Son but était d’alerter la garde de fer, et, d’un regard autour de lui, il vit l’appareil de Fuller remplir son office : les monstres cachés dans les humains devenaient visibles. Entre ce spectacle et les explications qu’il venait de leur balancer, les Japs s’étaient mis à s’entretuer. Mission accomplie. Ils savaient que l’éclaireur était sur Terre et, partis en chasse, ils ne s’arrêteraient qu’une fois les infiltrés exterminés jusqu’au dernier.
Le problème : les gardes de fer étaient à présent persuadés que, l’éclaireur, c’était lui.
S’il avait affirmé que le président était un traître, personne ne l’aurait cru. Il fallait leur proposer une interprétation acceptable, et les idées préconçues faisaient un levier puissant.
Toru s’attaquait à Saito. Jake n’aurait pas demandé mieux que lui venir en aide, mais un détachement de gardes de fer se précipitait vers lui. Il puisa dans son pouvoir pour projeter autour de lui une vague de gravité. Il ne s’était pas attendu à l’effet obtenu : un mur d’énergie déferla sur la pelouse, aplatissant gardes de fer et civils, renversant les gradins récemment édifiés. Ceux qui s’y trouvaient encore basculèrent dans le vide ou moururent écrasés sous les décombres.
Sullivan annula son propre poids et jaillit du cratère dans un déluge de cailloux. Saisissant son BAR par-dessus son épaule, il l’arracha à ses sangles, reprit sa masse normale et atterrit. Le bullpup crachait déjà des .30-06.
Il y avait des gardes de fer partout, tous persuadés qu’il était le mal incarné et bien décidés à le détruire. Des balles ricochaient sur son armure ; les runes de Browning le protégeaient du gel et des flammes. L’électricité n’atteignait jamais sa peau. Le BAR balayait le décor, méthodiquement, pour éliminer les soldats qui chargeaient.
Il devait à tout prix rejoindre Saito. Il voulait bien mourir, mais pas avant d’avoir réglé son compte au salopard.
Un lourd accrut la gravité sous ses pieds. Sullivan éclata de rire et lui rendit la pareille en dix fois pire : l’autre explosa en particules rougeâtres. Un hérisseur déboula sur son flanc, toutes griffes magiques dehors, lesquelles, par miracle, pénétrèrent l’armure. Sullivan pivota, lui planta le canon dans les côtes et le fit exploser.
Une balle de gros calibre le toucha au front. Elle ne pénétra pas dans la plaque d’acier, mais sa tête partit à la renverse et il sentit son cou craquer. Il continua d’avancer et chercha le tireur des yeux tout en pêchant un nouveau chargeur. Nouvelle détonation : ça devait venir d’un fusil à éléphant, vu la violence de l’impact. Il perdit l’équilibre, tomba à plat ventre et dérapa sur quelques pas, mais il avait vu un éclair et un panache de fumée au dernier étage du palais. Il brandit son BAR et détruisit les fenêtres, ainsi que quiconque se tenait derrière.
Avant qu’il ait pu se relever, une brute lui sauta sur le râble. Sullivan lui balança un coup de coude dans les dents sans la faire lâcher prise puis durcit sa chair : le poing qui s’écrasa dans ses reins heurta de la pierre. Malgré tout, l’armure se cabossa. Il se donna deux mille kilos et roula sur lui-même, écrasant le soldat sous son poids monstrueux.
Il dérégla la gravité pour déstabiliser le garde de fer et gagner du temps. Il s’essoufflait. Tous les sortilèges qu’il portait le brûlaient. Même avec son pouvoir renforcé, il ne tiendrait pas le choc. Courage ! Sullivan reprit son poids normal et se remit debout. Des troufions se précipitaient pour s’interposer entre lui et Saito.
Un éclair ; des claquements métalliques. Une pluie d’étincelles jaillit de sa poitrine juste avant qu’il ne tombe à la renverse. Un garde de fer sorti de nulle part l’attaquait à l’épée. L’armure n’aura aucun mal à… Merde ! Il fut soudain beaucoup plus lourd. Le Jap n’essayait pas de le blesser ; il voulait détériorer les runes magiques.
C’était son point faible. Le bretteur repoussa le canon du BAR, avança, pointa son arme vers l’œil de Sullivan, et son crâne se fendit dans une gerbe écarlate.
Faye était derrière, brandissant une épée de garde de fer dégouttante de sang, qu’elle avait enfoncée dans la tête du type du même geste qu’elle aurait eu pour couper du bois. Le Jap essaya de s’asseoir ; elle se pencha, nonchalante, lui planta l’épée entre les côtes et la fit tourner. « Bonjour, monsieur Sullivan. Je peux vous aider ?
— Ne laisse pas le président s’enfuir. Le reste, on s’en fout. »
Elle hocha la tête avant de disparaître.
Il regarda autour de lui. Saito battait en retraite dans le palais, Toru à ses trousses. La moitié de l’armée japonaise courait vers Sullivan, alors qu’il se trouvait au milieu d’un vaste espace nu, sans rien pour s’abriter. Il prit ses jambes à son cou.
Chapitre 22
Voudriez-vous que je vous donne ma parole ? On dit qu’un guerrier ne fait pas de promesses, car tout ce qu’il dit est une promesse. Si un guerrier déclare qu’il fera quelque chose, ce sera fait. Si un guerrier parle, il s’engage. J’ai déjà dit pourquoi je suis ici. Nous accomplirons la mission de l’Océan ténébreux. Expliquez à vos hommes que l’Imperium tout entier ne pourrait pas nous empêcher de réaliser la dernière volonté d’Okubo Tokugawa. L’Imperium doit comprendre le danger s’il ne veut pas périr. Je le forcerai à comprendre.
Cité libre de Shanghai
Ian Wright délirait de douleur. Un garde de fer lui avait détruit la jambe. Du pied au genou, elle pendait sous un angle impossible, l’os avait percé la peau, et il y avait du sang partout. Il ne pouvait même pas arrêter l’hémorragie, avec ses mains entravées, et ses camarades se servaient de leurs chaînes pour entraîner tous les prisonniers vers le tunnel et les salles de torture enfouies sous le palais. Ils n’y seraient pas à l’abri, mais ça vaudrait mieux que l’esplanade.
La souffrance l’empêcha d’abord de comprendre la situation. Il avait l’impression que la garde de fer avait déclenché une guerre civile. Comment imaginer des affrontements fratricides dans ce corps d’élite ?… Puis tout s’éclaircit.
Certains n’étaient plus des gardes de fer. Ils n’étaient même plus humains… Tout ce qu’avait dit Sullivan était vrai. Vraiment vrai. C’était la piétaille de l’éclaireur. Des monstres qui, à présent, dévoraient les hommes. Quelle bêtise d’avoir douté ! À présent, c’était trop tard.
« Ils consomment la magie ! cria le docteur Wells à l’autre extrémité de la chaîne. Se sachant repérés, ils vont passer à l’attaque. Il leur faut dévorer tout le pouvoir possible afin d’appeler leur maître ! » Et cinq actifs très puissants étaient attachés ensemble, blessés, sans défense. « Évoquez un démon ! Vite ! »
Bonne idée, mais on les avait marqués d’un symbole qui les empêchait de recourir à leur pouvoir. Ian se frotta le front avec l’énergie du désespoir. C’était de la graisse de démon, très épaisse, et il allait sans doute devoir s’arracher l’épiderme…
Un garde de fer venait vers eux. Sous sa peau carbonisée ondulait une masse de muscles violacés. Il avait faim.
Ian frotta de plus belle.
Soudain, l’écorché vira au gris comme un estompeur, s’enfonça sous terre en agitant les bras et disparut. L’instant d’après, une autre forme grise s’extirpa de l’herbe et prit consistance. Heinrich Koenig, essoufflé, courut vers ses camarades. « Bonjour, les amis. Sacrée journée, hein ?