— Ils avaient tous une petite meule portative et un groupe électrogène ? C’est tout ce que vous avez comme ingénieur en chef ? Nous avons découvert autre chose, nous … Mais je vous présente David Wilhelm, chimiste. Il va faire quelques prélèvements dans le sas et dans le bief. Avez-vous un sondeur à ultrasons ?
— Un Sperry …
— Parfait ! S’exclama Wilhelm. Ce sera plus pratique pour déterminer les quantités.
Une demi-heure plus tard, le chimiste put leur montrer l’accumulation de particules dans une cuve en verre, dont une des parois était garnie d’une feuille métallique. C’était inouï de voir ce que pouvait contenir un litre d’eau.
— Satisfait ? Demanda-t-il aux deux hommes.
L’ingénieur restait éberlué. Kovask lui tapa amicalement sur l’épaule.
— C’est Flanighan qui va en prendre un sérieux coup ! Il se couvrira de ridicule, le pauvre vieux.
Le message de l’Amirauté arriva sur ces entrefaites. Le bateau qui avait été localisé sur la longitude était le Coban, un cargo du Guatemala. Le bâtiment étant en dehors des eaux territoriales, il n’avait pas été possible de lui demander les raisons de sa présence.
— Ne croyez-vous pas que la nuit, il pénètre dans les eaux territoriales pour améliorer son angle d’incidence ?
Wilhelm fit la moue.
— Je ne le pense pas.
— Tant pis, dit Kovask avec force. Nous le capturerons quand même.
— Ne cherchent-ils pas un incident de ce genre ?
Kovask eut un sourire entendu et passa dans le poste de navigation. Il rédigea un message assez long, puis le fit coder par le radio, avant qu’il ne soit transmis.
— Cette nuit sera décisive, annonça-t-il à Wilhelm. L’ingénieur avait rejoint son poste. Je viens de demander que d’importants moyens soient mis à ma disposition. Le commodore Chisholm et le colonel Hilton seront là dans quelques heures. Nous commencerons à partir de minuit. Plus précisément à partir du moment où le Coban commencera ses émissions d’ultrasons.
— Comptez-vous utiliser des hommes-grenouilles ?
— Je ne sais pas encore, pourquoi ? Le visage de Wilhelm était grave.
— Leur fréquence d’émission peut être dangereuse pour un nageur. Je me suis étonné que l’on ne trouve pas de cadavres d’animaux ou de poissons notamment, mais ces derniers ont dû fuir.
Il rit.
— Nous aurions peut-être découvert tout cela en écoutant les doléances des pêcheurs du coin.
CHAPITRE XV
À dix heures du soir, plusieurs personnes étaient réunies dans le bureau du capitaine Husson, directeur des services de sécurité de Cristobal et adjoint du colonel Hilton. Le commander Tucker, commandant la base de Cristobal, se trouvait à gauche du commodore Chisholm. De l’autre côté de la longue table étaient assis Wouters, délégué par le gouverneur, Kovask ayant à sa droite Clayton et Wilhelm.
Kovask parlait depuis une demi-heure. Il avait fait un rapide retour en arrière, expliqué pourquoi l’Evans II avait coulé dans le Golfe de Panama, comment il avait été amené à supposer que des adversaires inconnus faisaient peser un danger certain sur le Canal. Il avait ensuite exposé ses preuves.
— Nous savons maintenant comment ces hommes s’y prennent pour saboter nos installations. David Wilhelm pourrait vous en fournir une preuve immédiate. Je crois que le temps nous manque, mais je lui demande de vous expliquer le procédé employé.
Wilhelm eut un regard intimidé puis commença ses démonstrations. Peu à peu, sa voix s’affermit. La stupeur de tous ceux qui n’avaient pas assisté à l’expérience du chimiste était évidente.
Le commodore Chisholm adressa un regard de compréhension à Kovask. Il appréciait maintenant le système de parade que le lieutenant lui avait demandé de mettre en place. Un escorteur côtier de la Guard Coast patrouillait au large de Colon, dans les eaux territoriales, et disposait d’écouteurs ultra-soniques. Deux vedettes rapides étaient dans le port de Cristobal, ainsi qu’un vieux L.T.C. citerne, qui devait être vendu à la ferraille, le mois suivant.
Wilhelm avait un accent de véracité qui les convainquait peu à peu.
— Ne nous fions pas à ce que nous connaissons … Certains pays ont fait des progrès énormes dans le domaine des ultrasons, et la construction de paraboliques d’une grandeur inusitée à l’aide d’une céramique spéciale n’est pas impossible. La difficulté était l’orientation d’un pareil faisceau d’ondes, mais elle semble avoir été résolue.
— Mais par gros temps ? Demanda le commander Tucker … Leur tâche ne serait pas aisée ?
— Bien sûr. Aussi ils profitent de cette période de calme plat. Et cette nuit ils détruiront tout le travail accompli aujourd’hui aux écluses de Gatun.
Wilhelm se tut et Kovask prit immédiatement la parole.
— Je crois que nous devons nous rendre aux Transmissions navales. Dans quelques instants, nous pourrons obtenir des précisions sur le cargo Coban. L’escorteur « Caroline » doit nous donner tous les détails obtenus avec son radar.
Deux voitures emportèrent les huit personnes. Aux Transmissions, un enseigne de première classe décodait les messages reçus. Il les apporta ensuite à son chef, le commander Tucker qui en donna lecture.
— Voici les caractéristiques de ce cargo. Longueur 88 yards un pied deux pouces … Largeur 30 yards trois pouces … quinze cents tonnes de déplacement. Il est immobilisé à moins d’un mille de la limite des eaux territoriales. L’avant est dirigé vers le large.
Kovask lui coupa la parole.
— Prêt à s’enfuir à la moindre alerte. Vitesse supposée ?
— Quinze à dix-huit nœuds à l’heure. Les écrans radar donnent une étrange configuration du cargo. L’arrière est surmonté d’un énorme portique incliné à 45° au-dessus de la surface des eaux.
Wilhelm eut un sourire de triomphe.
— Évidemment, il faut une installation robuste pour faire descendre l’énorme parabolique dont il doit être muni. Ils n’ont eu aucun écho d’ultrasons ?
— Ce n’est pas précisé, dit le commander Tucker. L’escorteur « Caroline » poursuit ses investigations à distance raisonnable.
— Pense-t-on à bord que le Coban soit muni de radars suffisamment puissants pour le détecter ?
— Nous allons leur poser la question.
La réponse fut rapide. Le Coban avait un important dispositif radar.
— Je ne crois pas que le Caroline l’inquiète, dit Kovask … Il n’y a qu’à lui donner l’ordre de revenir vers le port … Il est normal que la Guard Coast fasse une enquête sur ce bâtiment immobilisé depuis quelques jours au large des côtes.
À ce propos, le commander Tucker avait apporté une précision. Cela faisait trois jours exactement que le cargo guatémaltèque se trouvait là.
— Je me suis permis de faire des recherches, ajouta-t-il. Le Coban a franchi le canal à plusieurs reprises, ces dernières semaines.
Kovask dressa l’oreille.
— Combien exactement ?
— Quatre allées et venues … À une semaine d’intervalle.
Le lieutenant se tourna vers le commodore Chisholm.
— Cela correspondrait aux dégradations constatées du côté de Miraflores. Ils se livraient à des essais, et c’est lorsqu’ils ont été certains que leur appareil était au point qu’ils ont opéré en grand … Exactement comme la nuit dernière.
— Il faut dire que nous les avons précipités … Surtout vous, lieutenant Kovask.
Clayton lui enfonça son coude dans les côtes.
— À quand le petit filet doré entre vos deux barrettes ?[1] murmura-t-il.
1
Les insignes de lieutenant (lieutenant de vaisseau) se composent de deux barrettes dorées, mais celles de lieutenant-commander (cap. De corvette) sont séparées par un mince filet doré.