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Ils s’installèrent dans une voiture militaire conduite par un marin.

— Qui était au courant de la mission de l’Evans II ?

— Tout La Jolla. Une campagne se prépare longtemps à l’avance, surtout au point de vue scientifique. Henderson était un as de ce côté-là.

— L’ordre de rejoindre le port de Woods-Hole était-il contenu dans celui prescrivant la campagne ou différent ?

— Différent et postérieur de plusieurs jours. Évidemment la campagne se préparait à La Jolla depuis des mois, mais l’autorisation n’est arrivée qu’une semaine avant le départ. Vous savez bien comment ça marche …

Kovask tressaillit intérieurement. Peut-être pourrait-il progresser malgré la publicité faite autour du départ de l’Evans II.

— Oui ? Alors ?

— Je crois que l’ordre de passer le Canal et de joindre Woods Hole n’est arrivé que la veille ou l’avant-veille.

Une question se présenta immédiatement à Kovask.

— Sigmond était déjà à bord ?

— Il a remplacé au dernier moment un quartier-maître malade. Un certain Klein.

— Vous l’avez interrogé ?

— Pas encore, avoua son compagnon avec embarras.

— Comment Sigmond aurait-il pu apprendre aussi vite le but final de cette mission, être soudoyé par ceux qui s’en effrayaient ?

Sturgens se tourna vivement vers lui.

— Sigmond était aux transmissions. Peut-être était-il payé depuis longtemps pour surveiller les ordres de missions reçus, et alerter qui de droit dès qu’il était question du « Canal de Panama. »

— Dans ce cas dit Kovask, il doit exister à Woods Hole le pendant de Sigmond, son frère jumeau en trahison. Il faudra les prévenir.

— Je vais aussi interroger le quartier-maître Klein. Sigmond l’a peut-être payé pour pouvoir prendre sa place.

— C’est fort certain, car cette maladie est venue bien à propos. Faites aussi une enquête pour savoir comment l’ordre de joindre Woods Hole est parvenu au lieutenant-commander Henderson, et qui en a eu connaissance. Je veux d’abord rendre visite à l’assistant de Brown.

Sturgens consulta sa montre.

— Il se trouve au laboratoire de l’institut. Je vais vous y conduire.

Les laboratoires de physique et de chimie occupaient tout un étage de l’institut, et ils découvrirent David Wilhelm dans une des salles en enfilade. C’était un jeune homme brun, d’apparence délicate. Il avait l’air timide, mais devint plus à Taise avec Kovask au bout de quelques minutes.

— Mon patron était un grand bonhomme. Je dis était, car je suis certain qu’il est mort. Il ne se serait jamais prêté à aucune combine contre l’intérêt de son pays. Il avait une volonté immense sous son apparence farfelue.

Kovask le suivit dans un petit bureau au désordre épouvantable. Wilhelm alluma une cigarette, s’appuya contre les étagères croulant sous le poids des livres.

— Admettez un instant qu’il vous ait trompé, qu’il ne soit pas l’homme que vous vous imaginez. Comment aurait-on pu le posséder ?

— Je ne sais pas. Il était célibataire et ne s’intéressait pas aux femmes. Il ne buvait pas. Il ne pensait qu’à son métier. Bien sûr, on aurait pu lui permettre de poursuivre ses expériences dans des conditions plus favorables … Il aurait refusé.

L’assistant de Brown eut un geste circulaire.

— Il aimait ce labo, ce fouillis. Il avait ses habitudes et ses manies.

— Quelle était sa spécialité ?

— L’eau de mer. Il accumulait les analyses d’échantillons. C’était surtout les boues et les vases en suspension dans le milieu océanique. On le baptisait chimiste, mais il était aussi bon physicien que biologiste. Il étudiait sans relâche les effets des Forces de Van Der Waals.

Kovask eut un demi-sourire de profane.

— Toutes ces particules chargées d’électricité se repoussent normalement, mais il arrive aussi souvent qu’elles se touchent et s’agglutinent, d’où la formation de boues, de vases. Il était passionné, recherchait l’origine de cet effet Van Der Waals. Il expliquait qu’un jour on découvrirait le moyen de purifier certaines eaux, et d’extraire de ces boues les richesses qu’elles contiennent.

Il se dirigea vers la salle voisine.

— Tenez, voilà des boues ordinaires. Kovask ne voyait qu’un peu d’eau sale dans une sorte d’aquarium.

— Décembre 1958. Plus de deux ans qu’elles sont là et elles n’ont pas encore floculé. Il faudra des années pour obtenir un dépôt, mais ici, dans ce bac en quelques jours c’était fait. Le même prélèvement pourtant. Si je soufflais un peu de gaz carbonique là-dedans, je chargerais à nouveau les particules d’électricité et j’obtiendrais, pour combien de temps, l’eau sale du récipient voisin.

Il marchait toujours.

— Ici un dépôt de boue corallienne … Mon patron se passionnait aussi pour les coraux … Comme moi d’ailleurs, et il envisageait de se rendre dans un atoll dans les prochains mois. Nous devions y aller ensemble.

Puis il pivota sur ses talons et revint vers Kovask.

— Je vous ennuie ? S’excusa-t-il. Mais comment vous expliquer ce qu’était Edgar Brown, si ce n’est en vous faisant voir les travaux auxquels il se livrait. Tout cela est bien pacifique n’est-ce pas ?

Kovask était prêt à le croire, mais Brown n’était pas parmi les victimes de l’Evans II. Il avait disparu avec le premier maître Sigmond. Pourquoi cet homme, justement paisible et éloigné des contingences quotidiennes ? Kovask avait envie de creuser cette idée jusqu’à extirper la matière valable.

— L’équipe de l’Evans se composait d’un physicien, John Parker, d’un biologiste Marscher Hugo et d’un géologue Anton Hume. Vous me disiez que votre patron était aussi bien biologiste que physicien.

— Oui, mais entendons-nous bien. Biologiste parce qu’il découvrait dans l’eau de mer des éléments vivants, physicien parce que c’était indispensable pour une étude complète.

— La géologie ?

— Un peu toujours pour la même raison. C’était un véritable océanographe et la mer était sa passion.

Kovask était déçu. Il avait cru tenir un fil, mais il lui échappait. Un instant il s’était demandé si on n’avait pas fait disparaître le corps de Brown, justement pour l’aiguiller sur une fausse piste. Pour laisser supposer aux enquêteurs qu’un chimiste aurait pu découvrir le danger, menaçant le canal. C’était aller un peu loin dans la découverte des intentions cachées. Cela se savait que votre patron était polyvalent ?

Oui et non … Il est catalogué chimiste par l’administration.

Sigmond ? Un être fruste trouvant suffisante cette affirmation. Brown était chimiste et rien d’autre. C’était le renseignement qu’il avait pu transmettre aux chefs de l’Unitad. Les autres s’en étaient contentés. Mais alors quelle était la nature du danger imminent ?

Wilhelm le fixait avec curiosité. — Vous paraissez perplexe.

Kovask aurait donné sa paye d’un mois pour que Sigmond soit retrouvé. Le premier maître pouvait tout éclaircir. C’était lui qui avait saboté tous les instruments de navigation et qui, au moment du drame, se trouvait en tenue d’homme grenouille prêt à se jeter à l’eau. Sigmond aurait pu indiquer pourquoi Edgar Brown avait disparu. Peut-être le premier maître était-il au courant de ce qui se tramait contre le Canal.

— Je reviendrai, monsieur Wilhelm. Peut-être aurai-je grandement besoin de vous.

C’est à San-Diego qu’il retrouva le lieutenant Sturgens dans les locaux de la police maritime. Le quartier-maître Klein était là et paraissait inquiet.