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Où diable était la réception ?

Des éclats de voix lui parvinrent d’un petit coude que décrivait le couloir. Il s’approcha et découvrit une porte vitrée qui laissait passer un vacarme, comme s’il y avait une émeute de l’autre côté. Rassemblant son courage, Becker ouvrit la porte. La réception ? La foire d’empoigne, oui ! Exactement ce qu’il craignait.

Il y avait une file d’attente d’une dizaine de personnes, qui se poussaient et criaient. L’Espagne n’étant pas renommée pour l’efficacité de ses services publics, Becker risquait de passer la nuit ici avant d’avoir des informations sur son Canadien. Une seule secrétaire, derrière son bureau, essuyait les assauts des patients mécontents. Becker hésita sur le seuil... Il y avait sûrement un meilleur moyen.

¡ Con permiso ! cria un infirmier.

L’homme tentait de naviguer entre les gens avec un brancard. Becker s’écarta d’un bond pour ne pas se faire renverser et demanda :

¿ Dónde está el teléfono ?

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Sans s’arrêter, l’homme pointa du doigt une double porte, avant de disparaître derrière un mur. Becker s’approcha, plein d’espoir, et poussa les battants. La salle, de l’autre côté, était gigantesque – c’était l’ancien gymnase. Le sol vert pâle semblait onduler et passer du flou au net sous le vacillement des lumières fluorescentes. Au mur, un panier de basket pendait mollement sur son socle. Par terre, une douzaine de patients étaient éparpillés sur des lits de camp. Dans un angle, au fond, juste à côté d’un tableau sur les consignes à suivre en cas d’incendie, une vieille cabine à pièces. Becker espérait qu’elle fonctionnait encore.

Tandis qu’il traversait la salle à grandes enjambées, il fouilla dans ses poches à la recherche de monnaie. Il trouva soixante-quinze pesetas – la monnaie du taxi – juste de quoi passer deux appels locaux. Il sourit poliment à une infirmière qui se dirigeait vers la sortie et continua son chemin. Il saisit le combiné et composa le numéro des renseignements. Trente secondes plus tard, il avait en main le numéro de la réception de la clinique.

Dans toutes les administrations du monde, il existait une loi universelle : aucun fonctionnaire ne supportait bien longtemps le son d’un téléphone sonnant dans le vide. Quel que soit le nombre de gens qui faisaient la queue dans le bureau, la secrétaire les laisserait tomber, tôt ou tard, pour décrocher.

Becker appuya sur les six touches du numéro. Bientôt, il serait en relation avec l’employée. Nul doute qu’il n’y aurait qu’un seul Canadien à s’être présenté dans la journée avec un poignet cassé et un traumatisme crânien. Retrouver sa fiche ne serait pas bien compliqué. Becker savait que le secrétariat refuserait de communiquer le nom et l’adresse de facturation à un parfait inconnu, mais il avait un plan...

Le téléphone commença à sonner. Becker avait estimé à cinq sonneries le seuil de tolérance maximum. Mais il en fallut dix-neuf pour que la secrétaire décroche.

Clínica de Salud Pública, aboya la voix excédée.

Becker parla en espagnol avec un léger accent québécois.

— David Becker au téléphone, de l’ambassade canadienne.

Un de nos citoyens a été soigné chez vous aujourd’hui. J’ai

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besoin d’avoir les informations le concernant pour vous régler la note.

— D’accord. Je vous envoie ça, lundi, à l’ambassade.

— En fait, insista Becker, j’en ai besoin sur-le-champ, c’est important.

— Impossible, lâcha-t-elle d’un ton cassant. Je suis trop occupée.

Becker tâcha de prendre un ton officiel.

— C’est une urgence. L’homme en question avait un poignet cassé et une blessure à la tête. Il s’est présenté chez vous ce matin. Son dossier ne doit pas être bien loin.

Becker avait exagéré un peu plus son accent, de manière, tout en restant compréhensible, à être suffisamment exaspérant pour qu’elle accède à sa requête. Lorsque les gens étaient agacés, ils étaient plus enclins à passer outre les règles...

Mais, contre toute attente, la femme l’envoya sur les roses, en pestant contre l’arrogance des Nord-Américains, et lui raccrocha au nez.

Becker fronça les sourcils et raccrocha à son tour. Raté.

L’idée de passer des heures à faire la queue ne l’excitait guère.

L’heure tournait – le vieux Canadien pouvait être n’importe où.

Peut-être avait-il même décidé de rentrer au pays ? Ou de vendre la bague ? Becker ne pouvait pas perdre de temps. Avec une détermination nouvelle, il décrocha et recomposa le numéro. Il pressa le combiné sur ses oreilles et s’appuya contre le mur. La connexion allait se faire. Becker parcourait la salle du regard. Une sonnerie... Deux sonneries... Trois...

Une brusque giclée d’adrénaline inonda son corps.

Becker raccrocha aussitôt le combiné, fit volte-face et scruta un point de la salle avec stupéfaction. Là-bas, sur un lit de camp, droit devant lui, un vieil homme était allongé, un plâtre tout neuf à son poignet droit.

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21.

L’Américain qui parlait avec Tokugen Numataka sur sa ligne privée avait l’air tendu.

— Bonjour, monsieur Numataka. Je n’ai pas beaucoup de temps...

— Très bien. J’imagine que vous avez récupéré les deux clés ?

— Cela risque d’être un peu plus long que prévu.

— C’est inacceptable, lâcha Numataka. Vous deviez me les remettre aujourd’hui !

— Il y a eu un contretemps.

— Tankado n’est pas mort ?

— Si. Mon homme l’a tué, mais il n’a pas pu récupérer la clé.

Tankado s’en est débarrassé avant de mourir. Il l’a donnée à un touriste.

— Vous vous fichez de moi ? hurla Numataka. Comment comptez-vous alors me garantir...

— Calmez-vous, l’interrompit l’Américain d’une voix rassurante. Vous aurez l’exclusivité des droits. Je vous le garantis. Dès que nous aurons retrouvé la clé manquante, Forteresse Digitale sera à vous.

— Mais n’importe qui peut la copier !

— Tous ceux qui l’auront vue seront éliminés.

Un long silence suivit. Ce fut finalement le Japonais qui le rompit.

— Où est cette clé à présent ?

— Peu importe. Sachez simplement que nous allons la récupérer.

— Comment pouvez-vous en être aussi certain ?

— Je ne suis pas seul à la chercher. Les services secrets américains ont eu vent de sa disparition. Pour des raisons évidentes, ils veulent éviter la diffusion de Forteresse Digitale.

Ils ont envoyé un homme sur place. Un certain David Becker.

— Comment le savez-vous ?

— Peu importe.

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Numataka marqua une pause.

— Et si M. Becker la trouve avant vous ?

— Mon homme se chargera de la lui prendre.

— Et ensuite ?

— N’ayez aucune inquiétude. Quand M. Becker aura trouvé la clé, nous saurons le remercier comme il se doit.

22.

David Becker traversa la pièce à grands pas et observa attentivement le vieil homme endormi sur le lit de camp. Son poignet droit était plâtré. L’homme approchait les soixante-dix ans. Ses cheveux, blancs comme neige, avaient une raie impeccable sur le côté. Une trace violacée barrait son front, de la naissance du cuir chevelu à l’œil droit.