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Toru attendit en regardant son reflet, couvert du sang de braves soldats qui n’auraient jamais dû mourir. C’était gaspiller des ressources précieuses. La faute en revenait à l’imposteur, pas à Toru lui-même. Le capitaine jacassait : suppliques, excuses, explications… Si Toru s’était senti d’humeur magnanime, ce qui n’était de toute façon pas le cas, cette couardise lamentable l’aurait convaincu de se montrer inflexible. Le miroir étincela avant de s’ouvrir sur un décor familier. Toru connaissait bien cette salle de la cour impériale.

Un appariteur s’avança, interloqué que la station la plus isolée du monde veuille contacter les grands chefs, mais, quand il vit Toru et le capitaine prostré, il en resta bouche bée. Toru, fatigué des gémissements de sa victime, lui écrasa la trachée de sa botte, la faisant taire à jamais.

« J’exige de voir Okubo Tokugawa. Fais venir le président. »

Le type le regardait sans rien dire. Il bougea les lèvres mais aucun son ne sortait.

« Dis-lui que Toru Tokugawa veut lui parler. »

Le globe de métal de deux mètres de diamètre flottait à deux mètres du sol. Sullivan n’identifiait pas la matière dont il était fait mais en admirait la beauté. Il tournait sur lui-même, sans mécanisme visible. Les continents n’étaient pas exactement représentés. Stylisés, sans doute. Était-ce pour laisser la place aux kanjis gravés tout autour, ou bien parce que le président aimait que ses gadgets soient décoratifs ? En tout cas, c’était joli, Sullivan devait le reconnaître.

« L’étage est sécurisé, annonça Diamond. Nous n’avons que quelques blessés. » Le bougeur retira ses lunettes maculées de sang pour les essuyer sur sa manche. « Il reste des poches de résistances, mais on contrôle.

— Continuez. Ne gaspillez pas des hommes pour les déloger. On a ce qu’on venait chercher. La voie de repli ?

— On la tient. Certains gars ont été touchés. Rien de bien grave. Je les ai renvoyés au rez-de-chaussée, dans l’espèce de sas. Dianatkhah s’occupe d’eux. »

Sullivan hocha la tête. Les guérisseurs étaient si rares que son équipe n’en avait qu’un. Le sas d’entrée était sans doute l’abri le plus sûr pour les blessés. En cas de problème, ils pourraient s’échapper. « Bien. Dis aux autres de se méfier d’attaques suicides. » Les chevaliers avaient bien travaillé. Pour un groupe qui n’avait pas souvent collaboré, ils s’en tiraient mieux que prévu. « J’espère que ça ne va pas traîner…

— Ça prendra cinq secondes… une fois que tu auras arrêté de me demander si ça ira vite », dit Schirmer. Leur répareur, le plus doué en dessin, s’occupait de préparer le sortilège de communication. Ne sachant pas s’ils trouveraient du verre – du verre encore intact après l’assaut –, ils avaient apporté un sac de sel. Schirmer le vida par terre et s’absorba dans l’élaboration de motifs compliqués. Sullivan, pourtant fort dans le domaine, devait admettre que le Texan était meilleur que lui.

Il consulta sa montre. Dix minutes depuis leur entrée dans la base. Pas de morts, quelques blessés légers… Vraiment pas mal. Il se tourna vers Heinrich, qui supervisait le pillage du centre de commandement. Les chevaliers récupéraient le moindre bout de papier, au cas où on y trouverait des renseignements utiles. Ça faisait un sacré volume, et peu de gens au sein du Grimnoir lisaient le japonais, mais ça en valait la peine. « Préviens la Voyageuse. Southunder peut arrêter la tempête. Dis à Barns de venir nous chercher dehors.

— Tu ne veux pas rentrer à pied ?

— J’aimerais garder mes orteils… Schirmer ? »

Le répareur fit craquer ses articulations. « C’est fait. »

L’étape suivante, la spécialité de Sullivan, consistait à connecter l’énergie magique d’un actif avec le motif tracé dans le sel. Et c’était lui le plus costaud de l’équipe. Un coup de veine. Les symboles reproduisaient les formes géométriques qui constituaient l’enveloppe physique de la créature appelée « pouvoir ». Sullivan avait beau la connaître mieux que quiconque, il restait incapable d’envisager les concepts susceptibles de définir une bestiole aussi bizarre.

Il y avait néanmoins une personne qui ne semblait avoir aucun mal à tout comprendre.

« Dépêchez-vous de virer ces cadavres d’ici, ordonna Heinrich à ses camarades en montrant les impériaux morts. Notre génie réagit mal à la violence.

— Il est très excitable », expliqua Sullivan pendant que la magie se déployait. Le disque de sel se solidifia dans un éclair lumineux, décolla et se mit à tourner pour lui présenter sa surface plane. Il ne se lassait pas du phénomène : c’était comme regarder par la fenêtre, mais de l’autre côté se trouvait le laboratoire de Fuller à bord de la Voyageuse.

« Monsieur Sullivan ! Pile à l’heure ! » Buckminster Fuller désigna les quatre montres-bracelets qu’il portait au poignet. « On m’avait assuré que vous seriez prompt dans l’exécution de vos devoirs ! »

Les engrenages… Sullivan soupira. « On l’a trouvé.

— Je suis impatient de voir ce que vous m’avez déniché. »

La communication était remarquablement bonne, alors qu’il utilisait peu de magie. Schirmer faisait du sacré boulot. « Voilà, Fuller. » Sullivan laissa tourner le sortilège pour lui montrer le globe du président.

L’engrenage examina l’objet en silence. Le don de Fuller était particulier, même au sein du Grimnoir. Sullivan ne connaissait personne d’autre capable de voir les formes géométriques du pouvoir et les liens qui unissaient l’entité à chaque actif. Les autres magiques ne sentaient que leur connexion propre et bidouillaient jusqu’à réussir à fixer des fragments de magie à certains objets. En général, jeter un sort, c’était tâtonner dans un hangar obscur rempli d’arêtes aiguës et de pointes acérées. Pour Fuller, ce hangar était éclairé a giorno.

« Remarquable. Stupéfiant. Phénoménal. Génial ! C’est sphérique. Vous savez combien j’aime les sphères. »

Il avait un faible pour les dômes, en tout cas. « Elle vous plaît, alors ? »

Tous les chevaliers présents avaient interrompu leur pillage pour venir admirer Fuller au travail. Il en fallait beaucoup pour émouvoir ces hommes blasés, mais, merde, Fuller voyait la magie. Comment leur reprocher leur curiosité ? Depuis que Francis Stuyvesant avait découvert cet olibrius, l’année précédente, les sortilèges de la société avaient progressé à pas de géant. La super-cervelle tordue de Fuller était devenue légendaire parmi les chevaliers.

« Si elle me plaît ? Je l’adore. Les engrenages du président sont des brutes épaisses, mais leurs créations sont des chefs-d’œuvre d’élégance. On se demande comment des individus capables de commettre d’abominables mutilations peuvent avoir une âme d’artiste. Il semblerait a priori que des caractéristiques diamétralement opposées soient mutuellement exclusives. Je comprends pourquoi ils ont dû placer cet appareil près du pôle. La directionnalité omnimultiple des manipulations du pouvoir, à elle seule, est… »