Выбрать главу

Il la serra contre lui. Elle tremblait comme une feuille. « Ça va, Faye, je te tiens. Ça va aller.

— Tout. Tout ce que je voulais. Fini, les salauds, les guerres, la haine, selon ma volonté. Fini, les présidents, les Madi, les Corbeau. Plus jamais. » Elle délirait d’épuisement. « Tous. Finis. Mais, pour ça, il fallait que je sois forte, toujours. De plus en plus. J’aurais pris ce que je voulais, parce qu’il le fallait. C’est comme ça que j’aurais tout justifié. Mais c’est comme ça que naît le mal. Personne n’aurait été à l’abri, même pas toi. »

C’était du charabia. Francis s’aperçut qu’ils étaient tous les deux à genoux dans la boue. Il la remorqua vers un terrain sec et l’adossa à la roue d’une voiture, puis écarta de sa figure ses cheveux englués de sang. Il y en avait beaucoup, mais elle n’avait pas l’air blessée. « Jane ! Jane, j’ai besoin d’une guérisseuse !

— J’aurais pu. Avant, j’aurais dit oui. Mais Zachary m’a montré ce qui se serait passé. Ç’aurait été trop tentant. Francis, il m’a proposé de devenir une déesse. C’est pas bien. Pas comme ça. Personne ne devrait avoir tant de pouvoir. Si seulement c’était la malédiction et rien d’autre, mais j’ai dû choisir entre ce que j’aime et ceux que j’aime. » Faye ouvrit les yeux. « Alors j’ai renoncé. Toute la magie que j’avais gagnée, je l’ai rendue. J’ai choisi d’être moi. »

Francis plongea son regard dans les yeux de Faye. Des yeux bleus.

Épilogue

Mais dans ces rues sordides doit s’avancer un homme qui n’est pas sordide lui-même, qui n’est ni véreux ni apeuré. Dans ce genre de roman, le détective doit être un homme de cette trempe. Il est le héros, il est tout. Il doit être un homme complet, à la fois banal et exceptionnel. Il doit être, pour employer une formule un peu usée, un homme d’honneur – par instinct, par fatalité, sans même y penser et surtout sans le dire. […] Je le crois capable de séduire une duchesse et incapable de souiller une pucelle : s’il est homme d’honneur dans un domaine, il l’est dans tous.

Mon héros est relativement pauvre, sinon il ne serait pas détective. C’est un homme ordinaire, sinon il ne pourrait pas fréquenter les gens ordinaires. En matière de psychologie, il est perspicace, sinon il ne connaîtrait pas son boulot. Il se refuse à gagner de l’argent malhonnêtement et ne se laisse insulter par personne sans réagir comme il se doit, en gardant cependant la tête froide. C’est un solitaire ; sa fierté, c’est que vous le traitiez en homme fier – sinon, vous regretterez de l’avoir rencontré. Il parle comme un homme de son époque, c’est-à-dire avec un humour caustique, un sens aiguisé du ridicule, un profond dégoût pour le factice et un grand mépris pour la mesquinerie.

Le roman tel que je le conçois, c’est l’aventure de cet homme cherchant une vérité cachée, et ce n’en serait pas une si elle n’arrivait pas à un homme taillé pour l’aventure. […] S’il y avait assez d’hommes comme lui, le monde serait, je crois, un endroit où l’on vivrait en toute sécurité, mais pas trop ennuyeux cependant pour qu’on ait envie d’y vivre.

Raymond Chandler, Simple comme le crime, tr. Jean Bailhache.

Un an plus tard

Il s’était réveillé bien avant l’aube. Un baiser sur la joue de sa femme endormie, un regard dans le berceau de leur fils nouveau-né, puis il était sorti sur la pointe des pieds. Il avait entendu l’appel. L’heure était venue de regagner le monde : ils allaient avoir une journée chargée. Mais, d’abord, il avait besoin de réfléchir.

La maison n’était pas loin de la mer. Il marchait tranquillement. Il boitait un peu, à présent, sans doute pour le reste de ses jours. Les sortilèges de guérison lui avaient permis de survivre et avaient réparé le plus gros des dégâts. Le reste était entre les mains du temps.

La brume matinale était fraîche. Parfois, la nuit, on entendait les vagues. À part l’eau et le vent, le coin était calme. Parfait pour guérir, apprendre, se préparer. Un foyer rassurant, une région isolée. Ça lui plaisait.

Pas assez isolée, apparemment.

Toru Tokugawa l’attendait sur la plage, une épée à la main. Il donnait l’impression d’être installé depuis un bon moment.

« Je ne peux pas dire que ta présence m’étonne. » Sullivan s’arrêta à dix pas de lui, les mains dans les poches. « Je savais bien que le jour viendrait. »

Toru avait pris un coup de vieux ; à en croire les rumeurs, il n’avait pas chômé. Il portait des vêtements traditionnels, kimono et hakama foncés, avec un daisho passé dans l’obi et un long no-dashi à la main. Sullivan, à présent, connaissait tous ces termes : il avait beaucoup pratiqué le japonais ces derniers mois. Sa femme et lui voulaient que leur fils parle les deux langues.

Toru s’inclina pour le saluer. L’un dans l’autre, une attitude plutôt respectueuse. « Tu es difficile à trouver quand tu te caches, Sullivan.

— J’ai dit à l’Imperium tout entier que j’étais le diable… » Sullivan haussa les épaules. « Tes compatriotes sont partis en croisade contre tous ceux que ce diable aurait pu frôler un jour. Il n’aurait pas été malin de clamer sur tous les toits que j’avais survécu.

— Je suis intrigué. Comment as-tu fait pour survivre ? Le dernier sortilège de Saito a détruit le palais.

— Heinrich. Il s’est pointé, m’a attrapé, et on s’est estompés dans les fondations quand ça a pété. » Les jours suivants avaient été riches en émotions. Troué de partout, à peine capable de marcher, couvert de contusions, cherchant à quitter Shanghai alors que la ville s’effondrait autour de lui… « Et toi ?

— Un de mes frères, Hayate – un frère de sang, donc –, m’a fait voyager juste avant que le sortilège ne s’active… Mais tu savais que j’étais en vie.

— Je me suis fait discret, ce qui n’empêche pas de se tenir au courant. Ton histoire a fait le tour du monde. L’Imperium a appris qu’il s’était laissé berner, et tu as fait le ménage dans le nid de vipères. On t’a même promu au rang de premier garde de fer.

— J’ai proposé de me faire seppuku. L’empereur a refusé.

— Ça fait quel effet, passer de traître à héros national ?

— Je ne sais pas. Je n’ai jamais été un traître. » Toru rit doucement.

Sullivan secoua la tête en souriant.

Les deux hommes se turent un long moment. Toru se retourna pour regarder la mer. « La guerre a été courte mais coûteuse. Les derniers infiltrés se sont cachés dans les égouts, en haute montagne ou dans des marécages perdus. À présent, ce ne sont que des carnivores dangereux. On m’a laissé entendre que c’est la même chose dans d’autres pays. Là où la garde de fer n’a pas accès, le Grimnoir s’est chargé de les éliminer.

— On raconte que tu vas être nommé président.

— Non. Ce poste a été supprimé. Je servirai comme humble conseiller de l’empereur pour les questions stratégiques. Une fonction mineure. »

C’était un mensonge éhonté ou alors de la fausse modestie. « Tu parles ! Et quels conseils vas-tu donner ?

— La grande vision d’Okubo Tokugawa doit s’adapter. Maintenant que l’ennemi est prisonnier, l’avenir est moins sombre. Les écoles de l’Imperium n’existent plus. L’unité 731 a été dissoute. J’ai ordonné qu’on mette un terme aux expérimentations, et, pour l’instant, nous allons stabiliser et renforcer nos frontières plutôt que chercher l’expansion. Mais j’en ai déjà trop dit… Tu savais que l’Imperium a décidé de se retirer de Shanghai ?