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Une Chevrolet s’arrêta un peu plus loin. Un Panaméen de petite taille en descendit. Il portait un costume clair très élégant, et un chapeau dont le pli oblique jetait une ombre sur ses yeux.

Kovask flaira l’inédit. Mais à sa grande surprise, le petit homme traversa la rue, pénétra dans l’immeuble faisant face à celui de Spencer. Comme tous ses compatriotes, il portait une élégante serviette en crocodile.

L’agent de L’O.N.I. hésita puis ouvrit sa portière. Dans l’immeuble où venait de s’engouffrer l’homme à la serviette se trouvait un hall immense. L’ascenseur était en marche. Kovask attaqua l’escalier. Au second, il vit que la cage était montée encore plus haut. Son intuition se précisait. Au troisième il n’eut plus de doute. Le petit homme était en route pour le quatrième. De l’autre côté de la rue, le contrôleur du service de balisage habitait cet étage-là.

Le complet clair s’agitait encore dans le corridor latéral quand Kovask surgit sur le palier. Le Panaméen se retourna, mais Kovask avait un air naturel. Le petit homme feignit de vouloir continuer sa route, mais brusquement il s’effaça dans un angle. Un plouf assourdi annonça l’arrivée d’une balle. Elle fit sauter la boiserie d’un chambranle, à quelques centimètres de la tête de Kovask. Il s’était ramassé sur lui-même et fonçait vers l’autre. La serviette en croco vola en Pair, émit un son métallique quand elle retomba sur le carrelage. Entre les grandes mains de Kovask, le petit homme se violaçait, pompait l’air comme un poisson hors de l’eau. Son automatique gisait à ses pieds.

Il n’offrait guère de résistance. Lui cognant la tête contre l’angle du mur, il l’étourdit.

Il s’orientait rapidement, devinant ce que l’homme venait faire dans l’immeuble. Il y avait une fenêtre au bout du couloir, et il n’avait pas besoin de s’en approcher pour savoir qu’elle donnait sur l’appartement des Spencer. Dans la serviette il découvrit, plié en trois tronçons, un merveilleux bazooka modèle réduit, et deux rockets de la taille d’une pile ronde ordinaire.

Sans ménagement il redressa l’inconnu, l’adossa contre le mur. L’autre le fixait d’un œil atone. Kovask avait son arme à la main.

— Direction l’escalier.

Il obéit comme un automate. Par chance ils ne rencontrèrent personne. Dans le hall à quelques mètres d’eux, c’étaient le flamboiement torride du soleil. Kovask pensa à sa voiture transformée en étuve. En même temps une idée subite le frappait.

D’un geste sec, il voulut ramener le petit homme vers lui mais la rafale de mitraillette éclatait par la vitre baissée de la Chevrolet. Le Panaméen n’était pas venu seul. Il servit de bouclier et s’écroula, le sang giclant de son corps par plusieurs blessures.

La Chevrolet démarrait en trombe. Kovask tira mais sans aucun espoir. Quand elle eut disparu, il se pencha vers le blessé. Il était mort. Dans le portefeuille il découvrit son nom : Luis Perenes.

* * *

Clayton le retrouva une heure plus tard au poste de police du quartier. Son nom seul avait déjà impressionné favorablement le chef de poste, quand Kovask avait demandé qu’il soit prévenu.

— Chez Spencer, dit-il, une fois libéré.

Clayton lui tapota l’épaule.

— J’ai un homme là-bas. Mais la table d’écoute n’a rien donné. Spencer n’a essayé de téléphoner à personne.

Kovask ne paraissait pas surpris.

— Je veux quand même vérifier s’il est chez lui.

L’homme de Clayton leur certifia que Spencer n’avait pas bougé.

— Inutile de monter dit brusquement Kovask. Je vais aller déjeuner.

— Venez à mon restaurant bougonna Clayton. J’ai laissé un steak au poivre quand on m’a averti que vous étiez dans un sale pétrin.

Kovask mangea avec appétit et attendit le café pour placer son petit effet.

— Désolé, Clayton, mais il faudra s’occuper cette après-midi.

— Du nouveau ? J’oubliais de vous dire que ce Luis Perenes appartenait à un parti antiaméricain. Mais ce n’est pas une piste intéressante puisque le mouvement est clandestin. Quant à Spencer …

Kovask le coupa.

— Spencer est complètement innocent. Perenes avait ordre de le liquider pour prêter à confusion. Je connais maintenant celui qui a trahi.

CHAPITRE VI

Dans le bureau les persiennes étaient baissées, et un gros ventilateur silencieux s’évertuait en vain. La température dépassait 90 degrés-Fahrenheit. Le Captain Dikson, en chemise Lacoste, examinait les trois hommes qui venaient d’être introduits.

À sa gauche était assis Clayton, l’inspecteur-officier de la Section spéciale. L’autre, à côté de lui, l’inspecteur de L’O.N.I … Il ignorait la profession du troisième. Mr. Smith, lui avait-on dit, et ce nom passe-partout l’intriguait.

Ce fut Clayton qui ouvrit le débat.

— Nous avons arrêté Spencer, le contrôleur des installations radio-électriques.

Le captain s’agita sur son fauteuil.

— Quelles preuves avez-vous contre lui ?

— Peu en vérité. D’ailleurs, il nie absolument avoir prêté la clé des radiophares à des fins criminelles. Seulement, on a essayé de le descendre et à première vue c’est une preuve de sa culpabilité.

Dikson hocha sa grosse tête. Il prit un mouchoir dans sa poche et s’essuya le visage. Ses sourcils et sa moustache étaient hérissés.

— Sa défense est habile. Il déclare que trois personnes sont en possession d’un exemplaire de la clé. Un fonctionnaire du génie maritime et vous.

Dikson écoutait attentivement.

— Nous avons étudié le cas du fonctionnaire du génie maritime. Il lui est complètement impossible de s’emparer de cette clé. Outre qu’elle est gardée dans un local sous surveillance constante, il lui faudrait, pour la prendre dans sa main, la signature de trois de ses supérieurs. Cela paraît risible, mais seule une décision de Washington pourrait autoriser le génie à s’occuper du balisage.

Un silence. Bien qu’imperceptible, le bruit du ventilateur leur parut à tous considérable.

— Reste donc Spencer et vous, captain. Spencer est le suspect numéro un. Si nous faisons la preuve de votre innocence, nous n’aurons plus aucune sorte de remords. Me comprenez-vous, captain ?

L’homme restait impassible.

— Parfaitement.

— Pouvez-vous nous montrer cette clé ?

Dikson se leva et ouvrit son coffre. Il préleva la clé parmi d’autres, et la tendit à Clayton qui refusa de la prendre et désigna le mystérieux Mr. Smith.

Ce dernier, un être filandreux et timide, ouvrit une mallette, en sortit un papier de soie. Dikson fronça les sourcils. L’homme se dressa et alla s’installer à une petite table de dactylo, leur tournant le dos.

— Voici ce que va faire Mr. Smith, dit Clayton avec nonchalance. Vous n’ignorez pas que tout le matériel militaire sort de nos arsenaux. Même les radiophares, même la clé d’un radiophare. Si le service de balisage est un peu à part, c’est pour garder au Canal son caractère d’internationalité, mais personne n’est dupe.

Il reprit son souffle, jeta un regard morne au ventilateur comme si l’engin le décevait.