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« Boumeur », soupira Toru.

Sullivan ouvrit la main pour regarder le canard en papier imbibé de sang.

Le palais explosa.

Chapitre 23

Prenons le cas du courage. Le courage est presque une contradiction dans les termes. C’est un grand désir de vivre qui prend la forme d’une promptitude à mourir. « Celui qui perd sa vie la sauvera », ce n’est pas une sentence mystique pour les saints et les héros : c’est un avis pratique pour les marins et les alpinistes. On pourrait l’imprimer dans un guide ou dans une théorie militaire. Ce paradoxe est le principe même du courage, le plus matériel ou le plus brutal. Un homme surpris par la mer peut sauver sa vie s’il la risque au-dessus d’un précipice. Il ne se sauvera de la mort qu’en marchant continuellement à son côté. Un soldat entouré par les ennemis doit combiner une grande envie de vivre avec une étrange insouciance de la mort. S’il se cramponne simplement à la vie, c’est un lâche, et il ne se sauvera pas. S’il n’y tient pas, il se suicide, et ne se sauvera pas. Il faut qu’il cherche à vivre dans un esprit de furieuse indifférence ; il faut qu’il désire la vie comme de l’eau et qu’il boive la mort comme du vin.

G. K. Chesterton, Orthodoxie, 1908, tr. Paul Claudel.

Drew Town (New Jersey)

« Vraiment, une soirée palpitante, dit Hammer.

— Vous avez pris de mauvaises habitudes à trop nous fréquenter, répondit Jane. On ne peut pas toujours tomber sur des gardes de fer et des super-démons, si ? »

Hammer s’installa confortablement. « Réveillez-moi quand il se passe quelque chose. »

Ils se relayaient pour surveiller aux jumelles les rues tranquilles de Drew Town. Leur position surélevée et l’abondance de réverbères rendaient l’opération facile. Monotone, mais facile. Francis estimait qu’ils étaient bien cachés. Comme personne ne les cherchait, ça n’avait pas d’importance.

La ville grandissait vite. Les ouvriers faisaient les trois-huit. Les chevaliers entendaient nettement les engins qui tournaient. Depuis leur dernière visite, de nouvelles familles avaient emménagé. La population se comptait en centaines de personnes. Francis promena ses jumelles sur la longueur de la rue. Tout était calme. Il espérait que les anciens avaient donné l’alerte pour rien. Le lendemain, il serait simplement un peu fatigué quand il recommencerait à passer sous les fourches caudines de Roosevelt.

« Ça bouge dans la Première Rue, dit Dan. Regarde, Francis. »

Francis se tourna vers l’entrée de la ville. Six hommes marchaient sur le trottoir. Ils sortaient des bâtiments administratifs. « Un type en costard, des ouvriers, des vigiles. Attendez… C’est l’architecte, monsieur Drew en personne. Ils s’approchent d’une maison.

— Un peu tard pour une tournée d’inspection, non ? » demanda Hammer en se redressant.

Les quatre actifs tendaient le cou. Il ne s’était rien passé depuis des heures. « Eh, regardez rue C, au coin de la Quatrième », dit Jane.

Les jumelles pivotèrent. Le plan orthogonal simplifiait la tâche. Ce carrefour étant beaucoup plus loin, Francis dut faire le point. Quatre hommes sortaient d’une voiture garée, se séparaient en deux groupes et se dirigeaient vers deux maisons. Francis revint à l’architecte et ses compagnons : eux aussi s’étaient répartis en paires pour visiter trois maisons distinctes. Leur parfaite coordination était inquiétante. « Mais qu’est-ce qui se passe ? » Ils ne frappèrent pas aux portes. Pas besoin. Ils avaient des passes. Bien sûr : c’étaient eux qui avaient conçu les baraques. Au même instant, comme s’ils avaient échangé un signal alors que personne ne parlait, ils entrèrent. « Ils pénètrent chez des gens !

— Toutes ces maisons sont occupées, dit Dan. C’est la rue de notre lourd. »

Jane vint à la hauteur de Francis, qui lui tendit les jumelles. Il avait un mauvais pressentiment.

Certains intrus ressortaient déjà. Ils couraient à présent, traversaient les pelouses et sautaient les clôtures. Jane eut un hoquet en les observant. « Ce ne sont pas des hommes !

— Hein ?

— Je vois l’intérieur des gens. Ce ne sont pas des hommes. Pas du tout. Leur peau est une carapace !

— Merde ! » Francis attrapa son fusil. Fausse alerte, tu parles ! « On fonce. »

La porte d’entrée d’une des maisons s’ouvrit à la volée. Une gamine en chemise de nuit rose se précipita dans le jardin. On ne l’entendait pas, mais Francis vit qu’elle hurlait. Elle avait atteint la rue quand une silhouette se découpa dans l’encadrement de la porte et descendit les marches du perron. La chemise blanche de son uniforme était tachée de rouge. Le vigile leva la tête comme pour flairer, trouva la piste et s’élança aux trousses de la petite. À quatre pattes.

Francis était trop loin pour employer son pouvoir. Le cran de sûreté était dégagé. Le canon du Enfield se cala au creux de son épaule et il plaqua sa joue à la crosse. La lunette captait la lumière ambiante, mais il faisait quand même sombre. Les fils du réticule étaient grisâtres et flous. Il expira, et son doigt se posa sur la détente.

La petite fille trébucha. L’homme, la bête, bondit sur elle.

La lunette devint rose. Francis la redressa. Du blanc : il tira.

« Tu l’as eu ! » s’écria Dan.

Francis actionna la culasse. La petite fille se releva et repartit en courant. Le vigile à terre se redressait déjà. Dès que l’enfant se fut éloignée, Dan fit cracher le BAR pour réduire l’agresseur en morceaux. POUM POUM POUM POUM. Lent, rythmé.

D’autres sortaient des maisons, couverts de sang actif. Certains avaient laissé des lambeaux de peau dans des altercations avec leurs victimes ; ils n’en semblaient pas indisposés. Méthodiquement, ils passèrent à la maison suivante. Francis avait encore quatre balles ; toutes touchèrent leur but, mais un seul homme tomba. Les autres, comme invulnérables, continuaient vers leurs cibles.

On voulait massacrer les habitants de Drew Town.

Francis, sans même l’avoir décidé, descendit la colline au galop. Jane et Hammer étaient déjà à mi-pente.

Les anciens avaient prévenu tous les chevaliers du monde… Francis comprit : la même chose avait lieu partout sur la planète.

Stuttgart (Allemagne)

Par la fenêtre du bureau, on voyait des incendies, on entendait des sirènes de police. Jacques Montand, honteux, baissait la tête. « Je n’ai pas été à la hauteur. J’ai nui à la société du Grimnoir, à ses anciens et à l’humanité. Mon aveuglement délibéré a causé cette crise. J’assume la responsabilité de mes erreurs. »

Les anciens se taisaient. Deux hommes étaient assis dans le bureau obscur, les quatre autres participaient à la réunion via des sortilèges de communication. Le septième était porté disparu. L’ordre du jour était tragique. L’ennemi clandestin passait à l’attaque partout sur la planète.

« Jacques, intervint le Britannique, comment auriez-vous pu deviner ?

— Que la fille avait été choisie pour sauver l’humanité ? Que Sivaram n’était qu’un essai dans le développement de l’arme suprême ? Je ne pouvais pas savoir. Je ne pouvais que m’attendre au pire, mais je n’aurais pas dû refuser de voir la vraie menace. Faye et Sullivan ont essayé de nous prévenir. En cachant ce que je savais, en taisant que Faye avait survécu, je nous ai tous exposés à un immense danger. Je le répète : j’assume toute la responsabilité de mes erreurs, et j’accepterai les sanctions que le Grimnoir jugera appropriées. Si je dois payer de ma vie, soit.