— Il prétend que Sigmond ne lui a donné que cent dollars pour se porter raide. La raison ? Sigmond voulait ramener de la marihuana de Panama. Ou c’est un pigeon, ou il essaye de nous rouler.
— Mon lieutenant … j’vous jure que c’est la vérité … J’ai fait le c …, mais sans savoir que ça irait si loin. Parole mon lieutenant !
Sturgens se tourna vers le lieutenant de l’O.N.I. et l’interrogea du regard.
— Laissez-le filer … Consignez-le quelque part qu’il n’aille pas raconter son histoire dans les bars du port.
Quand ils furent seuls, Sturgens sortit une liste de sa poche.
— Les noms de ceux qui ont eu connaissance de la nouvelle affectation de l’Evans II, et de son transit par Panama à La Jolla, avant qu’il parvienne au lieutenant-commander Henderson.
Sturgens paraissait jubiler et il jeta un coup d’œil sur la liste. Il se crut l’objet d’une illusion, épela chaque nom et jura.
— Et Sigmond ? Vous l’avez oublié ou quoi ?
— Pas du tout. Il ne pouvait être dans le coup, puisqu’il suivait un cours de perfectionnement détecteur, ici à San-Diego.
— Damned ! … Il a donc reçu un ordre ?
— Voilà. C’était tout de même étonnant qu’un simple premier maître, avec l’intelligence moyenne de Sigmond, ait eu la responsabilité de l’affaire.
Sturgens pointa deux noms sur la liste.
— Mercedes Llanera … Rico Deban. Tous deux d’origine espagnole. Je ne veux pas croire que les autres, de purs Américains, aient pu tremper dans l’affaire. Évidemment nous ne ferons pas d’exclusive. Mais autant commencer par les deux Espagnols.
— Vous avez entrepris quelque chose ?
— Oui. L’ordre est arrivé ici à l’Amirauté. Et le commodore responsable l’a fait enregistrer par sa secrétaire…
— Mercedes Llanera ?
— Ouais. L’ordre enregistré passe au bureau de l’officier d’administration, deuxième Américain, le lieutenant Yalles. Puis le papier est envoyé à La Jolla, au commodore commandant la base océanographique de la Navy. Troisième Américain qui a comme officier d’administration un maître principal, Rico Deban. Une précision, les trois Américains sont des officiers de valeur. Rico Deban passe pour être un type peu recommandable avec des relations dans les milieux louches de San-Diego.
— Et la femme ?
— Célibataire, jeune et jolie … Quelques aventures discrètes.
— Rien entre Deban et elle ?
— Non. Il y a d’autres membres d’origine espagnole dans le personnel. Ils se fréquentent normalement.
Kovask pointa le nom de la jeune femme sur la liste.
— Si nous commencions par elle ?
— Bien. Elle habite en banlieue, La Mesa-Road. Un petit pavillon. Il paraît qu’elle mène un train de vie assez important vu ses ressources.
Une pelouse d’un vert soyeux s’étendait devant le bungalow à un seul étage. Un tourniquet répandait une pluie fine sur l’herbe. Sur le côté gauche un pin parasol abritait un transatlantique. Une fille en bikini s’y trouvait.
Quand ils firent crisser les graviers roses et bleus de l’allée, elle s’assit et Kovask la détailla avec admiration. Elle était de taille moyenne avec de longs cheveux noirs qui flottaient sur des épaules rondes et bronzées. Ses seins plantureux étaient presque libres sous la bande d’étoffe du maillot, et le slip réduit découvrait l’arrondi des hanches et du ventre.
Son regard noir alla de l’un à l’autre, parut hésiter sur le visage de Sturgens.
— Miss Llanera je me présente, lieutenant Sturgens de la Navy police et mon compagnon Kovask. Il est chargé d’une mission spéciale par le gouvernement.
Si elle était coupable, son sang-froid était admirable. Elle eut un sourire enjôleur et une œillade évaluatrice pour le lieutenant Kovask, leur désigna des fauteuils de toile.
— Si vous le permettez, je vais aller enfiler une robe.
Le regard de Kovask se durcit.
— Non. Peut-être tout à l’heure, si nous décidons de vous emmener.
Le visage de la jeune femme s’altéra.
— Je ne comprends pas et … Je vais me sentir gênée d’être à demi-nue …
— Aucune importance … Une question. Quand avez-vous connu le premier maître Sigmond ?
Il remarqua que sa respiration se précipitait et que sa poitrine généreuse devenait haletante.
— Sigmond ? … Mais je ne connais personne …
— Inutile, miss. Bien qu’il nie absolument tout ce qui lui est reproché, Sigmond ne cache pas qu’il vous connaît. Il se trouve au Panama en ce moment, mais dans un jour au plus vous serez confrontés.
Elle ferma à demi les yeux.
— Je m’en veux terriblement … Je ne comprends rien absolument à ce que vous me dites … Ce Sigmond …
— Sturgens, voulez-vous aller fouiller le bungalow ?
Cette fois il savait qu’il avait eu raison de bluffer. La jeune femme n’avait pu réprimer un frisson. À demi nue elle pouvait difficilement dissimuler ses réactions physiques.
— De quel droit ? Balbutia-t-elle … Il vous faut un ordre de perquisition …
— Vous êtes bien renseignée. Vous aurez tout le loisir de vous plaindre par la suite, mais je ne pense pas que vous en ayez envie. Qui vous paye ? Dominguin ? Ponomé ?
Brusquement il eut l’impression d’avoir dit une bourde. En quelques secondes la jeune femme reprenait du poil de la bête, comme si elle venait d’avoir la certitude qu’ils en savaient moins qu’ils voulaient bien le dire.
Kovask décida de frapper le grand coup.
— Dominguin est en notre pouvoir … Nous avons usé d’illégalité pour l’arrêter, mais c’est chose faite.
Mercedes Llanera regardait du côté de son pavillon. C’était là-bas qu’ils découvriraient l’essentiel.
— Accompagnez-nous.
— Je refuse … Je ne veux pas entrer chez moi en compagnie de deux hommes.
Kovask eut un rire sardonique.
— Ne craignez rien. Je déteste faire l’amour avec des suspectes.
Elle lui lança un regard meurtrier. Il sentait qu’ils étaient sur la bonne piste, mais quelque chose clochait. Sturgens apparut à la fenêtre. Il fit un signe négatif de la tête. Ça ne marchait pas.
— Occupez-vous d’elle. Laissez-la enfiler une robe, mais méfiez-vous.
Le bungalow comprenait une cuisine, un living, une chambre et une salle d’eau. Un garage préfabriqué était accolé à la façade arrière.
Sturgens avait fouillé partout dans les pièces habitables. Il sortit par la porte de derrière, pénétra dans le garage. Une petite voiture européenne, une Floride, y était entreposée. Il fouilla l’intérieur, ouvrit le coffre. Un paquet de vêtements soigneusement plies et entourés d’une ficelle attira son attention.
D’un coup de canif il trancha l’attache, déplia le tout. D’abord confondu par sa découverte, il se sentit brusquement faible sur ses jambes. Il passa sa main sur son visage, la retira poisseuse de transpiration.
— Salope !
Les vêtements sous le bras il fonça vers l’appartement. Dans une robe d’un gris léger, profondément décolletée, un sourire dédaigneux sur les lèvres, Mercedes Llanera faisait des effets de jambes pour Sturgens.
Quand Kovask entra, elle pâlit affreusement en voyant ce qu’il apportait. Le lieutenant lui jeta ces vêtements à la face et elle poussa un cri horrifié.
— Où sont-elles ? Tu vas le dire immédiatement sinon j’écrase ta belle gueule à coups de talon.
Elle se protégea de son bras, mais il lui envoya quand même une gifle.