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Il se demandait en fouillant sa mémoire si la comtesse, en son plus complet épanouissement, avait eu ce charme souple de chèvre, ce charme hardi, capricieux, irrésistible, comme la grâce d’un animal qui court et qui saute. Non. Elle avait été plus épanouie et moins sauvage. Fille des villes, puis femme des villes, n’ayant jamais bu l’air des champs et vécu dans l’herbe, elle était devenue jolie à l’ombre des murs, et non pas au soleil du ciel.

Quand ils furent rentrés au château, la comtesse se mit à écrire des lettres sur sa petite table basse, dans l’embrasure d’une fenêtre ; Annette monta dans sa chambre, et le peintre ressortit pour marcher à pas lents, un cigare à la bouche, les mains derrière le dos, par les chemins tournants du parc. Mais il ne s’éloignait pas jusqu’à perdre de vue la façade blanche ou le toit pointu de la demeure. Dès qu’elle avait disparu derrière les bouquets d’arbres ou les massifs d’arbustes, il avait une ombre sur le cœur, comme lorsqu’un nuage couvre le soleil, et quand elle reparaissait dans les trouées de verdure, il s’arrêtait quelques secondes pour contempler les deux lignes de hautes fenêtres. Puis il se remettait en route.

Il se sentait agité, mais content, content de quoi ? De tout.

L’air lui semblait pur, la vie bonne, ce jour-là. Il se sentait de nouveau dans le corps des légèretés de petit garçon, des envies de courir et d’attraper avec ses mains les papillons jaunes qui sautillaient sur la pelouse comme s’ils eussent été suspendus au bout de fils élastiques. Il chantonnait des airs d’opéra. Plusieurs fois de suite, il répéta la phrase célèbre de Gounod : « Laisse-moi contempler ton visage », y découvrant une expression profondément tendre qu’il n’avait jamais sentie ainsi.

Soudain, il se demanda comment il se pouvait faire qu’il fût devenu si vite si différent de lui-même. Hier, à Paris, mécontent de tout, dégoûté, irrité, aujourd’hui calme, satisfait de tout, on eût dit qu’un dieu complaisant avait changé son âme. « Ce bon dieu-là, pensa-t-il, aurait bien dû me changer de corps en même temps, et me rajeunir un peu. » Tout à coup, il aperçut Julio qui chassait dans un fourré. Il l’appela, et quand le chien fut venu placer sous la main sa tête fine coiffée de longues oreilles frisottées, il s’assit dans l’herbe pour le mieux flatter, lui dit des gentillesses, le coucha sur ses genoux, et s’attendrissant à le caresser, l’embrassa comme font les femmes dont le cœur s’émeut à toute occasion.

Après le dîner, au lieu de sortir comme la veille, ils passèrent la soirée au salon, en famille.

La comtesse dit tout à coup :

« Il va pourtant falloir que nous partions ! »

Olivier s’écria :

« Oh, ne parlez pas encore de ça ! Vous ne vouliez pas quitter Roncières quand je n’y étais pas. J’arrive, et vous ne pensez plus qu’à filer.

— Mais, mon cher ami, dit-elle, nous ne pouvons pourtant demeurer ici indéfiniment tous les trois.

— Il ne s’agit point d’indéfiniment, mais de quelques jours. Combien de fois suis-je resté chez vous des semaines entières ?

— Oui, mais en d’autres circonstances, alors que la maison était ouverte à tout le monde. »

Alors Annette, d’une voix câline :

« Oh, maman ! Quelques jours encore, deux ou trois. Il m’apprend si bien à jouer au tennis. Je me fâche quand je perds, et puis après je suis si contente d’avoir fait des progrès ! »

Le matin même, la comtesse projetait de faire durer jusqu’au dimanche ce séjour mystérieux de l’ami, et maintenant elle voulait partir, sans savoir pourquoi. Cette journée qu’elle avait espérée si bonne, lui laissait à l’âme une tristesse inexprimable et pénétrante, une appréhension sans cause, tenace et confuse comme un pressentiment.

Quand elle se retrouva seule dans sa chambre, elle chercha même d’où lui venait ce nouvel accès mélancolique.

Avait-elle subi une de ces imperceptibles émotions dont l’effleurement a été si fugitif que la raison ne s’en souvient point, mais dont la vibration demeure aux cordes du cœur les plus sensibles ? – Peut-être. Laquelle ? Elle se rappela bien quelques inavouables contrariétés dans les mille nuances de sentiment par lesquelles elle avait passé, chaque minute apportant la sienne ! Or, elles étaient vraiment trop menues pour lui laisser ce découragement. « Je suis exigeante, pensait-elle. Je n’ai pas le droit de me tourmenter ainsi. »

Elle ouvrit sa fenêtre, afin de respirer l’air de la nuit, et elle y demeura accoudée, les yeux sur la lune.

Un bruit léger lui fit baisser la tête. Olivier se promenait devant le château. »Pourquoi a-t-il dit qu’il rentrait chez lui, pensa-t-elle ; pourquoi ne m’a-t-il pas prévenue qu’il ressortait ? Ne m’a-t-il pas demandé de venir avec lui ? Il sait bien que cela m’aurait rendue si heureuse. À quoi songe-t-il donc ? »

Cette idée qu’il n’avait pas voulu d’elle pour cette promenade, qu’il avait préféré s’en aller seul par cette belle nuit, seul, un cigare à la bouche, car elle voyait le point rouge du feu, seul, quand il aurait pu lui donner cette joie de l’emmener. Cette idée qu’il n’avait pas sans cesse besoin d’elle, sans cesse envie d’elle, lui jeta dans l’âme un nouveau ferment d’amertume.

Elle allait fermer sa fenêtre pour ne plus le voir, pour n’être plus tentée de l’appeler, quand il leva les yeux et l’aperçut. Il cria :

« Tiens, vous rêvez aux étoiles, comtesse ? »

Elle répondit :

« Oui, vous aussi, à ce que je vois ?

— Oh ! Moi, je fume tout simplement. »

Elle ne put résister au désir de demander :

« Comment ne m’avez-vous pas prévenue que vous sortiez ?

— Je voulais seulement griller un cigare. Je rentre, d’ailleurs.

— Alors bonsoir, mon ami.

— Bonsoir, comtesse. »

Elle recula jusqu’à sa chaise basse, s’y assit, et pleura ; et la femme de chambre, appelée pour la mettre au lit, voyant ses yeux rouges, lui dit avec compassion :

« Ah ! Madame va encore se faire une vilaine figure pour demain. »

La comtesse dormit mal, fiévreuse, agitée par des cauchemars. Dès son réveil, avant de sonner, elle ouvrit elle-même sa fenêtre et ses rideaux pour se regarder dans la glace. Elle avait les traits tirés, les paupières gonflées, le teint jaune ; et le chagrin qu’elle en éprouva fut si violent, qu’elle eut envie de se dire malade, de garder le lit et de ne se pas montrer jusqu’au soir.