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« Qu’est-ce qui se passe ? demanda un grand jeune homme.

— Tu es lequel ?

— Mike Willis. Liseur.

— On a un espion. Préviens-moi dès qu’il ment. » Sullivan se retourna vers Skaggs. « Ce monsieur est un liseur. Je vais donc t’arracher la vérité, même s’il faut l’aspirer directement dans ton cerveau.

— Va te faire foutre », répéta Skaggs entre ses dents.

Heinrich apporta une longueur de corde épaisse – ils étaient dans la soute à cordages, après tout – et leva à l’intention de Jake un sourcil interrogateur. Le lourd haussa les épaules, et Heinrich entreprit de fouetter l’espion sur la tête et le cou. Skaggs se roula en boule pour essayer de se protéger le visage.

« Moi, je suis un parleur ! dit l’autre chevalier, un gringalet aux cheveux bruns. Je peux le convaincre de passer aux aveux, ce que vous faites là n’est pas nécessaire.

— Ça te choque ?

— Ça dépend de qui est son employeur. » Le parleur fronça les sourcils. « S’il bosse pour l’Imperium, je veux cogner moi aussi.

— Comment tu t’appelles ?

— Genesse.

— Tu me plais, Genesse. » Sullivan laissa une minute à Heinrich avant de lever la main pour interrompre le passage à tabac. « Mon ami teuton supporte difficilement qu’on lui fasse perdre son temps. Il te reste à choisir si on te fait très mal ou pas. Alors ? Avec qui parlais-tu ? »

Skaggs se releva en tâchant de recouvrer un peu dignité, puis cracha un rire. « Je leur ai dit que vous arriviez. Je vous conseille de me relâcher : les Japs vont vous réduire en bouillie. »

Sullivan se tourna vers le liseur, qui hocha la tête. Skaggs travaillait pour l’Imperium. C’était effarant, le nombre de crétins recrutés en Amérique par leur adversaire. Jake aurait pu lui demander ses motivations, mais ça n’aurait servi à rien. Les raisons variaient, mais on en revenait toujours à la soif de pouvoir, à l’appât du gain ou, pire encore, au fanatisme de ceux qui s’étaient laissé contaminer par les délires du président. Les raisons n’avaient pas d’intérêt.

« Tu travailles seul ? »

Skaggs cracha du sang sur le plancher métallique. « À ce que j’en sais. »

Willis hocha la tête.

« Quelle était ta mission ?

— Surveiller Toru, le traître. Apprendre ce que vous mijotiez. Faire des rapports.

— C’est tout ?

— C’est tout. On ne m’en dit pas beaucoup, tu piges ? »

Le liseur semblait confirmer. « Je capte beaucoup de pensées selon lesquelles, sur le moment, ça semblait une bonne idée. »

Sullivan ne s’était pas attendu à cela.

« Rien de personnel. Je ne suis pas amoureux de l’Imperium. J’ai des dettes. J’ai des ennuis. Un de leurs gars, un des gros méchants couverts de cicatrices magiques, est venu me faire une proposition. Qu’est-ce que j’étais censé répondre ? Ils payaient bien.

— Tu trouves que c’est une bonne excuse ? aboya Heinrich.

— J’ai droit à une dernière déclaration ?

— Si tu arrives à parler très vite, dit la souris contrôlée par Lance. Heinrich, à toi l’honneur ?

— La sortie rapide ?

— Ça me va.

— Attendez ! » hurla Skaggs.

Mais Heinrich l’avait déjà saisi à l’épaule. Tous deux virèrent au gris, s’enfoncèrent dans le plancher et disparurent. Entre eux et le sommet des montagnes, un vide immense.

« Seigneur, murmura Willis.

— C’est ce qu’on gagne à frayer avec l’Imperium », déclara Genesse d’une voix tranquille.

Cet homme-là savait comment traiter l’ennemi.

Willis, lui, était horrifié. « Comme ça, là ?

— Comme ça, là. Un espion, en temps de guerre, ça n’a pas droit à un procès. On l’exécute et on passe à la suite. » Sullivan secoua la tête. « S’il avait réussi sa mission, on serait tous morts. Lui aussi, d’ailleurs. Quel imbécile !

— Pour sûr, les Japs n’auraient pas cessé le feu le temps de le faire descendre, renchérit Lance. Les taupes ne leur inspirent aucune loyauté. » Il appartenait au Grimnoir depuis très longtemps, et la mort d’un larbin de l’Imperium ne le bouleversait pas.

Genesse contemplait le miroir fracassé. « On aura droit à un sacré comité de réception après ça, en Sibérie.

— Heureusement que ça n’a jamais été notre destination », rétorqua Sullivan.

Un téléphone de cuivre était fixé à la paroi opposée. Jake s’en approcha, tourna la manivelle pour le charger et contacta la passerelle. « Commandant ? Ici Sullivan. C’est réglé. Vous savez quoi faire.

— Pendant le briefing, je me suis demandé pourquoi vous nous mentiez, dit Willis. On ne va pas me reprocher de recourir à mon pouvoir de temps à autre, quand même ? Je n’ai pas fouillé, promis. Mais, pendant tout votre discours, l’idée que c’était du flan se baladait un peu partout.

— Pas mal. » Sullivan n’avait pas senti l’intrusion. À l’avenir, il lui faudrait mieux se protéger : le gosse était doué.

« Fuller n’a jamais construit de machine capable de repérer l’éclaireur, expliqua la souris de Lance. Fuller est un génie. Il voit l’énergie magique et peut bidouiller à peu près n’importe quoi, mais il n’a même pas essayé de toucher à un sortilège pareil. Une fois qu’il aura vu à quoi ressemble le pouvoir de la créature, peut-être, mais, d’ici là, il est coincé.

— Selon Toru, les engrenages du président ont déjà conçu un engin qui détecte l’ennemi, précisa Sullivan. C’est là qu’on se rend. »

Heinrich remonta dans la cabine, seul. Il reprit consistance et frappa dans ses mains comme pour se nettoyer. « Vous, je ne sais pas, mais moi je suis curieux de savoir combien d’autres salopards l’Imperium a glissés à bord. »

La souris de Lance gloussa. « Quoi qu’il en soit, le prochain sera beaucoup plus prudent, je vous le parie. »

La Voyageuse grinça et tangua : elle changeait de cap.

Le liseur était intrigué, mais la réputation de ses confrères l’effrayait trop pour qu’il essaie de fouiller dans leurs pensées. La curiosité, c’était bien beau, mais pas quand on fricotait avec les gens qui avaient combattu le président… et survécu. « On va où, alors ?

— À l’atelier du père Noël », répondit Lance.

Le pauvre liseur était de plus en plus perdu.

Sullivan secoua la tête. Il n’aimait pas les cachotteries. « Au pôle Nord. »

PARIS (FRANCE)

Faye, assise dans un petit café parisien en face de l’ancien qui avait voté sa mort, trépignait tandis qu’il sirotait un expresso en regardant les gens marcher sous la pluie.

« Vous avez bientôt fini ? lui demanda-t-elle.

— Cela fait cinq fois que vous me posez la question, répondit Jacques en souriant.

— Six. Parce qu’on est là depuis une éternité. » Des clients l’avaient entendue, mais personne ne s’étonnait d’entendre parler anglais. Selon Jacques, ce quartier était très fréquenté par les touristes et les expatriotes – Faye ne connaissait pas le mot. Les serveurs avaient l’air de le connaître, il devait être un habitué. « Vous restez assis à boire du café en regardant des trucs.

— Regarder des trucs et boire du café, c’est ce que j’aime faire de mon temps, très chère. Je suis à la retraite. »

Faye gémit. La retraite, c’était une toquade européenne : une fois vieux, on arrêtait de travailler. Drôle d’idée ! Grand-père était plus vieux que Jacques, et il avait trait les vaches jusqu’à son dernier jour. Et, si Madi ne l’avait pas assassiné, il serait encore en train de traire les vaches, Faye en était certaine. « La retraite… En France, les gens sont bizarres. Vous êtes un chevalier du Grimnoir, quand même. » Elle désigna la bague noir et or qu’il portait. Elle avait la même. « Un chevalier, ça ne prend pas sa retraite.