Clayton était allé interroger le captain Dikson pour essayer de lui arracher de nouvelles précisions, peut-être un détail qui pourrait avoir son importance.
Dans l’après-midi, le rythme de travail des spécialistes devint extrêmement lent, malgré les ventilateurs installés provisoirement. Les gestes mous et les visages aux traits tirés l’énervèrent au point qu’il fila au génie maritime. Par chance, il découvrit un taxi, ce qui était assez extraordinaire à cette heure critique de la journée. Il entra en contact avec Wilhelm à bord du chaland et le chimiste se plaignit d’être dérangé en pleines analyses.
— Je vous ai dit que j’attendais d’être aux écluses de Gatun pour vous donner mes résultats.
La voix du radio ajouta :
— Terminé !
De retour place de France, il rencontra Clayton dans les couloirs.
— Dikson remâche toujours la même chanson. Il ne connaissait que Perez … Il ignore complètement comment on peut le contacter. Il ne pense qu’à cette fille … On le surveille de près, de crainte qu’il n’essaye de se suicider.
Dans le bureau, Kovask s’assit sur une chaise, posa ses pieds sur une autre. Clayton s’écroula derrière son bureau, la tête entre les mains.
— Combien de temps encore ? Combien de jours de ce cirque ? Gémit-il.
Comme l’interphone grésillait, il le fixa, un rictus aux lèvres.
— Hilton qui a besoin de moi pour lui commander un demi, peut-être.
Mais ce n’était pas le colonel. Il tendit le combiné à Kovask.
— Pour vous, et ça vient de loin … San Diego.
La voix du lieutenant de la Navy-Police Sturgens n’était pas trop modifiée par la distance.
— Hello Kovask ! … C’est vrai que tous les records de température sont battus, là-bas ?
Kovask grogna, mais Sturgens continuait, sérieux.
— On a retrouvé le mystérieux Mr. Forge … Oui, mon vieux, un coup de pot terrible … Les gardes-frontières de l’État. Idiot, mais ainsi … On n’avait aucun signalement, aucune piste … Il s’est fait piquer en essayant de passer clandestinement au Mexique. Sur lui, pas mal de microfilms très intéressants … Son véritable nom est Jorge Xantos. Nationalité panaméenne. Pour le moment, il est très réticent, mais on espère l’amener à plus de compréhension …
— Que vous a-t-il dit ?
— Prudent, le monsieur … Rien que des informations déjà connues de nous. Le rôle de Mercedes Llanera, celui de Sigmond … Il a avoué avoir ordonné la liquidation de Mrs. Sigmond et de la petite fille …
— Sur Dominguin et Ponomé ?
— Rien ou presque … J’espère qu’il capitulera bientôt.
Kovask expliqua que Dominguin avait quitté son domaine de Pueblo-Mensabé.
— Essayez de lui soutirer l’endroit où il pourrait se trouver actuellement. C’est très important. A-t-il une idée sur le danger qui menace le canal ?
— Ce triste sire n’a aucune idée. À le croire, il servait uniquement de boîte postale. L’information sur la mutation de l’Evans II à Woods Hole lui a paru aussi importante qu’une autre.
— Et les mille dollars qu’il a filés pour cette information banale à sa complice ? …
— On le lui a gentiment rappelé … Il avait des ordres, paraît-il, concernant tous les bâtiments océanographiques.
— Où comptait-il se réfugier ?
— Au Panama évidemment … Il avait sur lui quelque chose comme quarante mille dollars … Nous avons l’impression qu’il avait aussi des indicateurs dans d’autres milieux, et dans les autres corps d’armée. C’est certainement une huile, mais nous ne sommes pour rien dans sa capture.
— Bien. Dès qu’il y aura du nouveau, pensez à moi. Si je ne suis pas là, laissez un message.
Il raccrocha. Clayton sommeillait dans son fauteuil. Il était quatre heures. Au génie militaire, on savait qu’il se trouvait à la Sécurité. Quand Wilhelm se déciderait à lui communiquer ses résultats, on lui transmettrait son message.
Le colonel se promenait, les mains derrière le dos, dans la salle des archives. Il fonça vers Kovask et Clayton quand ceux-ci entrèrent.
— La presque totalité des rapports est épluchée … Deux fonctionnaires sont en retard, et on attend leurs notes pour les coder … Allez faire un saut à l’Amirauté … Je suis tenu de rester ici, moi … Le gouverneur ne cesse de m’appeler.
Sur le chemin du port, ils prirent le temps de boire un demi de bière. Ils arrivèrent une demi-heure plus tard. Le premier classement était déjà fait, et les électroniciens soumettaient de nouvelles séries. Clayton paraissait fasciné par le fonctionnement du cerveau. Kovask, lui, quitta la pièce, chercha un coin de fraîcheur sous un ventilateur plafonnier.
Un petit groupe d’hommes envahit la salle et il reconnut le commodore Chisholm, entouré de quelques officiers. Il se leva et s’avança à sa rencontre.
— Vous voilà, Kovask … Des résultats ?
— J’attends, commodore.
— Les ordres sont stricts, Kovask … Si nous échouons, les sanctions seront très sévères. Espérez-vous un résultat intéressant de cet immense travail mené en moins de vingt-quatre heures ?
Il allait répondre quand Clayton le rejoignit en coup de vent.
— Une nouvelle série est sortie … Ils sont en train de la transcrire en clair … Si vous veniez voir ?
Le premier classement indiquait que la majorité des incidents techniques avaient causé la détérioration de parties métalliques. Le dernier résultat lui donnait les points les plus fréquemment touchés : les écluses océanes de Miraflores et de Gatun, cette dernière l’emportant de quatre pour cent sur la première.
Une troisième série fut apportée par l’un des techniciens. Le commodore Chisholm le lut à haute voix :
— Heure critique pour les dégradations : entre minuit et cinq heures du matin.
Les autres séries moins nombreuses devenaient plus rapides. Une suite d’informations arriva coup sur coup. Les parties les plus vulnérables des installations paraissaient être les systèmes de verrouillage et les mécanismes de charnière.
— Jusqu’à présent, ces accidents ont été sans gravité remarqua quelqu’un.
Un regroupement d’informations le précisait. L’usure des pièces ne dépassait jamais dix pour cent.
— On dirait que quelqu’un s’est amusé à faire des essais avant d’opérer en grand.
— Il leur était facile de vérifier la bonne marche de leur opération, puisque toutes les réparations se font au vu et au su de tout le monde.
Kovask restait songeur. Il était à moitié déçu. Il s’attendait aux énoncés du cerveau. Il aurait souhaité autre chose, plus de précision.
Il consulta sa montre. Wilhelm devait être à même de donner ses propres résultats.
Quand il arriva aux transmissions, il rencontra le lieutenant Heichelein dont il avait fait la connaissance quelques jours plus tôt. Ils se rendirent ensemble dans la cabine où l’opérateur était en liaison avec le chaland de débarquement.
Le radio de bord répondit immédiatement.
— Mr. Wilhelm vous demande quelques minutes de patience, mon lieutenant.
Kovask fronça le sourcil. Le chimiste se fichait visiblement de lui. Il était cinq heures passées.
— Où vous trouvez-vous actuellement ?
— Dans la baie de Limon.
Kovask sursauta. Brusquement son front se couvrit de transpiration. L’opérateur et Heichelein l’examinaient avec surprise.
— Très bien … Restez à l’écoute … Si Mr. Wilhelm ne peut pas entrer immédiatement en communication avec moi, j’ai un message très important à lui transmettre.