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— J’ai envoyé quelqu’un le prendre en voiture ce matin. Il m’a dit qu’il vous appellerait avant de partir. Je suis désolé. Je pensais que...

— Pourquoi l’avoir envoyé là-bas ?

Strathmore marqua un temps de pause avant de déclarer d’un air d’évidence :

— A cause de l’autre clé.

— L’autre clé ?

— Celle de Tankado.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? demanda-t-elle, perdue.

Strathmore soupira.

— Tankado avait sûrement la clé sur lui quand il est mort. Il n’est pas question que je la laisse traîner à la morgue de Séville.

— Et vous avez désigné David pour aller la récupérer ?

rétorqua Susan, sous le choc. C’est de la folie, il n’est même pas de la maison !

Personne n’avait jamais parlé au directeur adjoint de la NSA sur ce ton.

— Susan, commença Strathmore en gardant son calme.

C’est justement pour ça. J’avais besoin...

La tigresse bondit.

— Vous aviez deux mille employés sous vos ordres ! Il a fallu que vous choisissiez mon fiancé !

— J’avais besoin d’un civil. Quelqu’un qui n’ait aucun lien avec l’agence. Si j’utilisais les voies habituelles et que quelqu’un ait vent de l’affaire...

— Et vous ne connaissez pas d’autre civil que David ?

— Bien sûr que si. Mais à six heures ce matin, je n’avais pas le temps de tergiverser ! David parle l’espagnol, il est intelligent, j’ai confiance en lui. Et c’était une aubaine pour lui...

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— Une aubaine ? L’envoyer en Espagne, à la place de notre week-end, vous appelez ça une aubaine ?

— Oui ! Il va toucher mille dollars pour une seule journée de travail ! Tout ce qu’il doit faire, c’est récupérer les effets personnels de Tankado et revenir ici. On ne peut pas appeler ça de l’exploitation !

Susan resta songeuse. Encore cette maudite question d’argent... Un souvenir remonta à sa mémoire... un soir, lors d’un dîner, cinq mois plus tôt, le président de l’université de Georgetown avait proposé à David d’être promu à la tête du Département des langues modernes. Le président l’avait prévenu qu’il aurait moins d’heures de cours, et énormément de travail administratif. En contrepartie, son salaire serait substantiellement augmenté. Susan avait eu envie de lui crier :

« Ne fais pas ça, David ! Tu vas faire ton malheur. De l’argent, nous en avons... peu importe lequel de nous deux le gagne. »

Mais c’eût été déplacé. Finalement, il avait accepté et elle l’avait soutenu dans sa décision. En s’endormant cette nuit-là, elle avait essayé de se convaincre que c’était une bonne nouvelle.

Mais quelque chose au fond d’elle lui disait que ce serait un désastre. Le temps lui donna malheureusement raison.

— Mille dollars ? C’est un coup bas...

Strathmore était maintenant sur le point d’exploser.

— Un coup bas ? C’est la meilleure ! Je ne lui ai même pas parlé de sa rétribution. Je lui ai simplement demandé un service... un service à titre personnel. Et il a accepté.

— Il était bien obligé ! Vous êtes mon patron ! On ne refuse rien au directeur adjoint de la NSA !

— Exactement ! lança Strathmore d’un ton cassant. Et c’est pour cela que je l’ai appelé. Je ne pouvais pas m’offrir le luxe de...

— Le directeur sait que vous avez envoyé un civil ?

— Susan, reprit Strathmore, sa patience ne tenant plus qu’à un fil, le directeur ne suit pas l’affaire. Il n’est au courant de rien.

Susan dévisageait Strathmore, incrédule. C’était comme si elle ne reconnaissait plus l’homme qu’elle avait en face d’elle.

Non seulement il avait confié à son fiancé – un enseignant –

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une mission de la NSA, mais il avait en plus omis d’informer le directeur de la présence de cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de l’agence.

— Vous n’avez rien dit à Fontaine ?

C’en était trop. Strathmore explosa :

— Ça suffit, Susan ! Je vous ai fait venir parce que j’avais besoin d’un allié, pas d’un directeur de conscience ! J’ai vécu une matinée d’enfer. J’ai téléchargé le fichier de Tankado hier soir et je n’ai pas quitté l’imprimante des yeux en priant pour que TRANSLTR parvienne à casser le code. À l’aube, j’ai ravalé ma fierté pour téléphoner au directeur – et croyez-moi, c’est un appel dont je me serais bien passé ! Vous voyez d’ici le tableau :

« Bonjour, monsieur le directeur. Je suis désolé de vous réveiller... mais il fallait que je vous dise que TRANSLTR est bon à ficher à la poubelle. Tout ça à cause d’un algorithme que mes cryptographes d’élite, que l’on paie pourtant une fortune, n’ont jamais été fichus d’écrire ! »

Strathmore écrasa son poing sur son bureau.

Susan ne pipa mot. En dix ans, elle pouvait compter sur les doigts de la main les fois où Strathmore avait perdu son calme.

Et jamais son énervement n’avait été dirigé contre elle.

Pendant une dizaine de secondes, il régna un grand silence dans la pièce. Puis Strathmore se rassit dans son fauteuil. Le rythme de sa respiration revint peu à peu à la normale. Quand il reprit la parole, sa voix était de nouveau d’un calme absolu. Une telle maîtrise des émotions faisait froid dans le dos...

— Mais son secrétaire m’a dit que Leland est en Amérique du Sud en négociations avec le président de la Colombie. De là-bas, il ne peut absolument rien faire. Je n’avais donc que deux options – lui demander d’écourter son séjour et de revenir ici, ou régler moi-même le problème.

Il y eut un nouveau silence. Strathmore releva la tête et son regard fatigué rencontra celui de Susan. Son expression se radoucit.

— Excusez-moi, Susan. Je suis à cran. Je vis un véritable cauchemar. Je comprends votre colère à propos de David. Je ne pensais pas que vous l’apprendriez de cette façon. Pour moi, vous étiez au courant.

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— Je me suis laissé emporter, déclara-t-elle d’un air coupable. Je suis désolée. David est l’homme parfait pour cette mission.

— Il sera de retour dès ce soir, la rassura Strathmore dans un soupir.

Susan songea à toute la pression que son chef et mentor avait sur les épaules – la gestion de TRANSLTR, les horaires à rallonge, les rendez-vous incessants. Le bruit courait que sa femme le quittait après trente ans de mariage. Et, pour couronner le tout, Forteresse Digitale lui tombait dessus, la plus grande menace dans l’histoire de la NSA ! Et le pauvre homme devait gérer tout cela en solo. Pas étonnant qu’il soit à bout de nerfs.

— Néanmoins, étant donné les circonstances, je pense qu’il vaudrait mieux que vous contactiez le directeur...

Strathmore secoua la tête, une goutte de sueur lui tomba du front.

— Je ne veux pas chambouler le dispositif de sécurité autour du directeur, et il y a les risques de fuites... à quoi bon l’inquiéter de toute façon... dans cette affaire, il est totalement impuissant.

Il avait raison. Même dans les moments critiques, Strathmore savait garder la tête froide.

— Et le Président ? Vous avez envisagé de l’avertir ?

— Oui. Mais j’y ai renoncé.

Cette décision ne la surprit pas. Les dirigeants de la NSA étaient autorisés à gérer les urgences, sans avoir besoin d’en référer à l’exécutif. La NSA était la seule agence de renseignement américaine à jouir d’une immunité totale.