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Un estompeur déterminé réussissait à pénétrer à peu près n’importe où. Il tapota le battant pour signifier aux autres d’entrer. Il aurait pu les attendre, mais il fallait bien s’amuser de temps en temps. De toute façon, les estompeurs préféraient travailler en solitaires. Heinrich ramassa la mitraillette du soldat mort, un modèle Arisaka qu’il connaissait un peu. Il vérifia le chargeur et actionna la culasse. Il avait apporté son matériel, mais autant commencer par utiliser les munitions ennemies.

La première pièce était séparée du reste du bâtiment par une lourde porte, sans doute pour isoler du froid. Heinrich traversa le mur vers un couloir mal éclairé. Il devait faire dix degrés, ce qui lui paraissait étouffant, et sa peau le démangeait.

Une forme blanche lui frôla les genoux. Il reconnut le démon préféré de Ian Wright. L’évoqué fila devant pour aller semer le chaos chez l’ennemi. Les couloirs, c’était dangereux. Il valait bien mieux passer par l’épaisseur des murs ; Heinrich traversa donc une enfilade de resserres et de bureaux déserts jusqu’à atteindre une chambrée.

Six troufions s’habillaient pour prendre leur quart ou se déshabillaient avant de se coucher, ce n’était pas facile à dire. Il n’y avait pas de lits, rien que des paillasses à même le sol et très peu de meubles ; donc rien pour se cacher. Les six hommes levèrent des yeux stupéfaits.

Heinrich ouvrit le feu.

La chambre était petite ; il garda le doigt sur la queue de détente et pivota de gauche à droite. Cette méthode gâchait des munitions, mais il vida le chargeur tout entier. Un seul réagit assez vite pour vouloir dégainer ; Heinrich l’avait criblé de plomb avant que le pistolet ne sorte du holster.

Ils avaient l’air hors de combat. Il ramassa le pistolet, un très beau Nambu, vérifia qu’il était en état de tirer et se plaça dans un angle, là où la porte ouverte le dissimulerait. Pour avoir déjà pénétré dans des bâtiments de l’Imperium, il savait qu’on y installait de préférence des portes coulissantes. Mais celles-ci devaient mal isoler du froid, car la base polaire était équipée de modèles standard. Il se faisait cette réflexion tout en regardant les six hommes se vider de leur sang à ses pieds.

Entendant des cris dans la pièce voisine, il oublia l’aménagement intérieur pour se concentrer sur la mission. Les Japs allaient se précipiter pour voir ce qui se passait mais comprendraient qu’il ne pouvait s’agir d’un accident et attendraient des renforts avant d’entrer. Ils seraient prêts. Ils se concentreraient sur la direction d’où devait venir le danger.

Heinrich sourit. Les estompeurs attaquaient rarement de face.

Des cris en japonais. La porte s’ouvrit à toute volée. Il traversa le mur pour se retrouver derrière les nouveaux venus. Ils étaient trois et, comme prévu, n’avaient d’yeux que pour la chambrée qu’il venait de quitter. Il en abattit un d’une balle dans la tempe. L’autre bondit, mais Heinrich avait déjà tiré. Le Nambu tirait des 8 mm anémiques : il fallut plusieurs balles pour être sûr de l’avoir éliminé. Heinrich se tournait pour régler son compte au dernier quand il s’aperçut que le Nambu avait fait des siennes. Un étui de cuivre dépassait de la fenêtre d’éjection comme un tuyau de poêle et le narguait. Le dernier soldat faisait volte-face en dérapant dans une flaque de sang. Le temps pressait.

Heinrich pouvait contrôler le degré auquel il se dématérialisait. Traverser des objets était un jeu d’enfant, et ça marchait bien sûr avec des balles. Il vira au gris quand les premières touchèrent ses vêtements ; elles laissèrent un sillage chaud dans sa poitrine et ressortirent. Le soldat, éberlué, s’arrêta de tirer et Heinrich redevint solide tout en lui jetant le Nambu au visage : il s’écarta, mais c’était tout ce que demandait l’estompeur, qui sortit le stylet de son manteau, écarta d’un revers le canon ennemi et enfonça la lame une fois, deux fois, trois fois entre les côtes. Le Jap s’effondra.

Il entendait des cris au bout du couloir. Le Grimnoir était entré. Sa dernière victime voulait encore se battre, même le cœur perforé : Heinrich lui décocha un grand coup de pied dans la tête pour qu’il se vide de son sang dans une torpeur inconsciente, puis récupéra une autre mitrailleuse et s’en fut vers les bruits d’affrontement.

Les chevaliers ne faisaient qu’une bouchée des défenses de la station. D’ordinaire, l’Imperium se battait mieux que cela, mais l’assaut était inattendu, et, si Heinrich avait choisi un seul avantage au combat, ç’aurait été la surprise.

Jake Sullivan, lui, aurait sans doute préféré une force écrasante. Il le prouvait bien : Heinrich le trouva à l’étage inférieur, occupé à jouer avec la gravité et faire voler un détachement de l’Imperium comme des feuilles d’automne. L’Allemand sortit du plafond à temps pour subir la fin de la vague magique, qui faillit bien lui faire traverser le plancher.

« Ça se passe bien ? »

Sullivan prit le temps de tirer sur un adversaire en train de se relever. Le BAR .30-06 faisait un vacarme abominable dans la petite pièce. « Goulet d’étranglement », dit-il en indiquant un couloir du menton.

Heinrich y jeta un coup d’œil. C’était une passerelle métallique. Rien pour se couvrir, du moins rien qui aurait arrêté une balle. À l’autre bout, l’éclat brusque d’un canon, et Heinrich, instinctivement, vira au gris pour laisser passer les balles. « Tu veux une grenade ? » demanda-t-il en se reformant à l’abri d’un meuble.

Sullivan secoua la tête. « Je pense que l’appareil est derrière. Je ne veux pas le trouer. Il faut le récupérer avant que ces salopards tentent une manœuvre désespérée. »

C’était le risque avec l’Imperium. Quand les soldats échouaient, ils n’hésitaient pas à se sacrifier de façon spectaculaire si cela leur donnait une chance d’éliminer quelques-uns de leurs adversaires. Heinrich réfléchit à la distance et à la densité relative des matériaux. Ce serait difficile, sans doute à l’extrême limite de ce dont il était capable avec l’énergie magique qui lui restait, et, s’il se trouvait à court avant d’être sorti, il fusionnerait avec le mur. Il avait vu d’autres estompeurs mourir ainsi : c’était une véritable torture. « Donne-moi un instant, Jake. »

Il s’enfonça dans le sol.

Plus il consommait de magie, plus vite il traversait les objets ; mais il devait rester assez épais pour produire une traction lui permettant d’avancer. L’analogie qu’il présentait souvent, c’était la natation. Ce n’était qu’une approximation, mais ça permettait d’expliquer le processus à ceux qui ne partageaient pas son talent.

Jake était à l’étage inférieur ; autour, on ne trouvait que de la roche, et Heinrich ne pouvait pas remonter et apparaître derrière l’ennemi. Il était forcé de progresser dans le roc.

Il avança donc dans les ténèbres. Sous ses pieds, le froid éternel du permafrost. Il accéléra. Son énergie magique diminuait, comme contenue dans un seau percé. Quand le seau serait vide, il mourrait. Comme le poids d’acier et de bois volé le ralentissait, il lâcha l’Arisaka, dont les molécules fusionnèrent avec le sol. S’il ne se hâtait pas, il connaîtrait le même sort.

Beaucoup d’estompeurs mouraient lors de lors première tentative. Et impossible de leur demander pourquoi ; une fois incorporés à un rocher, il ne restait plus rien qu’un lazare puisse interroger. Selon Heinrich, mouraient ceux qui paniquaient. Lui avait grandi dans une ville peuplée de zombies affamés. La panique, il ne connaissait pas.