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— Ce n’est pas mon métier, c’est ma vie. Vous voyez la différence ?

— Allez ! Vous m’avez promis de m’aider à être l’ensorcelée. »

Jacques avala une nouvelle gorgée de café. « Vous me faites dire ce que je n’ai pas dit. Je ne vous ai rien promis. Vous avez failli me tuer, et j’ai eu la gentillesse de vous proposer mon aide si vous aspiriez à mieux comprendre la situation. Je vous ai donné ma parole de cacher votre présence à mes confrères et de vous apporter l’assistance nécessaire. C’est ce que je suis en train de faire. Ou d’essayer. Je suis un vieux monsieur plein de bienveillance, et vous êtes une gamine autoritaire.

— Autoritaire ? » Selon ses critères, Faye ne s’était même pas montrée menaçante. Jacques était toujours en un seul morceau. « Vous passez pour le spécialiste de la question.

— Oui. C’est vrai… » Il se tut mais, sous le regard impatient de Faye, il finit par céder. « Je vais vous dire tout ce que je sais sur l’ensorcelé. Puisque les anciens ont décidé de n’intervenir que si vous tourniez mal, le moins que je puisse faire est de vous fournir les clés pour apprécier ce qui vous arrive. Cela dit, je pense que les effets du sortilège sont directement liés à la personnalité du magicien qui s’en sert. Pour que vous puissiez comprendre l’ensorcellement, il faut d’abord que, moi, je vous comprenne. »

Faye attendit sans répondre. Jacques but encore un peu et prit le temps d’examiner un jeune couple qui passait sous des parapluies colorés. La charmante serveuse s’approcha : elle reçut un sourire. Jacques jouait les jolis cœurs. Puis il se replongea dans sa contemplation arrosée de café.

« Alors ?

— Quelle petite impatiente vous faites ! »

Faye gémit. « C’est parce que vous êtes si lents, tous ! »

Il hocha la tête. « Intéressant.

— Quoi ?

— Vous dites souvent cela. À vos yeux, tout le monde est lent. Vous ne trouvez pas cela bizarre ?

— C’est pas de ma faute si les cerveaux des gens tournent moins vite que le mien. » Même les gens les plus intelligents de son entourage, comme M. Browning ou M. Sullivan, lui donnaient l’impression d’avoir le crâne plein de mélasse. « Le prenez pas pour vous.

— C’est fascinant. Vous n’avez pourtant pas fréquenté des gens obtus. Je connais un peu les chevaliers américains de Pershing. Ils sont intelligents, déterminés, presque trop résolus. Or tout en vous laisse penser que vous les trouvez apathiques. Tous les rapports le mentionnent. Les plus fins observateurs évoquent la vitesse de votre cervelle, quand la plupart se contentent de vous juger bizarre.

— Les rapports ? Quels rapports ?

— Quand vous avez attiré notre attention, nous nous sommes renseignés à votre sujet. Les voyageurs qui parviennent à l’âge adulte sont rares, mais, si en plus ils survivent au Tokugawa et à un rayon de paix, ils deviennent exceptionnels. Depuis longtemps je réfléchis à ce qui se passerait si l’ensorcelé revenait parmi nous. Naturellement, j’ai demandé à consulter votre dossier. Croyez-vous que j’aurais voté sans apprendre tout ce que je pouvais ? Je ne suis pas un barbare. » Jacques grignota un gâteau sec et le fit descendre avec une gorgée de café.

« Si vous n’accélérez pas, je vous jure que je me téléporte en embarquant votre tête. »

Il haussa un sourcil. « Comme avec les mains du président ? Un exploit remarquable. »

Faye s’empourpra. Ça faisait du bien, un compliment de temps en temps. « Ouais. C’était bien joué.

— Étiez-vous sûre que ça allait marcher ? »

Elle haussa les épaules. « Ça semblait logique. J’ai supposé que oui. De toute façon, personne d’autre n’avait l’air bien parti.

— Et pourtant vous n’aviez encore jamais téléporté un morceau de corps étranger. Qu’est-ce qui vous disait que vous en étiez capable, surtout contre un adversaire de l’envergure du président ?

— C’est difficile à expliquer. J’ai examiné la situation, réfléchi à tout ce que j’avais entendu dire là-dessus, et j’en ai vite tiré une conclusion.

— “Vite”, c’est combien de temps ?

— Une seconde, je dirais. » Ça devait être ça. Le temps ralentissait quand elle se concentrait. « Je ne sais pas au juste.

— Ce sont des éléments de ce genre, dans les rapports, qui m’ont fait envisager que vous soyez l’ensorcelée. C’était tiré par les cheveux, et beaucoup de mes confrères refusaient même d’admettre que vous ayez accompli cet exploit.

— Mais si ! J’ai vaincu le président ! » Lors de sa dernière rencontre avec les anciens, leur incrédulité l’avait beaucoup agacée.

« Oui. Comprenez pourtant qu’ils doutent. Sans formation digne de ce nom, sans expérience, vous avez réussi à éliminer le plus grand sorcier de tous les temps. Un homme qui avait survécu à tout, échappé à des dizaines de tentatives d’assassinat ourdies par les actifs les plus talentueux ; et vous improvisez un stratagème qui lui dame le pion. Ensuite vous téléportez le Tempête tout entier de l’autre côté du Pacifique. Combien de temps avez-vous mis à décider que vous y arriveriez ?

— La menace d’un incendie, ça fait réfléchir vite. » Faye s’aperçut que Jacques la regardait fixement. Il était beaucoup plus malin qu’il ne voulait le paraître. S’en apercevoir la mit mal à l’aise. « Bon… J’ai vu le bidule de Tesla détruire le Tokugawa ; il fallait prendre en compte le poids du Tempête, de son équipage, pour ne pas faire fusionner les gens, et puis notre position, notre vélocité. J’ai même dû vérifier le vent et les moteurs, puis la vitesse à laquelle le pilier de lumière nous fonçait dessus. J’ai compris qu’il fallait réapparaître bien au-delà des limites de ma carte mentale. J’ai réfléchi à toute allure et j’ai agi avant que le rayon de Tesla ne nous atteigne. Mais, comme je n’avais qu’une seconde, j’ai un peu raté mon coup et j’ai poussé trop fort. J’ai eu de la chance de ne pas tuer tout le monde. »

Jacques ne l’avait pas lâchée du regard. Il avait la bouche entrouverte, l’air vaguement surpris. Il se reprit immédiatement.

« Ça va, Jacques ?

— Tout ça avant que le pilier de lumière ne vous atteigne ?

— Ouais. »

Le Français vida sa tasse cul sec, fouilla ses poches et posa un billet sur la table. « Ainsi se termine la leçon du jour.

— La leçon ? C’était une leçon, ça ? »

Il enfonça son chapeau sur ses cheveux blancs. « Oui. C’était votre première leçon dans l’art de maîtriser le sortilège le plus dangereux que le monde ait jamais connu.

— Je ne connais pas grand-chose à l’école, mais vous n’êtes sûrement pas un très bon professeur.

— Je ne prétends pas le contraire. Retrouvez-moi demain à dix heures. » Jacques s’en fut à grands pas. Malgré le déluge, il n’avait pas de parapluie. Il ne se retourna pas.

Faye fit un sort aux gâteaux secs avec de grands soupirs.

Chapitre 5

Face à tous les héros Le démon dans l’Oklahoma Il pleut, il pleut En ce lieu si sec Il fait pleurer les anges Il pleut, il pleut La foudre s’abat Hé, Grimnoir, il pleut.