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Strathmore étudia un instant cette proposition. Mais il secoua la tête.

— Pas encore. TRANSLTR travaille sur ce fichier depuis quinze heures. Je voudrais la laisser tourner vingt-quatre heures.

Susan comprenait sa position. Forteresse Digitale était un algorithme révolutionnaire, le premier de sa génération.

Tankado avait pu laisser passer une faille... TRANSLTR pouvait peut-être encore casser le code... Même si, au fond d’elle, Susan en doutait.

— Je veux être absolument certain, s’obstina Strathmore.

Chartrukian continuait à cogner contre la vitre. Strathmore prit une profonde inspiration et se dirigea vers la porte coulissante.

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— Officiellement, il ne se passe rien, annonça-t-il à Susan.

Je compte sur vous pour me couvrir.

La dalle sensitive au sol activa l’ouverture, et les battants s’escamotèrent dans un chuintement. Chartrukian manqua de s’écrouler dans la pièce.

— Monsieur... pardon de vous déranger... mais le compteur... J’ai lancé un antivirus et...

— Allons Phil, allons..., l’interrompit Strathmore d’un ton chaleureux en posant une main rassurante sur son épaule.

Calmez-vous. Qu’est-ce qui vous met dans cet état ?

Strathmore parlait avec un tel détachement... personne n’aurait pu soupçonner que le sol était en train de s’écrouler sous ses pieds. D’un geste, il invita Chartrukian à pénétrer dans l’enceinte sacrée du Nodal 3. Le technicien franchit le seuil d’un pas hésitant, comme un chien bien dressé à qui l’on n’autorise jamais le salon.

A voir l’expression ébahie du technicien, c’était visiblement une première. Il oublia dans l’instant les raisons de son affolement et parcourut du regard l’intérieur de ce nid high-tech – la moquette douillette, le cercle des ordinateurs, les canapés moelleux, les rayonnages de livres, les éclairages tamisés. Puis il aperçut, en chair et en os, la reine de la Crypto, Susan Fletcher, et il détourna vite la tête. Devant Susan, Chartrukian perdait tous ses moyens. Son esprit habitait des sphères qui lui seraient à jamais inaccessibles. Et elle était si belle... En sa présence, il n’arrivait pas à dire trois mots sans bredouiller comme un benêt. Et la modestie de Susan ne faisait qu’aggraver son trouble.

— Racontez-moi donc vos malheurs, Phil..., badina Strathmore en ouvrant le réfrigérateur. Je vous sers un verre ?

— Non, euh... non, merci, monsieur.

Il avait la gorge nouée et n’était pas sûr d’être vraiment le bienvenu.

— Monsieur... Je crois qu’il y a un problème avec TRANSLTR.

Strathmore referma la porte du réfrigérateur et regarda Chartrukian d’un air bon enfant.

— Vous voulez parler du compteur ?

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— Vous êtes au courant ?

— Évidemment. Cela va faire bientôt seize heures qu’il tourne, si je ne me trompe pas.

— Oui. C’est bien ça, répondit Chartrukian. Mais ce n’est pas tout, monsieur. J’ai lancé un antivirus, et il a trouvé une chose très bizarre.

— Vraiment ? demanda Strathmore, l’air absent. Quel genre de chose ?

Susan admirait l’aisance avec laquelle Strathmore jouait la comédie.

— Je ne sais pas ce que c’est, mais TRANSLTR travaille sur quelque chose de très avancé. Les filtres n’ont jamais vu ça. Et j’ai bien peur que TRANSLTR soit infectée.

— Un virus ? gloussa Strathmore avec une petite pointe de condescendance. Phil, j’apprécie l’intérêt que vous portez à TRANSLTR. Vraiment. Mais Mlle Fletcher et moi-même avons lancé un tout nouveau diagnostic, très pointu. J’aurais pu vous prévenir, mais je ne m’attendais pas à vous voir aujourd’hui.

Le technicien essaya de couvrir son collègue tant bien que mal.

— J’ai permuté avec le nouveau. J’ai pris sa garde ce weekend.

Strathmore le fixa du regard, les yeux plissés.

— C’est curieux. Je lui ai parlé hier soir. C’est moi qui lui ai ordonné de ne pas venir. Et il ne m’a pas du tout parlé de votre petit échange...

Chartrukian se sentit pâlir. Un silence pesant s’installa.

— Bon, soupira finalement Strathmore. Tout ça n’est qu’une regrettable confusion. (Il posa sa main sur l’épaule du technicien pour le guider vers la sortie.) La bonne nouvelle, c’est que vous pouvez rentrer chez vous. Mlle Fletcher et moi allons rester ici toute la journée. Nous garderons la maison pour vous.

Profitez donc de votre week-end.

— Mais, monsieur..., hésitait Chartrukian, je pense vraiment qu’il faudrait vérifier le...

— Phil, l’interrompit Strathmore d’un ton plus sévère, TRANSLTR va très bien. Cette chose étrange qu’a détectée votre

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antivirus, c’est nous qui l’y avons mise. Maintenant, si ça ne vous ennuie pas...

Strathmore n’eut pas besoin de finir sa phrase ; le technicien avait compris. L’entretien était terminé.

Un nouveau diagnostic, mon cul ! enrageait Chartrukian tandis qu’il regagnait la salle de la Sys-Sec. Quel test pourrait occuper trois millions de processeurs pendant seize heures ?

Fallait-il prévenir le grand chef de la Sys-Sec ?

Ces connards de la Crypto se contrefichent des questions de sécurité ! pesta Chartrukian.

Le serment qu’il avait fait à son arrivée à la Sys-Sec lui revenait en mémoire. Il avait juré d’user de toute son habileté, de son expérience et de son instinct pour protéger le bébé à deux milliards de dollars de la NSA.

— Mon instinct... Pas besoin d’être médium pour savoir que ce truc n’a rien à voir avec un foutu diagnostic !

D’un air de défi, Chartrukian se dirigea droit vers le terminal et lança un scannage complet des systèmes et fonctions internes de TRANSLTR.

— Je vous dis que votre bébé est malade, monsieur le directeur adjoint, grommela-t-il. Puisque vous ne voulez pas vous fier à mon instinct, je vais vous mettre le nez dans sa couche !

20.

La Clínica de Salud Pública était une ancienne école élémentaire et ne ressemblait pas du tout à une clinique. C’était un long bâtiment d’un seul étage, en brique, avec de très grandes fenêtres. On apercevait, dans la cour derrière, une

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vieille balançoire rouillée. Becker s’élança sur les marches usées par le temps.

L’intérieur était sombre et bruyant. La salle d’attente se résumait à un alignement de chaises pliantes en métal, disposées dans un long et étroit couloir. Un panneau en carton posé sur un chevalet indiquait OFICINA surmonté d’une flèche dirigée vers le bout du corridor.

Becker s’aventura dans le boyau mal éclairé. Il avait l’impression de se retrouver dans un décor de film d’épouvante.

Des relents d’urine flottaient dans l’air. Au bout, les lumières n’éclairaient plus, on ne voyait rien des vingt derniers mètres, sinon des silhouettes noires et silencieuses. Une femme en sang... un jeune couple en larmes... une petite fille en train de prier... Becker atteignit enfin le bout du corridor obscur. À sa gauche, une porte était légèrement entrebâillée, il la poussa. La pièce était entièrement vide, à l’exception d’une vieille dame toute flétrie, nue sur un petit lit pliant, qui se débattait avec son bassin de lit. Charmant ! Becker referma la porte en toute hâte.