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— Je l’ai entendu dire.

— Pendant que l’armée s’occupait des infiltrés, un jeune Chinois charismatique a réussi à unifier les factions rivales en une résistance organisée. La section impériale est en ruine et le conseil a estimé que, d’un point de vue économique, il n’était plus rentable de s’impliquer dans la gestion de la ville.

— Shanghai mérite enfin son nom de cité libre. » Sullivan retenait un sourire. Bien joué, Zhao.

« Il a de la chance de m’avoir rendu mon cendrier… » Toru secoua la tête. « Et tu sais que Dou-les-Grandes-Oreilles a été assassiné ? Une affreuse guerre des gangs a éclaté après notre départ. Le nouveau chef des Verts est un homme de l’ombre qui se fait appeler l’Aliéniste. »

Ça, c’était une nouvelle. Personne n’avait vu Wells depuis la bataille. « Je l’ignorais. Il n’a pas dû vouloir retourner à Rockville… Même si Rockville n’existe plus.

— Et toi, Sullivan ? À quoi t’es-tu consacré ?

— Tu me connais. Lu des livres, joué avec des sortilèges. Rien d’important.

— Mais bien sûr… monsieur l’ancien. »

Le réseau d’espionnage impérial était meilleur que Sullivan ne le pensait. Lui-même avait reçu la proposition très peu de temps auparavant. « Je n’ai jamais aimé les titres ronflants.

— Et quels conseils vas-tu donner ?

— Je suis avant tout un homme de terrain, mais, si les écoles de torture de l’Imperium sont fermées et si les délires eugénistes ont pris fin, je conseillerai… la retenue. »

Toru hocha la tête. « Une position pleine de sagesse. »

Deux anciens étaient morts pendant la guerre contre les infiltrés. Browning en avait remplacé un, et qui était plus indiqué pour occuper le septième siège que l’homme qu’ils auraient dû écouter dès le début ? Montand avait voté pour lui avant de démissionner. Churchill également l’avait soutenu. Le vote décisif était venu de l’Américain déjà en poste, et Sullivan avait découvert, à sa grande surprise, qu’il s’agissait de William Donovan, le nouveau directeur du BCI. Avec un chevalier à ce poste clé, le Grimnoir avait réussi à saboter le plan de Roosevelt visant à enregistrer et contrôler les actifs. Le gouvernement ne s’était aperçu de rien. Sullivan devait le reconnaître : le Grimnoir voyait loin.

« Je dois savoir une chose avant d’en finir. Qu’est devenue l’ensorcelée ? »

Bien sûr, elle intéressait les espions impériaux. Après tout, elle avait sauvé le monde. « Elle n’est plus l’ensorcelée.

— J’ai entendu des rumeurs.

— Elles sont fondées. Faye n’est plus une voyageuse. Ce pouvoir était lié à sa malédiction, et elle l’a perdu en emprisonnant l’ennemi.

— Plus une voyageuse… Je l’ignorais. Un jour, peut-être, l’ennemi réussira à s’échapper, mais l’humanité entière a une dette envers cette jeune femme.

— Elle va bien. »

Faye n’était plus la première active du monde, mais elle restait sans doute la plus maligne. L’Imperium n’avait pas besoin d’apprendre qu’elle était une engrenage et qu’elle développait la magie dans des directions révolutionnaires. Surtout depuis qu’elle avait appris à se connecter à différentes régions du pouvoir, ce qu’elle appelait plier la magie. La dernière fois que Sullivan avait parlé avec Francis, celui-ci lui avait dit que la petite était déterminée à voyager de nouveau. Elle réussirait, il n’en doutait pas. Elle avait perdu une partie de son talent, d’accord, mais elle n’avait pas fini d’épater son entourage. Après avoir sauvé le monde, elle comptait l’améliorer.

Toru, étonnamment, paraissait ému par le sacrifice qu’elle avait consenti. Certains actifs tenaient à leur magie plus qu’à leur vie. « Comment supporte-t-elle cette perte ?

— Elle est plus forte que nous… Mais passons. Toru, tu n’es pas venu évoquer le souvenir de vieux amis. D’ailleurs, elle n’a jamais pu te blairer.

— Ça, c’est vrai… » Toru contemplait les vagues qui se fracassaient sur les rochers. « Je suis venu finir ce que nous avions commencé. Il faut décider une fois pour toutes qui de nous deux est le plus grand guerrier. »

Sullivan sortit les mains de ses poches. Son pouvoir était prêt. « Ce n’est pas obligé de se terminer comme ça. »

Toru brandit la longue épée toujours dans son fourreau. « Sais-tu comment j’ai appris que tu n’étais pas mort, Sullivan ? Non ? » Il leva la lame à deux mains comme pour en trouver le point d’équilibre. « Ceci est le no-dashi de Sasaki Kojiro, et il a appartenu à mon père. À l’époque où je l’ai trouvé sur Mason Island, j’ai cru à un signe de l’approbation de mon père. Cette découverte, à ce moment-là, était très importante pour moi.

— Je ne l’avais pas reconnu. » Sullivan n’avait retenu qu’une chose quant à cette arme : Toru allait s’en servir pour essayer de le tuer.

« Quand j’ai été fait prisonnier, à Shanghai, elle était toujours à bord de la Voyageuse. Tout comme ceci… » Toru posa une main sur le katana et le dégaina lentement. Un mètre d’acier mortel. « À l’époque, il était en deux morceaux. Depuis, on m’a réhabilité, je l’ai fait réparer. Ces deux lames auraient dû être perdues à jamais. Comment se sont-elles retrouvées en ma possession ? »

Southunder avait posé la Voyageuse sans trop de casse et l’avait planquée jusqu’à ce que le chaos s’apaise en Chine. Heureusement, l’Imperium avait d’autres soucis ; Sullivan et ses compagnons avaient pu rejoindre les pirates et décamper. « Quand nous sommes rentrés chez nous, j’ai appris que tu avais réintégré la garde de fer. J’ai tiré quelques sonnettes, et un diplomate s’est chargé de te rapporter ton matos.

— Pourquoi ?

— J’étais là quand tu as brisé ton épée. Tu as dit que tu la réparerais le jour où tu retrouverais ton honneur… » Sullivan haussa les épaules. « Pourquoi empêcherais-je un homme de reconstruire sa vie ?

— Quand je les ai reçus, j’ai su que c’était ton œuvre, et donc que tu n’étais pas mort. »

Toru lança à Sullivan la plus grande des deux armes.

Jake la saisit d’une seule main. Elle était beaucoup plus légère qu’elle ne le paraissait. « Sans vouloir manquer de respect à tes traditions à la noix, je ne tiens pas à me battre en duel. La dernière fois que j’ai manié l’épée, je me suis couvert de ridicule. Si on se bat, je t’écrabouille à coups de gravité, point à la ligne.

— C’est un cadeau. » Toru rengaina son katana. « Garde-la en souvenir de notre bataille contre l’ennemi.

— Je ne risquais pas de l’oublier.

— Je voulais savoir qui était le plus fort… Je crois que nous connaissons la réponse. » Toru s’inclina profondément.

Sullivan lui rendit son salut.

« Un jour, nos deux nations entreront en guerre, ou bien le Grimnoir et la garde de fer s’affronteront à nouveau. Ce jour-là, si nous nous battons l’un contre l’autre, nous réexaminerons la question… D’ici là, bonne chance, Sullivan. »

Toru Tokugawa, premier garde de fer, tourna les talons et s’en fut.

Jake Sullivan, ancien de la société du Grimnoir, regarda le soleil se lever, l’épée à la main.

Un jour, il la donnerait à son fils.

FIN

Glossaire des termes de magie tiré des notes de Jake Sullivan, 1932