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— La LEA n’est donc qu’un prétexte pour nous cataloguer… Décider qui est utile et qui ne sert à rien. Sans doute éliminer les électrons libres, tant qu’on y est. C’est ce que fait Staline. Les coller dans des camps, à l’écart, là où ils ne menacent personne, jusqu’à ce qu’on ait besoin d’eux comme armes contre une puissance étrangère.

— Nous n’avons aucun plan de ce…

— Granada, Minidoka… Je suis un bougeur, c’est là qu’on m’enverra. La Gila, Topaz… Ça vous dit quelque chose, monsieur le président ?

— Épargnez-moi vos leçons de morale. C’étaient les plans de la cabale menée par Bradford Carr. J’étais autant que vous victime de ses machinations.

— Mais vous accomplissez son rêve ! Vous édifiez la structure nécessaire à la réalisation de ses projets. Vos grands discours sur la sécurité du pays sont des subterfuges pour profiter de la peur qui règne. Les actifs sont des citoyens comme les autres. Vous usurpez des pouvoirs qui ne relèvent pas de votre mandat. »

Les hommes politiques supportaient mal qu’on leur mette le nez dans leurs mensonges. « Comment osez-vous…

— Oh, j’ose très bien ! » Francis avait pris le mors aux dents. « Carr avait dressé une liste d’extermination, et vous voulez que je fasse confiance au gouvernement ? Même si je me fiais à votre administration, ce qui n’est pas le cas, que penser de la suivante ? Ou de celle d’après ? Foutaises !

— Ne prenez pas ce ton-là avec moi. » Roosevelt n’avait pas l’habitude qu’on lui parle ainsi. Dans un éditorial, peut-être, mais pas face à face.

Francis ne s’était pas rendu compte qu’il criait. « Pardonnez-moi. Les ordres d’extermination me font monter la moutarde au nez.

— Nous devons suivre la marche du progrès.

— Ce que vous appelez progrès, je le nomme esclavage.

— Un terme violent mais trompeur. » Roosevelt secoua la tête en soupirant. « Nous avons un désaccord philosophique. Que vous le vouliez ou non, nous arriverons à un compromis. Moins votre camp se montrera raisonnable, moins ce compromis vous plaira.

— J’ai eu la même conversation avec Bradford Carr alors que j’étais enchaîné à la muraille de ses oubliettes… Il estimait que les individus appartiennent au gouvernement. Moi, je dis que c’est l’inverse. Entre ces deux positions, pas de compromis possible. »

Le président, visiblement furieux, posa les mains bien à plat sur son bureau. « Oh, je vais vous en trouver un, moi. Je ferai passer mes réformes et vous ne me mettrez pas de bâtons dans les roues.

— C’est une menace ? »

Le couteau symbolique fit son apparition. « Je suis le président des États-Unis d’Amérique. Vous êtes l’enfant gâté d’un marchand de dirigeables.

— Je suis un marchand de dirigeables florissant, corrigea Francis.

— Mais combien de temps le resteriez-vous, si le gouvernement fédéral tout entier se dressait contre le CBF ? Beaucoup de voix s’élèvent pour clamer que le CBF détient un monopole et que briser ce monopole serait excellent pour l’économie. Si cela devait arriver, vous vous retrouveriez dans un autre secteur professionnel. Perspective fort regrettable. »

Ce n’était pas une menace, c’était une menace redoutable.

« Je vous ai convoqué pour vous faire entendre raison, Francis. J’ai besoin de vous. Choisissez entre la coopération et l’obstination.

— Pour faire quoi, au juste ? »

Roosevelt rengaina son couteau pour reprendre son air de gentil papy radiophonique désireux de voir toute sa famille prospère et épanouie. « Très simple. Vous possédez Dymaxion ? »

C’était donc là le véritable motif de l’entretien. Francis se mordit les lèvres. Les annuleurs Dymaxion de Buckminster Fuller étaient les seules machines capables d’empêcher totalement les actifs d’accéder au pouvoir, mais il n’en existait plus que quelques-uns. « Vous voulez des annuleurs magiques ?

— On me dit que vous refusez d’en vendre.

— Si je disposais d’une machine qui rende aveugle ceux qui ont une bonne vue, ou sourds ceux à l’oreille fine, je n’en vendrais pas non plus. Je protège les consommateurs.

— Ces engins, paraît-il, sont indispensables à la sécurité du pays. Le BCI en possède encore un ou deux ; ce n’est qu’une question de temps avant qu’un engrenage ne réussisse à les copier. Votre entêtement se révélera inutile. D’ici là, je vous serais très reconnaissant de recommencer à en vendre au gouvernement. Je comprends bien qu’ils sont précieux, difficiles à fabriquer – presque des œuvres d’art. Je m’assurerai que vous soyez généreusement dédommagé. Si le CBF apportait sa contribution aux efforts du gouvernement, mes inspecteurs n’auraient aucune raison de s’intéresser à votre entreprise. »

Si les menaces échouent, il reste toujours la corruption. Francis sourit. « Parce que sans Dymaxion, impossible de réduire en esclavage des actifs en colère ? »

Roosevelt plissa les yeux. Ça ne lui avait pas plu. « Par respect pour votre famille, j’ai essayé de me montrer raisonnable, mais vous ne l’êtes pas du tout. Vous allez confier au gouvernement votre stock de Dymaxion, et vous nous montrerez comment en fabriquer d’autres, sans quoi vous subirez de graves répercussions. »

Francis, naguère, avait abordé le vaisseau amiral de l’Imperium pour se bastonner avec un détachement de gardes de fer et le plus grand sorcier du monde. Franklin Roosevelt sous-estimait largement sa capacité à se contrefoutre de tout et du reste. « Je vous rappelle mon père, dites-vous, mais il y a une grosse différence entre nous deux. Lui avait des principes flexibles. Moi, non. Voulez-vous me déclarer la guerre, monsieur le président ? Si vous confisquez illégalement mes biens, vous l’aurez.

— Soit, monsieur Stuyvesant. Si vous voulez la bagarre, allons-y. L’histoire ne montre aucune indulgence envers ceux qui entravent la marche du progrès. »

Dan Garrett allait râler. « Dans ce cas, l’entretien est terminé. » Francis se leva. « Bonne journée, monsieur le président. »

Roosevelt pressa un bouton. La porte s’ouvrit sur un appariteur venu raccompagner Francis. Le regard assassin du président prouvait qu’il s’était fait un ennemi redoutable. « J’ai une dernière question, avant que vous ne partiez. »

Francis, bien qu’écarlate et encore furieux, s’efforça de rester correct. « Je serais ravi de pouvoir vous aider.

— Un seul homme a jamais réussi à bloquer les pouvoirs magiques, et il travaille pour vous. Où se trouve Buckminster Fuller ? »

Oh, jamais je ne laisserai ces vautours s’emparer du plus précieux de mes engrenages… « Vous les connaissez, ces savants, toujours la tête dans les nuages. Si je le croise, je lui dirai que vous vous inquiétez de sa santé. Aux dernières nouvelles, il était en vacances. »

Chapitre 3

Une étrange affliction, cette magie des engrenages. À presque tous égards je suis un homme d’aptitudes moyennes. Sur presque tous les sujets, je raisonne comme n’importe quel homme instruit, mais, quand mon esprit se tourne vers les dirigeables, mon cerveau prend feu. Les idées me tombent dessus. Mon intellect atteint des sommets. L’abstrait devient évident. Mes failles se corrigent toutes seules. Mes faiblesses apparaissent et deviennent des forces. Des années de pensée scientifique se réalisent en quelques jours fiévreux, et quand les flammes retombent je découvre que j’ai une fois de plus révolutionné le monde. Je me pose une question : si je n’étais pas né avec cette forme de magie, l’homme serait-il condamné à employer des moyens de transports inférieurs, comme l’aéroplane ?