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« On est cernés », affirma Toru.

Sullivan saisit un nouveau chargeur. Le canard en papier tomba de la cartouchière et atterrit dans une flaque de sang. Il le regarda un instant, le ramassa et entreprit de charger son BAR. « Je ne suis pas du genre à me rendre.

— Pareil. Je préfère mourir face à l’ennemi plutôt qu’attendre qu’on m’exécute comme un loup en cage.

— Tu mélanges les expressions. On n’exécute pas les loups.

— Comme tu veux. Nous aurons une mort honorable. Je quitte ce monde avec deux regrets. Le premier, de ne pas avoir réussi à tuer le traître, mais au moins nous savons que les infiltrés sont démasqués.

— Je suis sûr que ton père serait fier de toi. » Sullivan le pensait sincèrement. « Et le second ? »

Toru se tourna pour le regarder dans les yeux. « Je me demande vraiment qui de nous deux était le plus fort… » Il se pencha pour tendre la main à Sullivan. « Viens, finissons-en… mon frère. »

Bah, pourquoi pas ? Ce ne serait pas la première fois qu’il aurait un garde de fer pour frère. Sullivan accepta la main couverte de sang et grimaça de douleur quand Toru l’aida à se relever.

Les soldats se raidirent tout à coup. Il y avait du neuf dans le vestibule. Sullivan coula un regard par la porte ouverte.

C’était l’usurpateur.

Il était couvert de plaies et de bosses, de sang, de saleté. Son uniforme était en lambeaux. Mais il ne courait pas. Sullivan comprit. Saito ne contrôlait plus rien. C’était l’éclaireur, à présent, et il ne cherchait plus à fuir. Il était repéré ; la guerre était ouverte. Il venait les tuer, puis il tuerait les gardes de fer, après quoi il détruirait la ville.

Toru aussi avait compris. Ils échangèrent un regard. « La fortune nous sourit.

— Réglons son compte à cette ordure. »

Ils sortirent de la bibliothèque. Sullivan visa et ouvrit le feu. Des balles lui transpercèrent la poitrine dans un déluge rouge. Toru, juste derrière lui, activa son pouvoir et bondit en poussant son cri de guerre.

« TOKUGAWA ! »

Il y avait des gardes de fer partout. Ils criblèrent Sullivan de balles innombrables et l’ensevelirent sous les assauts magiques. Son BAR lui tomba des mains, mais, immédiatement, il dégaina son pistolet pour recommencer à tirer tout en avançant.

Le président ne tressautait même pas quand les balles le touchaient. Il pivota en montrant les dents et s’apprêta à voyager pour éviter la charge de Toru.

Sullivan dirigea sur lui toute la gravité possible. Toute la magie dont il disposait, renforcée par ses sortilèges et ce que le pouvoir lui transmettait passa dans cette attaque. N’importe qui se serait aplati comme une boîte de conserve écrasée sous une botte. D’ailleurs, trois gardes de fer un peu trop proches de leur maître moururent sur le coup.

Mais l’éclaireur avait donné à Saito une résistance extrême. Même sous une gravité cinquante fois supérieure à la normale, il tenait bon, alors que le dallage se fissurait sous ses pieds et que le marbre était pulvérisé. En revanche, il ne réussit pas à disparaître ; même un génie de la magie ne pouvait pas téléporter l’équivalent d’un train de marchandises.

Sullivan beuglait sous la violence de l’effort mais refusait de laisser Saito s’en tirer. Cela dit, il avait des limites, même avec le nouveau sortilège gravé sur la peau de son dos, qui grésillait en dégageant de la fumée comme une tranche de lard dans une poêle chaude.

Le président leva les mains pour repousser la gravité, et Sullivan sentit la magie revenir vers lui. Il poussa un rugissement.

Toru se battait contre une autre brute, et tous deux vinrent s’écraser aux pieds du président. Toru décocha un coup de poing dans la mâchoire de l’autre, mais un bougeur puissant l’envoya fracasser une colonne. Il se releva, abattit un garde de fer d’un coup de tetsubo, puis un autre. Un ninja apparut et glissa son épée dans un trou de son armure. Le sang gicla.

Les yeux de Dosan Saito se fermèrent à demi alors qu’il continuait à repousser la gravité. Dès que Sullivan craquerait, il s’échapperait et la moisson continuerait de plus belle.

Tu ne m’échapperas pas. Sullivan se concentra. Il était à sec, incapable de pousser plus fort. L’effort était inhumain. Un Jap lui abattit sur le crâne le canon de son fusil, qui se brisa. Un autre lui taillada le jarret ; Sullivan tomba à genoux dans un flot de sang.

Constant comme la gravité… Va te faire foutre. Jake Sullivan n’abandonne pas si facilement. Toru repoussa un adversaire et coupa en deux le ninja.

L’atmosphère se transforma. La lumière était plus vive. Des rayons dansaient dans la poussière, le sang et la fumée, affûtés comme l’épée qui venait de le blesser ; on aurait dit qu’ils tombaient du paradis. La Voyageuse braquait sur Shanghai la machine de Fuller, et la vérité apparaissait.

Une créature abominable accompagnait le faux président. Tous la voyaient clairement. Elle poussa un hurlement strident quand la lumière brûlante l’engloutit. C’était l’éclaireur, et il se savait condamné.

Les gardes de fer cessèrent de se battre et poussèrent des cris horrifiés devant le monstre pour qui ils couraient à la mort. D’autres entités horribles se faisaient passer pour leurs frères ; sous une apparence humaine, c’étaient des éponges qui absorbaient la magie des véritables soldats à l’agonie autour d’eux.

Les extraterrestres se jetèrent sur les humains avec l’énergie du désespoir. Le marbre disparaissait sous le sang écarlate.

Mais on ne s’intéressait plus à Toru. Il se releva, tetsubo brandi. Sullivan s’en aperçut ; Dosan Saito et l’éclaireur, non.

« TOKUGAWA ! »

Sullivan éteignit son pouvoir et s’effondra.

Toru abattit son tetsubo sur l’épaule de Saito, lui brisant la moitié des os. Un autre coup. Sous la lumière magique, l’éclaireur était vulnérable ; il glapissait tandis que la brute le réduisait en bouillie. Les tentacules jaillirent des yeux et des oreilles de Saito, d’où giclaient des flots de sang. Toru, enfin, frappa aux jambes, et Saito tomba comme une masse.

L’éclaireur s’éloigna en rampant. Il abandonnait derrière lui un filet de fange noire. Sullivan se contraignit à avancer ; derrière lui, c’était du sang rouge. Il rattrapa le monstre, qui cracha un cri de fureur, et leva le bras, concentrant tout son pouvoir en une pointe de gravité infinie, puis il écrasa son poing comme le doigt de Dieu. Sa main s’enfonça dans le marbre jusqu’au poignet.

L’abdomen de l’éclaireur fut comprimé, le reste s’enfla comme un ballon avant d’exploser sous l’inconcevable pression.

L’éclaireur était mort.

Sullivan resta prostré. Il se vidait de son sang. Dans son dos, le sortilège avait grillé, il ne remplirait plus jamais son office ; lui-même vacillait aux portes de la mort. Toru avança de quelques pas maladroits puis s’effondra, grièvement blessé. Du sang ruisselait sur ses bras.

Saito respirait encore, mais sa bouche rejetait plus de sang que de souffle. Toru l’avait éliminé pendant que Sullivan se chargeait de l’éclaireur.

Les gardes de fer affrontaient les monstres. Les trois mourants étaient seuls.

« Ça, c’était pour mon père, cracha Toru. J’ai recouvré mon honneur, traître. »

Saito mourut le premier dans un ultime gargouillis.

Mais l’éclaireur, malfaisant, avait préparé un sortilège de vengeance. Une ligne lumineuse apparut au-dessus de la bête massacrée et s’incurva pour former un kanji compliqué qui flottait au milieu de la salle. Sullivan sentait une énergie chaotique affluer tout autour, même s’il ne pouvait déchiffrer le caractère.