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— Vous connaissez la nouvelle ? enchaîna Hardin sans se démonter.

— Mais encore ?

— La nouvelle que la station d’ultra-radio de Terminus vient de capter, voici deux heures ? Le gouverneur de la préfecture d’Anacréon a pris titre de roi.

— Comment ? Qu’est-ce que cela signifie ?

— Cela signifie, répondit Hardin, que nous sommes coupés des régions centrales de l’Empire. Nous nous y attendions, mais ce n’est pas plus agréable pour autant. Anacréon est juste sur la dernière route commerciale qui nous restait accessible vers Santanni, Trantor et même Véga ! Par où va-t-on nous faire parvenir nos métaux ? Depuis six mois, nous n’avons pas eu une seule cargaison d’aluminium, et maintenant, par la grâce du roi d’Anacréon, nous n’en recevrons plus du tout.

— Tss, tss, fit Pirenne. Tâchez d’en obtenir de lui, alors.

— Vous croyez que c’est facile ? Ecoutez, Pirenne, aux termes de la charte qui régit cette Fondation, le Conseil de l’Encyclopédie a reçu pleins pouvoirs en matière d’administration. Moi, en ma qualité de Maire de Terminus, j’ai tout juste le droit de me moucher, et peut-être d’éternuer si vous contresignez une autorisation écrite en ce sens. C’est donc à vous et à votre Conseil de prendre les mesures nécessaires. Je vous demande au nom de la ville – dont l’avenir dépend de la possibilité d’entretenir avec la Galaxie des relations commerciales ininterrompues – de convoquer une réunion extraordinaire…

— Assez ! Ce n’est pas le moment de prononcer un discours électoral. Voyons, Hardin, le Conseil d’Administration ne s’est jamais opposé à l’établissement sur Terminus d’un gouvernement municipal. Nous avons compris qu’il fallait le faire compte tenu de l’accroissement de la population depuis l’établissement de la Fondation il y a cinquante ans, accroissement de moins en moins lié aux besoins de l’Encyclopédie elle-même. Cela ne veut toutefois pas dire que le premier et le seul but de la Fondation ne soit plus de publier l’Encyclopédie définitive des connaissances humaines. Nous sommes un organisme scientifique patronné par l’Etat, Hardin. Nous ne pouvons pas – nous ne devons, et d’ailleurs nous ne voulons pas – nous mêler des questions de politique locale.

— De politique locale ! Par l’orteil gauche de l’empereur, Pirenne, c’est une question de vie ou de mort. La planète Terminus ne peut à elle seule subvenir aux besoins d’une civilisation mécanisée. Elle manque de métaux. Vous le savez. Il n’y a pas la moindre trace de fer, de cuivre ni de bauxite dans les couches rocheuses superficielles, et il n’y a guère d’autres minerais. Que croyez-vous qu’il advienne de l’Encyclopédie si ce jean-foutre de roi d’Anacréon nous tombe dessus ?

— Sur nous ? Oubliez-vous que nous sommes sous le contrôle direct de l’empereur lui-même ? Nous ne dépendons pas de la préfecture d’Anacréon ni d’aucune autre. Tâchez de vous en souvenir ! Nous appartenons au domaine personnel de l’empereur et personne n’a le droit de nous toucher. L’empereur est assez puissant pour protéger ses biens.

— Alors, pourquoi n’a-t-il pas empêché le gouverneur royal d’Anacréon de se révolter ? Et il n’y a pas qu’Anacréon. Au moins vingt des préfectures les plus excentriques de la Galaxie – en fait toute la Périphérie – ont commencé à se montrer fort indépendantes. Je vous assure que je suis de plus en plus sceptique en ce qui concerne la protection que l’Empire peut nous accorder.

— Bah ! Gouverneurs royaux, rois… où est la différence ? L’empereur est perpétuellement soumis à une certaine agitation politique, les uns tirant à hue et les autres à dia. Ce n’est pas la première fois que les gouverneurs se rebellent et, je vous le rappelle, on a déjà vu des empereurs être déposés ou assassinés. Mais qu’est-ce que cela a à voir avec l’Empire ? Allons, Hardin, n’y pensez plus. Cela ne nous regarde pas. Nous sommes d’abord et avant tout des savants. Et ce qui nous occupe, c’est l’Encyclopédie. Oh ! c’est vrai, j’allais oublier. Hardin !

— Oui ?

— Il faut que vous fassiez attention à ce que vous publiez dans votre journal ! fit Pirenne d’un ton furieux.

— Le Journal de Terminus ? Il n’est pas à moi : c’est un organe privé. Que lui voulez-vous ?

— Il demande depuis des semaines que le cinquantième anniversaire de l’établissement de la Fondation soit l’occasion de fêtes publiques et de cérémonies tout à fait injustifiées.

— Et pourquoi pas ? Dans trois mois, l’horloge à radium ouvrira le caveau. Il me semble que c’est la meilleure occasion de se livrer à des réjouissances, non ?

— Pas de la ridicule façon dont ils l’entendent, Hardin. L’ouverture du premier caveau ne regarde que le Conseil d’Administration. Aucune communication importante ne sera faite au peuple. C’est un point acquis et je vous prie de le préciser dans le Journal.

— Je regrette, Pirenne, mais la charte de Terminus garantit ce qu’il est convenu d’appeler la liberté de la presse.

— La charte peut-être. Mais pas le Conseil d’Administration. Je suis le représentant de l’empereur sur Terminus, Hardin, et j’ai les pleins pouvoirs. »

Hardin parut méditer un moment, puis il dit d’un ton sarcastique : «J’ai une nouvelle à vous annoncer en votre qualité de représentant de l’empereur.

— A propos d’Anacréon ? » fit Pirenne. Il était ennuyé. «  Oui. Un envoyé extraordinaire d’Anacréon va venir vous rendre visite. Dans deux semaines.

— Un envoyé extraordinaire ? D’Anacréon ? répéta Pirenne. Pourquoi ? »

Hardin se leva et repoussa son fauteuil dans la direction de la table. « Je vous laisse le plaisir de deviner. »

Sur quoi il sortit.

II

Anselme Haut Rodric – « Haut » parce qu’il était de sang noble –, sous-préfet de Pluema et envoyé extraordinaire de Son Altesse le souverain d’Anacréon, fut accueilli par Salvor Hardin à l’astroport, avec tout l’imposant appareil d’une réception officielle.

Le sous-préfet s’était incliné en présentant à Hardin le fulgurateur qu’il venait de tirer de son étui, la crosse en avant, Hardin lui rendit la pareille avec une arme empruntée pour la circonstance. Ainsi se trouvaient établies de part et d’autre la bonne volonté et les intentions pacifiques de chacun, et si Hardin remarqua une légère bosse sous la tunique de Haut Rodric à la hauteur de l’épaule, il s’abstint de tout commentaire.

Ils prirent place dans une automobile précédée, flanquée et suivie d’un appréciable cortège de fonctionnaires subalternes, et qui se dirigea vers la place de l’Encyclopédie avec une noble lenteur, parmi les vivats d’une foule enthousiaste.

Le sous-préfet Anselme accueillit ces acclamations avec la courtoise indifférence d’un gentilhomme et d’un soldat.

« Cette ville, dit-il à Hardin, est la seule partie habitée de votre monde ? »

Hardin éleva la voix pour se faire entendre par-dessus le vacarme. « Nous sommes un monde jeune, Votre Excellence. Dans notre brève histoire, nous n’avons reçu que bien rarement des membres de la haute noblesse sur notre pauvre planète. C’est ce qui explique l’enthousiasme populaire. »

Mais le représentant de la « haute noblesse » était de toute évidence imperméable à l’ironie.

« Vous n’êtes établis ici que depuis cinquante ans, fit-il d’un ton songeur. Hmmm ! Vous avez bien des terres en friche, monsieur le Maire. Vous n’avez jamais envisagé de les morceler en domaines ?

— La nécessité ne s’en est pas encore imposée. Nous sommes extrêmement centralisés ; il le faut bien, à cause de l’Encyclopédie. Un jour, peut-être, quand la population se sera développée…