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« J’aurai besoin de cet instrument, fit Avakim sans se départir de son calme.

— Nous vous en fournirons un autre, maître, qui n’émet pas de parasites.

— Dans ce cas, ma visite est terminée. » Il sortit et Gaal se retrouva seul.

VI

Le procès n’avait pas duré longtemps. (Du moins Gaal supposait-il qu’il s’agissait bien d’un procès, encore qu’on n’y retrouvât aucune des procédures compliquées employées d’ordinaire.) Et, malgré cela, Gaal avait du mal à se souvenir du début.

On ne l’avait guère inquiété. C’était sur le docteur Seldon que s’était concentré le feu de la grosse artillerie. Mais Hari Seldon demeurait impassible. Gaal voyait en lui le seul point stable d’un monde qui se dérobait sous ses pas.

L’assistance était peu nombreuse et ne comprenait que les barons de l’Empire. Ni le grand public ni la presse n’avaient été admis, et peu de gens, à l’extérieur, devaient même savoir que Seldon était cité en justice. Quant aux assistants, ils ne dissimulaient pas leur hostilité.

Cinq membres de la Commission de la Sécurité Publique étaient assis sur l’estrade. Ils arboraient l’uniforme pourpre et or de leur fonction. Au centre, siégeait le chef de la Commission, Linge Chen. Gaal n’avait encore jamais vu de si haut personnage et le dévorait des yeux. Ce fut à peine si Chen dit un mot tout au long du procès ; il semblait penser que parler était indigne de lui.

Le Procureur consulta ses notes et procéda à l’interrogatoire de Seldon :

LE PROCUREUR. — Voyons, docteur Seldon, combien d’hommes travaillent actuellement au projet que vous dirigez ?

SELDON. — Cinquante mathématiciens.

P. — Dont le docteur Gaal Dornick ?

S. — Le docteur Gaal Dornick est le cinquante et unième.

P. — Oh ! ils sont donc cinquante et un ! Un petit effort de mémoire, docteur Seldon. Peut-être sont-ils cinquante-deux, ou cinquante-trois. Peut-être plus ?

S. — Le docteur Dornick n’appartient pas encore officiellement à mon organisation. Quand il aura pris son poste, les effectifs s’élèveront au chiffre de cinquante et un. Pour l’instant, ils sont de cinquante, comme je vous l’ai dit.

P. — Ils ne seraient pas plutôt voisins de cent mille ?

S. — Cent mille mathématiciens ? Non.

P. — Je n’ai pas parlé de cent mille mathématiciens. Votre groupe occupe-t-il cent mille hommes en tout ?

S. — En comptant l’ensemble du personnel, il se peut que votre estimation soit correcte.

P. — Il se peut ? Je l’affirme : je prétends que votre projet occupe quatre-vingt-dix-huit mille cinq cent soixante-douze personnes.

S. — Vous devez compter les femmes et les enfants.

P. — Je maintiens le chiffre de quatre-vingt-dix-huit mille cinq cent soixante-douze individus. N’ergotons pas.

S. — J’accepte ce chiffre.

P. — Nous reviendrons plus tard sur ce point. J’aimerais maintenant reprendre une question que nous avons déjà traitée tout à l’heure. Voudriez-vous nous répéter, docteur Seldon, ce que vous pensez de l’avenir de Trantor ?

S. — J’ai dit, et je répète, que, dans cinq siècles d’ici, Trantor sera en ruine.

P. — Vous ne considérez pas cette déclaration comme déloyale ?

S. — Non, monsieur le Procureur. La vérité scientifique dépasse les concepts de loyalisme et de trahison.

P. — Vous êtes certain que votre déclaration représente la vérité scientifique ?

S. — Absolument.

P. — Sur quoi vous appuyez-vous ?

S. — Sur les mathématiques de la psychohistoire.

P. — Pouvez-vous prouver que ces calculs soient valables ?

S. — Seul un autre mathématicien pourrait comprendre ma démonstration.

P. — Vous prétendez donc, n’est-ce pas, que votre vérité est d’un caractère si ésotérique qu’elle dépasse l’entendement du simple citoyen. Il me semble que la vérité devrait être plus claire, moins mystérieuse, plus accessible à l’esprit.

S. — Ces difficultés n’existent que pour certains. La physique du transfert d’énergie, ce que nous appelons la thermodynamique, est depuis le fond des âges un phénomène parfaitement défini : il peut cependant se trouver aujourd’hui, dans l’assistance, des gens qui seraient incapables de dessiner l’épure d’un moteur. Des gens très intelligents, d’ailleurs. Je doute que les membres de cette honorable Commission…

A ce moment, un des commissaires se pencha vers le Procureur. On n’entendit pas ce qu’il disait mais il parlait d’un ton sec et sifflant. Le Procureur rougit et interrompit Seldon.

P. — Nous ne sommes pas ici pour écouter des discours, docteur Seldon. Admettons que vous nous ayez convaincus. Permettez-moi de vous dire que vos prédictions de désastre pourraient fort bien avoir pour but de saper la confiance du public envers le gouvernement impérial, à des fins connues de vous seul.

S. — Il n’en est rien.

P. — Laissez-moi vous rappeler que, selon vous, la période précédant la prétendue ruine de Trantor doit être marquée par une certaine agitation.

S. — C’est exact.

P. — J’affirme, moi, qu’en prédisant ce désastre, vous espérez le provoquer et avoir alors à votre disposition une armée de cent mille hommes.

S. — Absolument pas. Et même si cela était, une rapide enquête vous montrerait que, dans le personnel qui est sous mes ordres, il n’y a pas dix mille hommes d’âge à porter les armes ; aucun d’eux du reste n’a la moindre formation militaire.

P. — Etes-vous l’agent de quelqu’un d’autre ?

S. — Je ne suis à la solde de personne, monsieur le Procureur.

P. — Vous êtes entièrement désintéressé ? Vous êtes au service de la science ?

S. — Oui.

P. — Eh bien, voyons un peu comment. Peut-on modifier l’avenir, docteur Seldon ?

S. — Bien entendu. Ce tribunal, par exemple, peut exploser dans quelques heures, ou bien ne pas exploser. Dans le premier cas, l’avenir en serait certainement modifié, dans une faible mesure.

P. — Vous ergotez encore, docteur Seldon. L’histoire de la race humaine peut-elle être modifiée dans son ensemble ?

S. — Oui.

P. — Facilement ?

S. — Non, au prix de grands efforts.

P. — Pourquoi ?

S. — La tendance psychohistorique de la population d’une planète entière dépend partiellement d’une force d’inertie considérable. Pour la modifier, il faut soit disposer d’un nombre d’individus égal au chiffre de la population, soit, si l’on ne peut compter que sur un nombre relativement faible d’individus, avoir beaucoup de temps devant soi. Vous comprenez ?

P. — Je crois que oui. Trantor ne court pas nécessairement à la catastrophe, pourvu qu’il se trouve assez de gens pour empêcher ce désastre.

S. — C’est exact.

P. — Et cent mille individus suffisent-ils ?

S. — Non, monsieur le Procureur. C’est bien trop peu.

P. — Vous en êtes sûr ?

S. — Songez que Trantor a une population de plus de quarante milliards d’habitants. Considérez en outre que la tendance qui mène à la catastrophe n’affecte pas Trantor seule, mais l’ensemble de l’Empire, c’est-à-dire près d’un quintillion d’êtres humains.

P. — Je vois où vous voulez en venir : peut-être alors cent mille individus suffisent-ils à modifier la tendance catastrophique, si eux et leurs descendants s’y efforcent durant cinq cents ans.