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S’enfermant alors dans l’atelier, il s’exalta devant le portrait, les lèvres chatouillées de l’envie de se poser sur la peinture où quelque chose d’elle était fixé ; et de moment en moment, il regardait dans la rue par la fenêtre. Toutes les robes apparues au loin lui donnaient un battement de cœur. Vingt fois il crut la reconnaître, puis, quand la femme aperçue était passée, il s’asseyait un moment, accablé comme après une déception.

Soudain, il la vit, douta, prit sa jumelle, la reconnut, et bouleversé par une émotion violente, s’assit pour l’attendre.

Quand elle entra, il se précipita sur les genoux et voulut lui prendre les mains ; mais elle les retira brusquement, et comme il demeurait à ses pieds, saisi d’angoisse et les yeux levés vers elle, elle lui dit avec hauteur :

« Que faites-vous donc, Monsieur, je ne comprends pas cette attitude ? »

Il balbutia :

« Oh ! Madame, je vous supplie… »

Elle l’interrompit durement.

« Relevez-vous, vous êtes ridicule. »

Il se releva, effaré, murmurant :

« Qu’avez-vous ? Ne me traitez pas ainsi, je vous aime !… »

Alors, en quelques mots rapides et secs, elle lui signifia sa volonté, et régla la situation.

« Je ne comprends pas ce que vous voulez dire ! Ne me parlez jamais de votre amour, ou je quitterai cet atelier pour n’y point revenir. Si vous oubliez, une seule fois, cette condition de ma présence ici, vous ne me reverrez plus. »

Il la regardait, affolé par cette dureté qu’il n’avait point prévue ; puis il comprit et murmura :

« J’obéirai, Madame. »

Elle répondit :

« Très bien, j’attendais cela de vous ! Maintenant travaillez, car vous êtes long à finir ce portrait. »

Il prit donc sa palette et se mit à peindre ; mais sa main tremblait, ses yeux troublés regardaient sans voir ; il avait envie de pleurer, tant il se sentait le cœur meurtri.

Il essaya de lui parler ; elle répondit à peine. Comme il tentait de lui dire une galanterie sur son teint, elle l’arrêta d’un ton si cassant qu’il eut tout à coup une de ces fureurs d’amoureux qui changent en haine la tendresse. Ce fut, dans son âme et dans son corps, une grande secousse nerveuse, et tout de suite, sans transition, il la détesta. Oui, oui, c’était bien cela, la femme ! Elle était pareille aux autres, elle aussi ! Pourquoi pas ? Elle était fausse, changeante et faible comme toutes. Elle l’avait attiré, séduit par des ruses de fille, cherchant à l’affoler sans rien donner ensuite, le provoquant pour se refuser, employant pour lui toutes les manœuvres des lâches coquettes qui semblent toujours prêtes à se dévêtir, tant que l’homme qu’elles rendent pareil aux chiens des rues n’est pas haletant de désir.

Tant pis pour elle, après tout ; il l’avait eue, il l’avait prise. Elle pouvait éponger son corps et lui répondre insolemment, elle n’effacerait rien, et il l’oublierait, lui. Vraiment, il aurait fait une belle folie en s’embarrassant d’une maîtresse pareille qui aurait mangé sa vie d’artiste avec des dents capricieuses de jolie femme.

Il avait envie de siffler, ainsi qu’il faisait devant ses modèles ; mais comme il sentait son énervement grandir et qu’il redoutait de faire quelque sottise, il abrégea la séance, sous prétexte d’un rendez-vous. Quand ils se saluèrent en se séparant, ils se croyaient assurément plus loin l’un de l’autre que le jour où ils s’étaient rencontrés chez la duchesse de Mortemain.

Dès qu’elle fut partie, il prit son chapeau et son pardessus et il sortit. Un soleil froid, dans un ciel bleu ouaté de brume, jetait sur la ville une lumière pâle, un peu fausse et triste.

Lorsqu’il eut marché quelque temps, d’un pas rapide et irrité, en heurtant les passants, pour ne point dévier de la ligne droite, sa grande fureur contre elle s’émietta en désolations et en regrets. Après qu’il se fut répété tous les reproches qu’il lui faisait, il se souvint, en voyant passer d’autres femmes, combien elle était jolie et séduisante. Comme tant d’autres qui ne l’avouent point, il avait toujours attendu l’impossible rencontre, l’affection rare, unique, poétique et passionnée, dont le rêve plane sur nos cœurs. N’avait-il pas failli trouver cela ? N’était-ce pas elle qui lui aurait donné ce presque impossible bonheur ? Pourquoi donc est-ce que rien ne se réalise ? Pourquoi ne peut-on rien saisir de ce qu’on poursuit, ou n’en atteint-on que des parcelles, qui rendent plus douloureuse cette chasse aux déceptions ?

Il n’en voulait plus à la jeune femme, mais à la vie elle-même. Maintenant qu’il raisonnait, pourquoi lui en aurait-il voulu à elle ? Que pouvait-il lui reprocher, après tout ? – d’avoir été aimable, bonne et gracieuse pour lui – tandis qu’elle pouvait lui reprocher, elle, de s’être conduit comme un malfaiteur !

Il rentra plein de tristesse. Il aurait voulu lui demander pardon, se dévouer pour elle, faire oublier, et il chercha ce qu’il pourrait tenter pour qu’elle comprît combien il serait, jusqu’à la mort, docile désormais à toutes ses volontés.

Or, le lendemain, elle arriva accompagnée de sa fille, avec un sourire si morne, avec un air si chagrin, que le peintre crut voir dans ces pauvres yeux bleus, jusque-là si gais, toute la peine, tout le remords, toute la désolation de ce cœur de femme. Il fut remué de pitié, et pour qu’elle oubliât, il eut pour elle, avec une délicate réserve, les plus fines prévenances. Elle y répondit avec douceur, avec bonté, avec l’attitude lasse et brisée d’une femme qui souffre.

Et lui, en la regardant, repris d’une folle idée de l’aimer et d’être aimé, il se demandait comment elle n’était pas plus fâchée, comment elle pouvait revenir encore, l’écouter et lui répondre, avec ce souvenir entre eux.

Du moment qu’elle pouvait le revoir, entendre sa voix et supporter en face de lui la pensée unique qui ne devait pas la quitter, c’est qu’alors cette pensée ne lui était pas devenue odieusement intolérable. Quand une femme hait l’homme qui l’a violée, elle ne peut plus se trouver devant lui sans que cette haine éclate. Mais cet homme ne peut non plus lui demeurer indifférent. Il faut qu’elle le déteste ou qu’elle lui pardonne. Et quand elle pardonne cela, elle n’est pas loin d’aimer.

Tout en peignant avec lenteur, il raisonnait par petits arguments précis, clairs et sûrs ; il se sentait lucide, fort, maître à présent des événements.

Il n’avait qu’à être prudent, qu’à être patient, qu’à être dévoué, et il la reprendrait, un jour ou l’autre.

Il sut attendre. Pour la rassurer et la reconquérir, il eut des ruses à son tour, des tendresses dissimulées sous d’apparents remords, des attentions hésitantes et des attitudes indifférentes. Tranquille dans la certitude du bonheur prochain, que lui importait un peu plus tôt, un peu plus tard. Il éprouvait même un plaisir bizarre et raffiné à ne se point presser, à la guetter, à se dire : « Elle a peur » en la voyant venir toujours avec son enfant.

Il sentait qu’entre eux se faisait un lent travail de rapprochement, et que dans les regards de la comtesse quelque chose d’étrange, de contraint, de douloureusement doux, apparaissait, cet appel d’une âme qui lutte, d’une volonté qui défaille et qui semble dire : « Mais, force-moi donc ! »