— Quelque chose dévore la magie. » Sullivan adressa à Toru un regard méfiant. « Planqué dans tous les sites des écoles de l’Imperium. Ensuite, une caricature d’homme-singe-hyène est sortie d’un miroir pour agresser Toru avant de massacrer mes soldats. »
Toru hocha la tête. « Un résumé acceptable.
— Vous voulez m’expliquer, monsieur Toru ?
— Un ensorceleur vraiment doué est capable de transmettre de petites quantités de matière via un sortilège de communication. Ma maîtrise des kanjis ne me permet pas d’accomplir ce genre d’exploit. J’ignorais qu’on pouvait faire passer de la matière vivante, et ça m’a pris au dépourvu. Cela ne se reproduira pas. »
En d’autres circonstances, Sullivan aurait été ravi de découvrir ce nouveau tour de passe-passe. Mais pas là. « Je sais que Faye a réussi, une fois. Elle s’est téléportée à travers un sortilège de communication. » Dans l’espoir de tuer Toru, d’ailleurs. « Mais pourquoi l’avais-tu activé ? À qui tu parlais ?
— À l’imposteur »
Toru avait de la chance : Sullivan avait besoin de lui. Sinon, il aurait avalé une balle de .45. « J’espère que tu avais une bonne raison.
— Puisque j’ai quitté la garde de fer, je suis un paria, je ne peux pas m’adresser à mes anciens frères. Cette base disposait d’un miroir permettant de contacter directement le haut commandement. La garde de fer est bien plus à même de régler notre problème que votre misérable expédition. Bien sûr que j’ai activé le miroir. J’ai mis l’usurpateur au défi d’accomplir son devoir, d’arrêter l’éclaireur. En échange, j’ai promis de me suicider. Apparemment, mon offre a été refusée.
— Tu es complètement malade. »
Toru fronça les sourcils. « Tu n’aurais pas fait la même chose, peut-être ? »
Sans doute, si. Mais Sullivan n’allait pas donner à ce salopard la satisfaction de l’admettre. « Tu n’aurais pas dû être seul.
— Bien sûr. Le Grimnoir me fait tellement confiance que personne n’aurait protesté si je m’étais mis à bidouiller des kanjis dans une base militaire secrète. »
La colère, sans s’être dissipée, avait perdu de son intensité. Sullivan se sentait insatisfait et épuisé. Il s’assit sur une caisse. « Qu’est-ce qui se passe dans ces écoles ?
— Des écoles, mon œil ! lâcha Southunder. Des salles de torture, plutôt. »
Toru fit d’abord mine de vouloir protester, mais il eut la sagesse de se taire. « Je ne sais pas. Tout a commencé après la mort de mon père. L’imposteur s’est dévoilé. C’est un garde de fer haut placé du nom de Dosan Saito, et l’un de mes sensei.
— Un sensei ?
— Un maître. Saito était un proche conseiller d’Okubo Tokugawa et un membre très respecté du cabinet. La trahison d’un homme d’honneur est inattendue.
— Vous et votre foutu honneur ! Il a roulé votre empire dans la farine. » Sullivan s’alluma une cigarette. Ils se trouvaient dans une section du dirigeable où on n’était pas censé fumer, mais Southunder laissa couler. Heureusement. Sullivan voulait bien épargner Toru pour éviter d’abîmer le vaisseau, mais, fumer, ce n’était pas négociable. « Et ce Saito, c’est un sosie ou quoi ?
— Non. Une brute comme moi, un type de magie assez courant. Je ne sais pas comment il réussit une imitation si convaincante. Il abuse des hommes qui connaissent Okubo Tokugawa depuis des dizaines d’années.
— J’espère qu’il s’amuse bien, grogna Southunder. Sincèrement, je me fous de savoir quel tyran dirige votre bande de tyrans, tant qu’il fait le nécessaire pour détruire le monstre extraterrestre avant qu’il soit trop tard. »
Toru prit une longue inspiration comme pour se préparer à un aveu difficile.
Sullivan laissa pendre son clope au coin de ses lèvres. « Quoi encore ?
— Je crois que Saito est allié avec l’éclaireur. »
Les trois hommes restèrent cois un long moment. La situation venait d’empirer ; il leur fallait du temps pour s’y habituer. Voilà qui expliquait le sabotage du détecteur et l’arrivée de leur invité surprise. Sullivan ferma les yeux pour écouter le bourdonnement des moteurs. La Voyageuse décollait ; les maraudeurs quittaient Axel Heiberg. Encore quelques minutes et Barns les contacterait pour qu’on lui donne leur destination ; Sullivan ne savait pas quoi lui dire.
Toru finit par rompre le silence. « Chaque éclaireur est différent du précédent. Le dernier était rapide, il assemblait une armée à mesure qu’il avançait, il dévorait la magie le plus vite possible pour acquérir la force d’envoyer un message à son maître. C’était direct, simple. Cette fois-ci, c’est différent. Il a recours à des subterfuges, il se développe lentement, dans le noir.
— Où voulez-vous en venir, monsieur Toru ?
— Rien n’est perdu tant qu’il n’a pas la capacité de faire venir son maître. Le précédent s’appuyait sur la force, et c’est par la force qu’il a été vaincu. Le nôtre, sur la ruse, et c’est par la ruse qu’il faudra le vaincre. Nous commençons seulement à discerner ce qui se trame. La clé de notre victoire sera de déjouer ses plans. »
Le capitaine Southunder secoua la tête. « Et comment comptez-vous vous y prendre ? »
La menace avait pénétré l’Imperium alors que l’Imperium était la puissance la mieux à même d’écraser la menace. « On secoue les Japs, répondit Sullivan. On révèle que le président est un imposteur.
— C’est la seule solution. Les forces de l’éclaireur occupent les écoles de l’Imperium. Seuls, nous ne les nettoierons jamais. Quand la garde de fer comprendra qu’elle a été trahie, que l’éclaireur est dans son sein, elle va riposter. Et elle va l’emporter. Nous avons cent hommes ; l’Imperium en a cent mille.
— Parce que la garde de fer va nous croire ? » Southunder trouvait l’idée un tantinet farfelue. « Le Grimnoir est une épine dans le pied de l’Imperium, ça fait des décennies que j’opère des raids sur leur flotte, et Toru est un renégat. Sullivan, vous n’avez même pas réussi à convaincre votre propre gouvernement. Comment voulez-vous qu’on persuade l’Imperium ?
— Les Japs pensent que le président est immortel. » Sullivan interrogea Toru du regard. La brute hocha la tête. Les grands esprits se rencontraient. « On n’a qu’à le re-tuer. »
Toru eut un sourire de requin. « En public. »
Chapitre 8
La faim, la véritable faim, non la faim de qui s’est passé de goûter ou d’œufs au petit-déjeuner, peut, quand un homme est totalement désœuvré, faire d’une vie un désir las, douloureux, perpétuel. Si le désir n’est pas satisfait, ou s’il ne disparaît pas de lui-même (comme cela se produit souvent), il peut avoir des conséquences désastreuses sur l’esprit. Certains se sont mis à réfléchir sérieusement au concept de propriété, et quelques-uns en ont été déséquilibrés au point de devenir socialistes.
New York (État de New York)
« Salopards ! » Francis balança la bouteille de whiskey dans la cheminée. Voyant qu’elle ne s’était pas cassée, il recourut à son pouvoir pour la faire exploser comme il convenait. « Saletés de petits voleurs de merde ! C’est incroyable !