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Clayton fumait d’un air maussade. Il devait être très fatigué lui aussi.

— Pourtant, ils ont essayé de liquider votre chimiste junior. Une preuve de leur affolement ?

— Le cadavre de Brown a peut-être été découvert avec un trop grand retard. À quelques heures près, il coïncide avec l’arrivée de David Wilhelm. Ils se sont rendu compte que la restitution du corps n’empêcherait plus notre marche en avant.

En même temps il quitta son siège.

— J’espère qu’ils vont vous le garder en bonne santé à bord de ce rafiot ?

— C’est un gars courageux qui ne s’affole pas inutilement.

Dans la salle des archives, le travail avait repris. Kovask passa derrière chacun, prit quelques notes rapides. Il alla ensuite les étudier dans un coin. Clayton le rejoignit quelques minutes plus tard.

— Regardez … Les plus nombreuses avaries nuisent au fonctionnement des écluses extrêmes … Celles de Gatun et de Miraflores… Plus rarement celle de Pedro Miguel. Mais évidemment le dépouillement de tous les cas n’est pas terminé. Nous n’avons que le quart approximativement des dossiers qui soit épluché.

Cinq minutes plus tard il dormait, affalé sur la table. Clayton s’était éclipsé discrètement pour aller en faire autant dans son bureau.

Quand on réveilla Kovask, il était six heures du matin et un petit jour blafard délavait les vitres. Du moins celles qui étaient fermées.

Hilton se tenait devant lui, frais et dispos. Il avait dû prendre quelque repos lui-même.

Kovask se leva, la bouche pâteuse, les muscles engourdis.

— Venez avec moi, dit mystérieusement le colonel.

Son ton était celui d’un homme qui fait un effort pour ne pas paraître inquiet.

Dans son bureau, il prit un message et le tendit à l’agent de L’O.N.I.

— J’avais demandé que tous les incidents me soient signalés de toute urgence. C’est l’écluse du Lac Gatun …

Il expliqua en même temps que Kovask lisait.

— Deux roulements de pivot ont cédé sous la pression de l’eau, alors qu’un cargo se trouvait dans le sas. Et l’ingénieur affirme que la dernière vérification ne date que de deux jours.

CHAPITRE XII

À huit heures, Clayton et Kovask étaient sur les lieux mêmes du désastre. L’accident s’était produit à la première écluse d’entrée, côté baie de Limon. Tout de suite, le lieutenant réalisa que c’était une chance. Du côté lac de Gatun, l’ouverture d’une porte aurait été catastrophique, avec la pression d’une eau contenue à 26 mètres au-dessus du niveau de la mer.

Le cargo italien Santa-Clara était en travers dans le premier sas, avec sa poupe coincée dans l’angle que faisait la porte démantibulée avec le bajoyer de droite. Les tracteurs électriques de la compagnie s’affairaient, dont plusieurs sur la large chaussée bétonnée qui séparait les écluses parallèles. Le trafic continuait par les sas de gauche, et dans les deux sens.

On les conduisit à l’ingénieur responsable, un type assez jeune malgré son crâne dégarni. Il les accueillit sans grand enthousiasme.

— Le Santa-Clara s’est engagé dans le sas à cinq heures trente. Il manœuvrait avec ses projecteurs de proue, et grâce à ceux que nous utilisons. C’est entre cinq heures trente et six heures que l’accident s’est produit. Le sas était à hauteur et on allait ouvrir les portes d’amont.

Kovask lui tendit une cigarette qu’il refusa.

— Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi la porte s’est rabattue en contresens du courant. Normalement aurait dû s’ouvrir en dehors du sas avec la pression de Peau.

C’était remuer le fer dans la plaie. L’ingénieur tapa du poing dans la paume de son autre main.

— Bien sûr… C’est ce qui s’est produit une fois l’équilibre des eaux revenu, la porte s’est lentement rabattue, parce que le système de verrouillage avait tenu le coup à la base. Le cargo s’était déjà mis en travers.

— Il a du mal ?

— Le safran de son gouvernail brisé, ce n’est pas très grave. Pour le sortir de l’écluse, on va monter un safran sur l’étrave.

L’ingénieur consulta sa montre. Il paraissait nerveux.

— L’ingénieur en chef de la compagnie n’est pas encore là … Peut-être les deux roulements seront-ils complètement démontés quand il arrivera. Je suis allé les examiner … C’est tout bonnement incroyable. On a l’impression qu’un gars s’est acharné dessus pendant des heures, avec une meule portative. Hypothèse invraisemblable, car leur accès est très difficile. Mais vous verrez. Ils ont exactement l’aspect de ces morceaux de fer retirés de la mer après un séjour de plusieurs mois … La rouille en moins évidemment.

Kovask descendit l’échelle de fer, examina les deux roulements éclatés. Il ne s’étonnait plus maintenant que des pièces aussi épaisses aient pu céder. Elles étaient usées, crevassées. Brusquement, il remonta vers les deux hommes.

— Les pivots de l’autre porte ont-ils été vérifiés ?

— Non … By Jove ! … Vous avez raison … Venez.

Suivis par un ouvrier qui portait l’échelle, ils coururent vers les deux portes d’amont, traversèrent le sas. L’ingénieur était tellement impatient de descendre qu’il arracha l’échelle des mains de l’homme, la fixa dans les crampons prévus.

Une fois en bas, il poussa un autre juron.

— Deux encore !

Il remonta à toute vitesse. Kovask comprit ce qu’il allait faire et le suivit. Clayton était quelque peu éberlué de les voir courir, en direction de l’écluse parallèle où se trouvaient deux remorqueurs.

Kovask était pâle.

— Pourvu qu’ils ne cèdent pas maintenant, hein ?

L’ingénieur serra les dents. Les vannes s’ouvraient, vidant le sas. Les deux remorqueurs descendaient lentement au niveau de la baie de Limon. L’ingénieur les planta soudain là et courut vers le poste de commande. Brusquement, une série de signaux rouges se mirent à clignoter.

Les passages sont suspendus …

Les portes s’ouvraient et les moteurs des deux remorqueurs éclatèrent avec une force brutale. L’un après l’autre ils sortirent du sas, longèrent la digue de séparation. Ils venaient certainement prendre la succession des tracteurs électriques.

L’ingénieur n’attendait pas que les portes soient complètement plaquées. Il descendait, pénétrait même dans l’eau. Kovask se penchait vers lui et vit son visage devenir douloureux.

— Ceux-là … aussi … Un miracle qu’ils aient tenu … les deux remorqueurs auraient pu s’éventrer.

Il hocha la tête en désignant l’autre côté du bief.

— L’ingénieur-chef Flanighan … Heureusement que j’ai mes rapports de vérification en date d’avant-hier …

L’ingénieur en chef ressemblait à Farouk avec ses lunettes noires et sa graisse. Il répugna à traverser la passerelle et attendit que son subordonné arrive jusqu’à lui. Son triple menton posa une question au sujet de Clayton et de Kovask. Ce dernier intervint sèchement.

— Je vous présente l’inspecteur-officier Clayton, de la Section spéciale … Lieutenant Kovask de la Navy … ajouta-t-il en se désignant.

Les grosses lèvres huileuses de l’homme esquissèrent une moue.

— Je vous rappelle que la Navy s’occupe, pour une période indéterminée, des questions de sécurité, selon l’ordre d’état d’urgence secret qui a dû vous être notifié.