— Combien sont-ils ?
— Quatre … Un avec le savant, deux avec les copains dans la salle des moteurs.
Kovask ramassa l’arme de l’homme et la tendit au matelot.
— Nous ont drôlement eus ! … Sont venus se foutre par le travers avec une barcasse de rien du tout … On n’a pas eu le temps de les éviter … Ils gueulaient qu’ils savaient pas nager … Il a bien fallu leur descendre une échelle … Jusqu’à ce que le « yeutenant » se trouve avec ça sous le nez …
Kovask quitta le poste, se dirigea vers la cabine-laboratoire. L’hélicoptère suivait à une vingtaine de mètres. Il agita le bras dans sa direction.
Comme pour l’homme du poste de navigation, il ouvrit brutalement la porte, tira vers le bas. Wilhelm assis sur sa couchette sursauta, tandis que son gardien, une balle dans la cuisse, se tordait à ses pieds. Kovask l’assomma sans ménagement, regarda avec consternation le désordre qui régnait autour de lui. Ils s’étaient acharnés sur tous les appareils, avec une rage stupide, et des débris de verre crissaient sous ses souliers. Wilhelm haussa les épaules.
— Tant pis ! … De toute façon ils n’ont pu détruire ce que j’ai là.
Il se tapotait le front. Il ne paraissait pas tellement surpris de l’arrivée de l’homme de L’O.N.I. Kovask désarmait l’homme à terre. Il tendit le colt à Wilhelm qui, cette fois, parut frappé de stupeur.
— Vous pourrez vous en servir ?
— Hum … J’essayerai.
Kovask passa sur la coursive, appela Clayton. Ce dernier accourut rapidement.
— Vous et Wilhelm allez descendre dans la cale par l’écoutille d’avant. Le marin et moi par celle d’arrière. Ils seront cernés et j’espère qu’ils se rendront rapidement.
Dans le poste de pilotage, il fit bloquer la barre, poussa la manette du chadburn sur le stop. Presqu’aussitôt, le régime des moteurs tomba.
— Venez avec moi … Comment se fait-il que l’homme qui vous gardait n’ait pu alerter ses compagnons du bas ?
— Quand l’agression a eu lieu, je n’ai eu que le temps d’écraser le tube acoustique d’un coup de pied. J’ai pensé que ça pourrait toujours servir. Pouvait pas me laisser seul pour prévenir les copains.
— C’était le chef ?
— Sûr … Perez que les autres l’appelaient. Kovask jura. Un des principaux maillons du réseau, et il l’avait tué.
— L’échelle donne droit dans la petite soute, ensuite c’est la salle des machines, puis la grande cale complètement vide mais qui peut contenir une douzaine de jeeps.
Le premier il se glissa dans le puits, attendit Kovask au fond. Une détonation assourdie leur parvint.
— Vos copains sont en pleine bagarre. Je crois que c’est le moment. Ils sont que deux après tout.
Il ouvrit la porte de séparation étroite et aux angles arrondis. Une série de quatre lampes éclairait la salle des machines. Derrière le groupe Diesel, ils aperçurent l’enseigne et les matelots, le dos tourné au mur. Kovask se glissa dans l’ouverture, contourna les moteurs, se heurta à un grand nègre qui balançait son automatique à bout de bras. Le poing de Kovask essaya de le cueillir à la pointe du menton, mais l’autre feinta, érafla du canon de son arme la joue du lieutenant.
Plusieurs coups de feu parvinrent de la grande cale. Clayton et Wilhelm occupaient l’autre Panaméen. Brusquement, le Noir fut sur lui, crocha ses doigts longs et puissants dans le cou de Kovask, se renversa sur lui, l’écrasant de sa masse. Privé d’air, il réagit sauvagement, mais rien ne paraissait vouloir faire lâcher prise à son agresseur. Il ramena ses mains à hauteur des pouces de l’homme, mais ce dernier avait une force d’hercule dans les doigts.
Déjà, il voyait la face sombre et grimaçante dans un nuage rouge. Il puisa dans sa peur ses dernières forces, réussit à lever ses mains, et les pouces durcis, chercha les yeux de son étrangleur. Le Noir poussa un hurlement de douleur. Kovask continua de presser sur les boules frémissantes. Peu à peu, l’homme relâchait son étreinte. Soudain, il l’abandonna pour se défendre à son tour. Ce qu’attendait Kovask qui, de ses deux poings réunis, lui asséna un formidable coup de bélier en pleine pomme d’Adam.
Le noir partit à la renverse, puis tomba sur le côté, à demi-asphyxié par l’écrasement de son larynx. Fou de rage, Kovask se dressa sur les genoux, lui donna un coup violent en pleine face, faisant éclater le nez épaté.
Il s’aida des canalisations pour se redresser, respira à plusieurs reprises. Agenouillé derrière un des moteurs, le marin tirait sur le dernier Panaméen. Quand il eut repris son souffle et quelques forces, il continua vers la droite, enjamba l’arbre d’hélice.
Le Panaméen s’était réfugié derrière une armoire métallique rivée à la coque. Kovask n’apercevait de lui qu’une main armée d’un pistolet qui tressautait à chaque détonation. Il revint sur ses pas, ramassa les deux armes, la sienne et celle du nègre. Ce dernier râlait comme s’il agonisait et portait des mains crispées sur sa gorge défoncée.
Il sut que jamais il ne pourrait tirer. Sa main tremblait encore. Il s’agenouilla, coinça son arme dans son coude gauche. Il visa lentement la main, tira deux fois.
La tête lui tournait tandis qu’il marchait vers le réduit du Panaméen. Ce dernier essayait de ramasser son arme tombée, de sa main gauche. Il l’écrasa, abattit sa crosse sur les cheveux huilés.
Il resta ainsi une minute, respirant avec délices l’air empuanti par le fuel.
— Le compte y est ? Demanda Clayton en s’approchant de lui. Malheureusement, l’enseigne est rudement touché. Ce salaud lui a tiré dessus, dit-il en désignant le dernier Panaméen, assommé par Kovask.
— Les autres ?
— Le mécanicien a eu la main traversée, par une balle. Mais dites-donc, vous êtes blême …
— Rien … Ça revient doucement. L’enseigne était étendu sur les caillebotis.
Il respirait de plus en plus difficilement et avait perdu connaissance. Kovask écouta avec attention, examina ses vêtements.
— Certainement un poumon traverse … Il faut le transporter d’urgence à Panama …
— L’hélicoptère ?
— Oui … Vous rentrerez avec eux … Pour me rejoindre avec la bagnole si besoin est … Wilhelm va nous faire part de ses constatations.
Un marin était allé prendre le brancard de secours. Ils remontèrent le blessé à l’air libre.
L’hélicoptère se rapprocha lentement du pont, se posa. Les marins se ruèrent pour l’empêcher de déraper.
La fixation du brancard demanda un certain temps, car ce n’était pas le modèle utilisé pour ce genre de sauvetage. Clayton monta dans la cellule vitrée.
— Je vous transmettrai les instructions … Il va certainement y avoir du neuf cette nuit.
Sans attendre le départ du Sikorsky, il rejoignit Wilhelm dans le laboratoire. Le chimiste regardait autour de lui avec un sourire fataliste.
— Idiot, complètement idiot ! Ils se sont acharnés comme des gosses !
Kovask alluma une cigarette, s’assit sur la couchette.
— Était-ce justifié ?
— Plus que vous ne croyez … Vous savez que je n’ai pu faire mes analyses aux écluses de Gatun à cause de ces énergumènes ? Et maintenant …
— Était-ce indispensable ?
— Pour une meilleure certitude … Pouvons-nous nous y rendre ? La seule chose d’intacte est mon microscope personnel … Je l’avais laissé dans son étui, et ils n’y ont pas touché. Malheureusement, mon émetteur d’ultrasons, du moins celui que m’avait prêté le génie maritime, est en morceaux … Peut-être que le personnel de l’écluse en possède un ? Pour la vérification de certaines pièces de fonderie …