— Entendu.
D’un geste rapide Kovask coupa le contact. La petite lampe-témoin s’éteignit.
— Damned ! … Dites-moi, c’est bien la voix de l’opérateur que nous avons entendue ? Je veux dire de celui qui est de garde depuis hier ?
L’opérateur de la base inclina la tête, puis soudain fronça les sourcils :
— Vous souvenez-vous de ses dernières paroles ?
— Il a dit un seul mot : entendu.
— Il n’a pas ajouté terminé … C’est un jeune qui sort de l’école de transmission, et il appliquait l’enseignement reçu comme un bleusaille quoi ! Or cette fois …
— Vous avez raison, dit Kovask … Et ce qui m’a alerté, c’est qu’ils ne peuvent se trouver dans la baie de Limon.
Les deux hommes attendaient.
— Les écluses de Gatun ne fonctionneront pas de toute la journée, et nous sommes très peu de personnes à le savoir.
Il posa sa main sur le bras de Heichelein.
— Vite, établissez un repérage goniométrique. Le chaland doit se trouver dans le lac de Gatun …
— Je comprends, fit le lieutenant … Il y a tout un coin qui échappe à la surveillance des nôtres.
— S’ils arrivent à franchir la limite de la zone, nous aurons le plus grand mal à récupérer l’équipage et Wilhelm. Le radio devait parler sous la menace d’une arme.
Il serra les dents et son visage se ferma.
— Ils n’allaient pas renoncer comme cela … Ils veulent porter certainement un grand coup … Et pas plus tard que cette nuit, puisque c’est toujours entre minuit et cinq heures qu’ils opèrent.
Dans les couloirs, il courut à la recherche du Commodore Chisholm.
CHAPITRE XIV
Le Sikorsky s’éleva au-dessus de Panama une demi-heure plus tard. Il emportait Kovask et Clayton. Le service goniométrique avait réopéré le chaland L. 4002, à la limite de la zone, alors qu’il allait pénétrer dans la baie de Trinidad. Une vedette du service de surveillance avait pu évaluer sa vitesse à cinq nœuds à l’heure. Dans un quart d’heure, l’hélicoptère survolerait le lac de Gatun. Le chaland se trouverait en pleine baie de Trinidad. Au fond de celle-ci, l’îlot de San-José appartenait à la zone américaine, et était occupé par quelques marines disposant d’un puissant émetteur. C’est eux qui avaient servi à la triangulation.
La section de Marines avait reçu l’ordre de se tenir en état d’alerte, et de patrouiller dans le fond de la baie. Kovask se maudissait. Il avait négligé la sécurité de David Wilhelm. L’équipage du chaland se composait de l’enseigne commandant de bord, de quatre marins, d’un mécanicien et d’un radio. Seul l’enseigne était armé. Un commando de l’Unitad, quelques hommes décidés, avaient eu facilement raison de cet effectif. Il ne pensait pas que le chimiste ait pu être tué. Tant que les agresseurs seraient dans les eaux plus ou moins bien délimitées, ils n’oseraient pas perpétrer un crime qu’ils pourraient payer cher. Enfin, jusqu’au bout, ils se serviraient de l’équipage et de Wilhelm comme otages.
Le pilote se tourna vers, eux et désigna le lac de Gatun, le tracé balisé du canal à la sortie du détroit de Barro Colorado. L’aide-pilote se débarrassa de son casque d’écoute et Kovask le coiffa. Il se mit en position d’inter.
— Nous sommes à six cents pieds environ. Je vais rester à cette hauteur jusqu’à ce que nous repérions le sabot. Ce sera facile … Forme caractéristique. Quelles sont vos instructions ?
— Vous descendrez jusqu’à deux cents pieds, que nous puissions observer ce qui se passe à bord.
Cinq minutes plus tard, le L. 4002 apparaissait, se dirigeant vers le sud-ouest. Son hélice laissait un sillage nettement démarqué sur l’eau verte de la baie.
— Il fonce pleins gaz … Le pont paraissait désert.
— Ils ne disposent certainement pas d’armes assez puissantes pour nous causer du mal, dit Kovask … Pendant que votre aide-pilote balaierait le pont avec son pistolet-mitrailleur, nous pourrions nous laisser tomber sur le pont. L’inspecteur et moi sommes armés. Nous essayerions de gagner le gaillard-arrière ou l’entrepont, au moins, à condition que vous continuiez de nous couvrir.
Le pilote hocha la tête d’un air peu convaincu.
— C’est de la folie … Mais je suis entièrement à vos ordres. Je vais le dépasser puis revenir vers lui. Don tirera par le côté, et vous descendrez de l’autre.
Quand la manœuvre fut amorcée, le chaland parut se rapprocher à toute vitesse. L’aide-pilote Don visa le poste de navigation, et lâcha de courtes rafales. L’hélicoptère plongea brusquement, ne se trouva plus qu’à une vingtaine de pieds au-dessus du pont. C’était encore beaucoup trop. Graduellement, il réduisit sa hauteur jusqu’à douze pieds environ. Kovask était déjà engagé. Il se cramponna un instant aux fixe-brancards, lâcha tout. Il boula sur le pont, glissa d’une détente derrière la surélévation du panneau de cale. Plusieurs balles vinrent déchiqueter le caillebotis tout autour de lui. Un choc sourd l’avertit que Clayton venait de prendre pied lui aussi. Le vent du rotor, puis celui de l’hélice anti-couple le balayèrent. Le Sikorsky prenait de la hauteur, virait pour se maintenir à l’arrière du chaland. De temps en temps, l’aide-pilote tirait une rafale.
Clayton rampa à sa hauteur.
— J’ai failli tomber à la flotte … Vous voyez quelque chose ?
— Non, mais si vous me couvriez, je pourrais me glisser le long de la coque, en m’aidant du dernier câble de la rambarde.
En quelques bonds il atteignit celle-ci, parut basculer dans l’eau. Clayton vit ses deux mains courir le long du câble en direction du gaillard-arrière. Elles disparurent à sa vue, mais il continua de tirailler.
Kovask se hissa à nouveau sur le pont dans la coursive étroite. Il se lança contre une porte, mais la cambuse était vide. Tous les marins avaient dû être regroupés dans la cale, sauf le navigateur de quart et le radio. Ils pouvaient fort bien avoir laissé Wilhelm dans sa cabine. Il ressortit, longeant la coursive.
Une rafale le plaqua contre la cloison, mais c’était l’aide-pilote de l’hélicoptère qui tiraillait. Il agita son mouchoir et le nommé Don dut le reconnaître, car il cessa de tirer. À l’arrière se trouvait l’écoutille d’ancres puis entre elle et le château, l’écoutille de cale, ouverte.
Lentement, il se hissa sur les tôles surchauffées du toit de la cambuse, rampant vers le poste de navigation qui faisait saillie à l’avant du château.
Il aperçut la coiffure blanche du marin américain à la barre. Une silhouette se tenait derrière lui. Il tourna les yeux vers l’avant, distingua l’ombre portée par le soleil couchant de son ami Clayton, dissimulé par le panneau de cale.
Par expérience, il savait que les vitres du poste de navigation étaient très épaisses et qu’il ne pouvait tirer sans risque pour le marin.
Du toit de la cambuse, il passa sur le rouf des cabines. Le chaland frémissait sous la pulsation des diesels poussés à fond, mais il avait peur d’être entendu. Toujours dans le cas où Wilhelm serait en compagnie d’un des agresseurs.
Le profil de la baie se rétrécissait. Ils étaient depuis longtemps en dehors de la zone américaine. Il se lança sur le rouf, sauta sur la passerelle. En quelques secondes, il atteignait le poste de navigation, tirait sans sommation sur le Panaméen qui se tournait vers lui, un gros automatique à la main. Le marin, abasourdi, regarda l’homme basculer et rouler sous la table des cartes. Il reconnut Kovask et sourit.
— Formidable ! Dit-il … On vous croyait encore derrière le panneau à l’avant.