature ?
— Une protection à double niveau. Si Trevize est pris, il se peut que Compor continue et nous procure l’information que Trevize ne pourra plus, lui, nous fournir.
— Une question encore : et si, par quelque hasard, Trevize découvrait effectivement la Seconde Fondation ? Que nous apprenions la chose par son intermédiaire ou celui de Compor – ou que nous ayons des raisons de le soupçonner malgré leur décès à tous deux ?
— Mais j’espère bien qu’elle existe, cette Seconde Fondation, Liono ! De toute façon, le Plan Seldon ne pourra pas nous servir éternellement : le grand Hari Seldon l’avait conçu aux derniers jours de l’Empire, quand le progrès technique était virtuellement au point mort. Et puis, Seldon était le produit de son siècle et, si brillante qu’ait pu être cette science à demi mythique de la psychohistoire, elle ne pouvait renier ses racines ; la psychohistoire n’aurait jamais autorisé un développement technologique rapide. La Fondation, elle, y est parvenue, en particulier depuis un siècle. Nous disposons aujourd’hui de détecteurs de masse dont on n’aurait même pas osé rêver naguère, d’ordinateurs qui peuvent réagir directement à la pensée, et – surtout – d’écrans mentaux. La Seconde Fondation ne pourra plus nous contrôler longtemps, même si elle en est encore capable aujourd’hui. Je veux profiter de mes dernières années au pouvoir pour être celle qui orientera Terminus sur une voie nouvelle.
— Et s’il n’y avait finalement pas de Seconde Fondation ?
— Dans ce cas, nous prendrions cette nouvelle orientation sur-le-champ. »
13.
Le sommeil agité qu’avait enfin pu trouver Trevize ne fut que de courte durée : une seconde fois, on lui tapota sur l’épaule.
Trevize sursauta, ahuri, et totalement incapable de comprendre ce qu’il pouvait bien faire dans ce lit inconnu. « Hein ? Quoi ?
— Je suis désolé, conseiller Trevize, lui dit Pelorat sur un ton d’excuse. Vous êtes mon hôte et votre repos est sacré mais madame le Maire est ici… » Vêtu d’un pyjama de flanelle, il se tenait à côté de son lit, et tremblait légèrement. Trevize reprit soudain douloureusement ses esprits. La mémoire lui revint.
Le Maire était dans le salon de Pelorat, l’air aussi placide qu’à l’accoutumée. L’accompagnait Kodell, lissant du bout des doigts sa moustache blanche.
Trevize ajusta son ceinturon au cran approprié tout en se demandant s’il y avait un moment où ces deux-là – Branno et Kodell – n’étaient pas ensemble. Il lança sur un ton moqueur : « Le Conseil aurait-il retrouvé ses esprits ? Ses membres s’inquiéteraient-ils enfin de l’absence d’un des leurs ?
— Il remue un peu, si fait, mais sans doute pas encore assez à votre gré. Il est hors de doute que je détiens toujours le pouvoir de vous contraindre à partir. On va vous conduire à l’astroport ultime…
— Pourquoi pas à celui de Terminus, madame ? Faut-il en plus que je sois privé de l’adieu des foules éplorées ?
— Je constate que vous avez retrouvé votre penchant pour les gamineries, conseiller, et vous m’en voyez réjouie. Voilà qui apaise ce qui sinon aurait pu faire naître une certaine crise de conscience. De l’astroport ultime, vous aurez, le professeur Pelorat et vous, la possibilité de partir tranquilles.