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— Et si c’était un piège ? avança-t-elle.

— Comment ça ?

— Tankado a très bien pu envoyer des mails bidons à une adresse créée par lui-même, dans l’espoir qu’on irait y fourrer notre nez. En agissant ainsi, il nous fait croire qu’il est protégé sans prendre le risque de partager réellement son secret. Il aurait pu faire cavalier seul.

— C’est une bonne idée, reconnut Strathmore. A l’exception d’un petit détail : les messages ne proviennent pas des comptes courants de Tankado, personnels ou professionnels. Il passe par l’université de Doshisha et leur ordinateur central.

Apparemment, il a une adresse là-bas, qu’il s’est arrangé pour garder secrète. Elle est très bien dissimulée, et je suis tombé dessus par pur hasard...

Strathmore marqua une pause, avant de poursuivre :

— Si Tankado voulait qu’on fouine dans ses mails, pourquoi aurait-il utilisé une adresse secrète ?

Susan considéra la question.

— Pour vous abuser ? Vous convaincre qu’il ne s’agit pas d’un leurre ? Tankado a pu dissimuler cette adresse spécialement à cet effet, l’enfouir ni trop, ni trop peu, juste de quoi vous persuader de son authenticité.

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— Vous feriez un très bon agent de terrain ! lança Strathmore dans un sourire. C’est une supposition sensée.

Malheureusement, tous les mails envoyés de cette adresse ont obtenu des réponses. Il y a un réel échange entre Tankado et son compère.

— D’accord, céda Susan en souriant à son tour. North Dakota existe.

— J’en ai bien peur. Maintenant, il va falloir le dénicher. Et discrètement. S’il a le moindre doute, on est fichu.

Voilà donc pourquoi Strathmore l’avait tirée de son bain un samedi...

— Vous voulez que je m’introduise dans les fichiers secrets de l’ARA pour trouver l’identité de North Dakota ?

Le visage de Strathmore s’illumina.

— Vous lisez dans mes pensées, mademoiselle Fletcher.

Quand il s’agissait de recherches discrètes sur Internet, Susan était la femme de la situation. L’année précédente, un haut responsable de la Maison-Blanche avait reçu des menaces par e-mails. L’expéditeur possédait une adresse anonyme. La NSA avait été chargée de localiser l’individu. L’agence aurait pu demander au serveur l’identité de son client, mais elle opta pour une méthode plus subtile – celle du « mouchard ».

Il se trouve que Susan avait créé une balise déguisée en email. Il lui avait suffi de l’envoyer à l’adresse factice de l’utilisateur. Le serveur effectuait alors son travail : il faisait suivre le message à l’adresse réelle. Une fois acheminé, le programme

enregistrait

sa

localisation,

et

renvoyait

l’information à la NSA. Ensuite, il se désintégrait sans laisser de trace. Depuis ce jour, les serveurs anonymes ne représentaient plus pour la NSA un obstacle majeur.

— Vous pensez pouvoir le trouver ? demanda Strathmore.

— Bien sûr. Vous auriez dû m’appeler plus tôt.

— En fait, commença-t-il d’un air embarrassé, je ne comptais pas vous en parler. Je ne voulais mettre personne d’autre dans le coup. J’ai essayé d’envoyer votre mouchard moi-même, mais vous l’avez écrit dans un de vos fichus langages hybrides. Je n’ai pas réussi à le faire marcher. Les données qu’il

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m’a renvoyées ne tiennent pas debout. Finalement, j’ai baissé les bras et je vous ai appelée à la rescousse.

Susan étouffa un petit rire. Strathmore était un cryptologue brillant, mais le domaine où son esprit excellait était les hauts arcanes des algorithmes. Celui, plus « vulgaire », des langages de programmation lui échappait totalement. De plus, Susan avait rédigé son mouchard dans un nouveau langage hybride, le LIMBO. Rien d’étonnant que Strathmore se soit retrouvé coincé.

— Je vais m’en occuper, sourit-elle en se dirigeant vers la sortie. Si vous avez besoin de moi, je serai devant mon terminal.

— Vous avez une idée du temps que ça va vous prendre ?

— Tout dépend de la rapidité d’ARA à transférer les mails.

Si notre homme réside aux États-Unis et qu’il est chez AOL ou Compuserve, j’aurai le numéro de sa carte de crédit et son adresse de facturation dans moins d’une heure. Si le compte est domicilié dans une société ou une faculté, ce sera peut-être un peu plus long. Après, ajouta-t-elle avec un sourire forcé, ce sera à vous de jouer.

Le « jeu » en question consisterait à envoyer sur place une unité de combat, qui couperait le courant dans la maison avant de fracasser les fenêtres pour y pénétrer armée de pistolets paralysants. Pour le commando, il s’agirait d’une opération dans le cadre d’une affaire de stupéfiants. Strathmore se rendrait sans doute lui-même sur place après la bataille pour fouiller les lieux et mettre la main sur la clé. Et la détruire. Forteresse Digitale languirait alors à vie sur Internet, à jamais inaccessible.

— Procédez discrètement pour l’envoi du mouchard, insista Strathmore. Si North Dakota s’aperçoit qu’on est à ses trousses, il va paniquer ; le temps d’envoyer l’unité, il se sera fait la belle avec la clé.

— Ce sera un raid éclair, le rassura Susan. Dès que le mouchard a localisé sa cible, il s’autodétruit. Jamais notre homme ne saura qu’on lui a rendu une petite visite.

Strathmore acquiesça d’un air fatigué.

— Merci, Susan.

La jeune femme lui sourit doucement. Elle était toujours épatée de la sérénité que savait conserver Strathmore, même

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dans les circonstances les plus périlleuses. C’était, à coup sûr, ce don qui avait été déterminant dans sa carrière et lui avait permis de gravir un à un les échelons du pouvoir.

Tandis qu’elle se dirigeait vers la porte, Susan regarda longuement TRANSLTR. L’existence d’un code incassable restait encore un concept abstrait. Mais, pour l’heure, sa mission, c’était de trouver North Dakota.

— Si vous faites vite, lança Strathmore, vous serez dans les Appalaches ce soir.

Susan s’arrêta net. Elle n’avait pas parlé de son week-end à Strathmore. Elle se retourna, sentant son sang se glacer. La NSA aurait mis son téléphone sur écoute ?

Strathmore lui sourit d’un air coupable.

— David m’a fait part de votre projet ce matin. Il m’a dit que vous alliez être furieuse...

Susan était perplexe.

— Vous avez parlé à David... ce matin ?

— Bien sûr, répondit Strathmore, étonné par la réaction de Susan. Il fallait que je lui fasse un topo.

— Un topo ?

— Pour sa mission. Je l’ai envoyé en Espagne.

11.

« Je l’ai envoyé en Espagne. » Les paroles de Strathmore la piquaient au vif.

— David est en Espagne ? répéta-t-elle, incrédule. Vous l’avez envoyé là-bas ? (Son ton vira soudain à la colère.) Pourquoi ?

Strathmore n’avait pas l’habitude de se faire houspiller ainsi, même par sa cryptologue en chef. Il jeta à Susan un regard

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ahuri. Tout le corps de la jeune femme était tendu, comme une tigresse prête à défendre sa progéniture.

— Susan..., commença-t-il. Vous lui avez parlé. Il vous a forcément expliqué.

Mais elle était trop secouée pour répondre. Voilà pourquoi David a différé notre séjour ! pensa-t-elle.