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— Tant de vérités t’échapperont toujours. Okubo, lui aussi, passait à côté de l’essentiel. Tu ressembles à ton père, au bout du compte.

— L’éclaireur arrive ! » s’exclama encore Toru.

Saito rit dans sa barbe tout en agitant le bout des doigts.

« Toru, imbécile… il est déjà là. »

Un éclat rouge. Le miroir explosa.

Les chevaliers du Grimnoir, incapables d’en croire leurs yeux, s’étaient massés autour de la sphère en lévitation. Obéissant à Buckminster Fuller, ils avaient modifié les dessins gravés sur la surface jusqu’à avoir corrigé toutes les erreurs. Au début, Sullivan crut avoir aggravé la situation, mais Fuller leur assura que c’était là le bon réglage. Ils voyaient la vérité.

De petits points rouges recouvraient l’Asie.

Ian Wright tendit une main vers la sphère mais la retira brutalement, comme si les taches l’avaient brûlé. « Je reconnais certains de ces endroits. Celui-ci, en particulier, j’en suis certain.

— Des écoles de l’Imperium, souffla Heinrich. Les bases où l’unité 731 mène ses expériences sur les actifs. »

Il y en avait des dizaines. Ça évoquait le cancer du poumon dont Jane lui rebattait les oreilles chaque fois qu’il fumait. La guérisseuse aurait qualifié ce stade d’avancé. « L’éclaireur est déjà dans l’Imperium…

— Sullivan ! »

Le cri détourna son attention du globe flottant. Toru, boitant bas, déboucha du couloir. Son lourd manteau était en loques et il laissait une traînée de sang derrière lui.

« Sullivan, il y a danger.

— Qu’est-ce qui t’est arrivé ? »

Toru s’arrêta, examina le globe, remarqua les points rouges sans faire de commentaire. « Il y a quelque chose ici. Rassemble tes hommes. » Il avait le visage constellé de petits éclats. Du verre. Sullivan finit par comprendre : la main que Toru pressait sur son flanc empêchait ses tripes de tomber. L’ancien garde de fer fit la grimace. « Le temps presse. »

Ne jamais prendre à la légère une menace capable d’abîmer une brute. « Vous l’avez entendu, lança-t-il. Préparez-vous au repli. » Les chevaliers se montrèrent assez malins pour ne pas discuter. Le Grimnoir n’avait pas d’organisation hiérarchique stricte, mais certains chevaliers faisaient office de sous-officiers. Ceux-là – Diamond et Heinrich entre autres – se mirent à gueuler des ordres. Les paperasses de l’Imperium s’entassèrent dans des sacs à dos, les armes furent préparées. Schirmer s’approcha du cercle de sel. Sullivan jeta un dernier regard de l’autre côté. « Il faut qu’on dégage, Fuller. Dites au capitaine ce qu’on vient de découvrir et demandez-lui de contacter Browning.

— Ce sera fait. Bonne chance, monsieur Sull… »

Mais Schirmer fracassa le sel d’un coup de crosse, réduisant le sortilège à un tas de miettes luisantes. Sullivan sentit la magie frémir dans sa poitrine quand il récupéra l’énergie qui alimentait la communication.

Toru toussait du sang, mais, quand on portait autant de sortilèges de guérison que Sullivan ou lui, on mourait aussitôt ou pas du tout. « Je ne sais pas de quoi il s’agit. C’est venu par un miroir.

— Tu vas t’en sortir ? » demanda Sullivan. Toru écarta sa main pour montrer la plaie. Les traces de griffes évoquaient une blessure causée par du matériel agricole. N’importe qui d’autre aurait été tué net, mais ses kanjis brûlaient si fort que Sullivan avait l’impression de côtoyer un radiateur. « Merde…

— Je m’en remettrai. »

Genesse, le parleur, arriva en courant. « La Voyageuse est en route. Southunder a arrêté la tempête. La voie a l’air libre. »

Sullivan dévisagea Toru. Il ne fallait pas sous-estimer le danger. « Il vaut mieux affronter ce truc à l’intérieur ou dehors ?

— Il était plus rapide que moi. »

Sullivan ordonna de sortir.

Les chevaliers étaient efficaces. Il ne fallut qu’une minute pour évacuer l’étage inférieur. Quand ils rejoignaient leurs camarades chargés de retenir les soldats japonais, ils les entraînaient à leur suite en laissant l’ennemi se protéger de rien du tout. En la jouant fine, le Grimnoir serait parti bien avant que les Japs n’aient pu organiser une contre-attaque.

Sullivan passa le premier dans l’escalier, le bullpup automatique de Browning serré dans ses grosses pattes. Il savait déjà qu’il atteindrait la sortie et protégerait ses camarades jusqu’à la fin de l’évacuation. Les responsabilités, on ne les abandonnait jamais vraiment, et les habitudes prises pendant la Grande Guerre étaient vite revenues. À moins qu’elles ne soient jamais parties.

Ce qui avait attaqué Toru ne s’était pas encore manifesté aux chevaliers. Sullivan surveillait chaque recoin ; ça lui occupait l’esprit et lui permettait de ne pas se dire que l’éclaireur était déjà sur Terre et s’était déjà répandu dans tout l’Imperium à l’insu de l’humanité. D’abord, survivre ; on verra ensuite.

Il se figea en découvrant des traces de pas ensanglantées. « C’est quoi, ce bordel ? » Des pieds humains ne l’auraient sans doute pas surpris, mais ces empreintes étaient monstrueuses. Il leva une main pour arrêter les hommes en file indienne derrière lui. Il tourna la tête et fit signe à Ian Wright de s’approcher. « C’est à nous, ça ? »

L’évoqueur secoua la tête. « Je ne connais pas. »

Sullivan leva son fusil. La créature inconnue les avait devancés. « Il est là… »

Un hurlement retentit. Il n’était pas produit par des poumons humains et venait du sas d’entrée. Un autre cri lui répondit, beaucoup trop humain celui-là et chargé d’une souffrance atroce. Un coup de feu, un deuxième, puis un tir de barrage d’armes automatiques.

Sullivan partit en courant. Pour un lourd, il était rapide, surtout quand il savait que des hommes comptaient sur lui. Plusieurs chevaliers étaient sur ses talons.

Trop tard.

Diamond avait qualifié de sas l’entrée du bâtiment. En tout cas, c’était du solide, avec des portes massives destinées à empêcher le froid d’entrer et la « chaleur » de sortir. La porte en question, arrachée à ses gonds, n’était qu’un tas de planches disjointes. La pièce dégoulinait de rouge, du sol au plafond. Les blessés du Grimnoir et le guérisseur étaient un tas de vêtements déchirés. Une brume de sang et de duvet d’oie flottait encore. Et, au milieu, un monstre de cauchemar se retournait en sifflant.

Dans la pénombre, on aurait pu y voir un être humain. Brièvement. La chose leur fit face : des muscles humides roulaient sous une enveloppe translucide. Des balles lui avaient perforé le torse, et une substance noire suintait, mais ça n’avait pas l’air de la déranger. Au bruit des pas de Sullivan, elle lâcha la jambe arrachée qu’elle rongeait, et, quand elle ouvrit sa gueule acérée pour pousser un hurlement de banshee, le lourd lui céda bien volontiers le membre convoité.

La gravité se modifia, multipliée par dix, et envoya le monstre s’écraser contre le mur. Il voulut s’en écarter, ses longs doigts pointus tendus vers Jake. Celui-ci braqua son BAR et pressa la détente.

Chapitre 7

Guérir les malades, traverser les murs ? Oui, c’est bien beau, mais j’ai croisé un frère qui vous faisait swinguer avec sa cornemuse. Ça, c’est de la vraie magie.

Duke Ellington, interview, 1927.

Paris (France)

Faye attendait Jacques Montand dans leur petit café – assez patiemment si on voulait son avis – quand elle s’avisa qu’on l’observait. Elle avait repéré le type sur le trottoir, le matin même. Quelques pâtés de maisons plus loin, en apercevant son reflet dans une vitrine, elle était devenue méfiante. Qu’il s’asseye à la terrasse dix minutes après qu’elle était entrée dans le café, c’était la goutte d’eau.