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Au bout de quelque temps, elle revint seule, rassurée par sa réserve. Alors il la traita en amie, en camarade, lui parla de sa vie, ses projets, de son art, comme à un frère.

Séduite par cet abandon, elle prit avec joie ce rôle de conseillère, flattée qu’il la distinguât ainsi des autres femmes et convaincue que son talent gagnerait de la délicatesse à cette intimité intellectuelle. Mais à force de la consulter et de lui montrer de la déférence, il la fit passer, naturellement, des fonctions de conseillère au sacerdoce d’inspiratrice. Elle trouva charmant d’étendre ainsi son influence sur le grand homme, et consentit à peu près à ce qu’il l’aimât en artiste, puisqu’elle inspirait ses œuvres.

Ce fut un soir, après une longue causerie sur les maîtresses des peintres illustres, qu’elle se laissa glisser dans ses bras. Elle y resta, cette fois, sans essayer de fuir, et lui rendit ses baisers.

Alors, elle n’eut plus de remords, mais le vague sentiment d’une déchéance, et pour répondre aux reproches de sa raison, elle crut à une fatalité. Entraînée vers lui par son cœur qui était vierge, et par son âme qui était vide, la chair conquise par la lente domination des caresses, elle s’attacha peu à peu, comme s’attachent les femmes tendres, qui aiment pour la première fois.

Chez lui, ce fut une crise d’amour aigu, sensuel et poétique. Il lui semblait parfois qu’il s’était envolé, un jour, les mains tendues, et qu’il avait pu étreindre à pleins bras le rêve ailé et magnifique qui plane toujours sur nos espérances.

Il avait fini le portrait de la comtesse, le meilleur, certes, qu’il eût peint, car il avait su voir et fixer ce je ne sais quoi d’inexprimable que presque jamais un peintre ne dévoile, ce reflet, ce mystère, cette physionomie de l’âme qui passe, insaisissable, sur les visages.

Puis des mois s’écoulèrent, et puis des années qui desserrèrent à peine le lien qui unissait l’un à l’autre la comtesse de Guilleroy et le peintre Olivier Bertin. Ce n’était plus chez lui l’exaltation des premiers temps, mais une affection calmée, profonde, une sorte d’amitié amoureuse dont il avait pris l’habitude.

Chez elle, au contraire, grandit sans cesse l’attachement passionné, l’attachement obstiné de certaines femmes qui se donnent à un homme pour tout à fait et pour toujours. Honnêtes et droites dans l’adultère comme elles auraient pu l’être dans le mariage, elles se vouent à une tendresse unique dont rien ne les détournera. Non seulement elles aiment leur amant, mais elles veulent l’aimer, et les yeux uniquement sur lui, elles occupent tellement leur cœur de sa pensée, que rien d’étranger n’y peut plus entrer. Elles ont lié leur vie avec résolution, comme on se lie les mains, avant de sauter à l’eau du haut d’un pont, lorsqu’on sait nager et qu’on veut mourir.

Mais à partir du moment où la comtesse se fut donnée ainsi, elle se sentit assaillie de craintes sur la constance d’Olivier Bertin. Rien ne le tenait que sa volonté d’homme, son caprice, son goût passager pour une femme rencontrée un jour comme il en avait déjà rencontré tant d’autres ! Elle le sentait si libre et si facile à tenter, lui qui vivait sans devoirs, sans habitudes et sans scrupules, comme tous les hommes ! Il était beau garçon, célèbre, recherché, ayant à la portée de ses désirs vite éveillés toutes les femmes du monde dont la pudeur est si fragile, et toutes les femmes d’alcôve ou de théâtre prodigues de leurs faveurs avec des gens comme lui. Une d’elles, un soir, après souper, pouvait le suivre et lui plaire et le garder.

Elle vécut donc dans la terreur de le perdre, épiant ses allures, ses attitudes, bouleversée par un mot, pleine d’angoisse dès qu’il admirait une autre femme, vantait le charme d’un visage, ou la grâce d’une tournure. Tout ce qu’elle ignorait de sa vie la faisait trembler, et tout ce qu’elle en savait l’épouvantait. À chacune de leurs rencontres, elle devenait ingénieuse à l’interroger, sans qu’il s’en aperçût, pour lui faire dire ses opinions sur les gens qu’il avait vus, sur les maisons où il avait dîné, sur les impressions les plus légères de son esprit. Dès qu’elle croyait deviner l’influence possible de quelqu’un, elle la combattait avec une prodigieuse astuce, avec d’innombrables ressources.

Oh ! Souvent elle pressentit ces courtes intrigues, sans racines profondes, qui durent huit ou quinze jours, de temps en temps, dans l’existence de tout artiste en vue.

Elle avait, pour ainsi dire, l’intuition du danger, avant même d’être prévenue de l’éveil d’un désir nouveau chez Olivier, par l’air de fête que prennent les yeux et le visage d’un homme que surexcite une fantaisie galante.

Alors elle commençait à souffrir ; elle ne dormait plus que des sommeils troublés par les tortures du doute. Pour le surprendre, elle arrivait chez lui sans l’avoir prévenu, lui jetait des questions qui semblaient naïves, tâtait son cœur, écoutait sa pensée, comme on tâte, comme on écoute, pour connaître le mal caché dans un être.

Et elle pleurait sitôt qu’elle était seule, sûre qu’on allait le lui prendre cette fois, lui voler cet amour à qui elle tenait si fort parce qu’elle y avait mis, avec toute sa volonté, toute sa force d’affection, toutes ses espérances et tous ses rêves.

Aussi, quand elle le sentait revenir à elle, après ces rapides éloignements, elle éprouvait à le reprendre, à le reposséder comme une chose perdue et retrouvée, un bonheur muet et profond qui parfois, quand elle passait devant une église, la jetait dedans pour remercier Dieu.

La préoccupation de lui plaire toujours, plus qu’aucune autre, et de le garder contre toutes, avait fait de sa vie entière un combat ininterrompu de coquetterie. Elle avait lutté pour lui, devant lui, sans cesse, par la grâce, par la beauté, par l’élégance. Elle voulait que partout où il entendrait parler d’elle, on vantât son charme, son goût, son esprit et ses toilettes. Elle voulait plaire aux autres pour lui et les séduire afin qu’il fût fier et jaloux d’elle. Et chaque fois qu’elle le devina jaloux, après l’avoir fait un peu souffrir elle lui ménageait un triomphe qui ravivait son amour en excitant sa vanité.

Puis comprenant qu’un homme pouvait toujours rencontrer, par le monde, une femme dont la séduction physique serait plus puissante, étant nouvelle, elle eut recours à d’autres moyens : elle le flatta et le gâta.

D’une façon discrète et continue, elle fit couler l’éloge sur lui ; elle le berça d’admiration et l’enveloppa de compliments, afin que, partout ailleurs, il trouvât l’amitié et même la tendresse un peu froides et incomplètes, afin que si d’autres l’aimaient aussi, il finît par s’apercevoir qu’aucune ne le comprenait comme elle.

Elle fit de sa maison, de ses deux salons où il entrait si souvent, un endroit où son orgueil d’artiste était attiré autant que son cœur d’homme, l’endroit de Paris où il aimait le mieux venir parce que toutes ses convoitises y étaient en même temps satisfaites.

Non seulement, elle apprit à découvrir tous ses goûts, afin de lui donner en les rassasiant chez elle, une impression de bien-être que rien ne remplacerait, mais elle sut en faire naître de nouveaux, lui créer des gourmandises de toute sorte, matérielles ou sentimentales, des habitudes de petits soins, d’affection, d’adoration, de flatterie ! Elle s’efforça de séduire ses yeux par des élégances, son odorat par des parfums, son oreille par des compliments et sa bouche par des nourritures.