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« Ah ! L’exquise soirée ! » dit-il, dès qu’il se retrouva entre elles à la lumière des lampes.

Annette s’écria :

« Je n’ai pas du tout besoin de dormir, moi ; je passerais toute la nuit à me promener quand il fait beau. »

La comtesse regarda la pendule :

« Oh ! Il est onze heures et demie. Il faut se coucher, mon enfant. »

Ils se séparèrent, chacun allant vers son appartement. Seule, la jeune fille qui n’avait pas envie de se mettre au lit, dormit bien vite.

Le lendemain, à l’heure ordinaire, lorsque la femme de chambre, après avoir ouvert les rideaux et les auvents, apporta le thé et regarda sa maîtresse encore ensommeillée, elle lui dit :

« Madame a déjà meilleure mine aujourd’hui.

— Vous croyez ?

— Oh oui ! La figure de Madame est plus reposée. »

La comtesse, sans s’être encore regardée, savait bien que c’était vrai. Son cœur était léger, elle ne le sentait pas battre, et elle se sentait vivre. Le sang qui coulait en ses veines n’était plus rapide comme la veille, chaud et chargé de fièvre, promenant en toute sa chair de l’énervement et de l’inquiétude, mais il y répandait un tiède bien-être, et aussi de la confiance heureuse.

Quand la domestique fut sortie, elle alla se voir dans la glace. Elle fut un peu surprise, car elle se sentait si bien qu’elle s’attendait à se trouver rajeunie, en une seule nuit, de plusieurs années. Puis elle comprit l’enfantillage de cet espoir, et, après s’être encore regardée, elle se résigna à constater qu’elle avait seulement le teint plus clair, les yeux moins fatigués, les lèvres plus vives que la veille. Comme son âme était contente, elle ne pouvait s’attrister, et elle sourit en pensant : « Oui, dans quelques jours, je serai tout à fait bien. J’ai été trop éprouvée pour me remettre si vite. »

Mais elle resta longtemps, très longtemps assise devant sa table de toilette où étaient étalés, dans un ordre gracieux, sur une nappe de mousseline bordée de dentelles, devant un beau miroir de cristal taillé, tous ses petits instruments de coquetterie à manche d’ivoire portant son chiffre coiffé d’une couronne. Ils étaient là, innombrables, jolis, différents, destinés à des besognes délicates et secrètes, les uns en acier, fins et coupants, de formes bizarres, comme des outils de chirurgie pour opérer des bobos d’enfant, les autres ronds et doux, en plume, en duvet, en peau de bêtes inconnues, faits pour étendre sur la chair tendre la caresse des poudres odorantes, des parfums gras ou liquides.

Longtemps elle les mania de ses doigts savants, promena de ses lèvres à ses tempes leur toucher plus moelleux qu’un baiser, corrigeant les nuances imparfaitement retrouvées, soulignant les yeux, soignant les cils. Quand elle descendit enfin, elle était à peu près sure que le premier regard qu’il lui jetterait ne serait pas trop défavorable.

« Où est M. Bertin ? » demanda-t-elle au domestique rencontré dans le vestibule.

L’homme répondit :

« M. Bertin est dans le verger, en train de faire une partie de lawn-tennis avec Mademoiselle. »

Elle les entendit de loin crier les points.

L’une après l’autre, la voix sonore du peintre et la voix fine de la jeune fille annonçaient : quinze, trente, quarante, avantage, à deux, avantage, jeu.

Le verger où avait été battu un terrain pour le lawn-tennis était un grand carré d’herbe planté de pommiers enclos par le parc, par le potager et par les fermes dépendant du château. Le long des talus qui le limitaient de trois côtés, comme les défenses d’un camp retranché, on avait fait pousser des fleurs, de longues plates-bandes de fleurs de toutes sortes, champêtres ou rares, des roses en quantité, des œillets, des héliotropes des fuchsias, du réséda, bien d’autres encore, qui donnaient à l’air un goût de miel, ainsi que disait Bertin. Des abeilles, d’ailleurs, dont les ruches alignaient leurs dômes de paille le long du mur aux espaliers du potager, couvraient ce champ fleuri de leur vol blond et ronflant.

Juste au milieu de ce verger on avait abattu quelques pommiers, afin d’obtenir la place nécessaire au lawn-tennis, et un filet goudronné, tendu par le travers de cet espace, le séparait en deux camps.

Annette, d’un côté, sa jupe noire relevée, nu-tête montrant ses chevilles et la moitié du mollet lorsqu’elle s’élançait pour attraper la balle au vol, allait, venait courait, les yeux brillants et les joues rouges, fatiguée, essoufflée par le jeu correct et sûr de son adversaire.

Lui, la culotte de flanelle blanche serrée aux reins sur la chemise pareille, coiffé d’une casquette à visière, blanche aussi, et le ventre un peu saillant, attendait la balle avec sang-froid, jugeait avec précision sa chute, la recevait et la renvoyait sans se presser, sans courir, avec l’aisance élégante, l’attention passionnée et l’adresse professionnelle qu’il apportait à tous les exercices.

Ce fut Annette qui aperçut sa mère. Elle cria :

« Bonjour, maman ; attends une minute que nous ayons fini ce coup-là. »

Cette distraction d’une seconde la perdit. La balle passa contre elle, rapide et basse, presque roulante, toucha terre et sortit du jeu.

Tandis que Bertin criait : « Gagné », que la jeune fille, surprise, l’accusait d’avoir profité de son inattention, Julio, dressé à chercher et à retrouver, comme des perdrix tombées dans les broussailles, les balles perdues qui s’égaraient, s’élança derrière celle qui courait devant lui dans l’herbe, la saisit dans la gueule avec délicatesse, et la rapporta en remuant la queue.

Le peintre, maintenant, saluait la comtesse ; mais, pressé de se remettre à jouer, animé par la lutte, content de se sentir souple, il ne jeta sur ce visage tant soigné pour lui qu’un coup d’œil court et distrait ; puis il demanda :

« Vous permettez, chère comtesse ? J’ai peur de me refroidir et d’attraper une névralgie.

— Oh ! oui », dit-elle.

Elle s’assit sur un tas de foin, fauché le matin même, pour donner champ libre aux joueurs, et, le cœur un peu triste tout à coup, les regarda.

Sa fille, agacée de perdre toujours, s’animait, s’excitait, avait des cris de dépit ou de triomphe, des élans impétueux d’un bout à l’autre de son camp, et, souvent, dans ces bonds, des mèches de cheveux tombaient, déroulées, puis répandues sur ses épaules. Elle les saisissait, et, la raquette entre les genoux, en quelques secondes, avec des mouvements impatients, les rattachait en piquant des épingles, par grands coups, dans la masse de la chevelure.

« Hein ! Est-elle jolie ainsi, et fraîche comme le jour ? »

Oui, elle était jeune, elle pouvait courir, avoir chaud, devenir rouge, perdre ses cheveux, tout braver, tout oser, car tout l’embellissait.

Puis, quand ils se remettaient à jouer avec ardeur la comtesse, de plus en plus mélancolique, songeait qu’Olivier préférait cette partie de balle, cette agitation d’enfant, ce plaisir des petits chats qui sautent après des boules de papier, à la douceur de s’asseoir près d’elle, en cette chaude matinée, et de la sentir, aimante, contre lui.