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Heureusement, à l’instar du premier, ils croyaient encore Toru des leurs. Ils cherchaient un garde de fer renégat ; nul ne les avait prévenus qu’il ressemblerait à un char vêtu en samouraï.

Il croisa deux assassins. Un estompeur, un voyageur. « Maître Hayate n’avait pas dit qu’une armure de Nishi… »

Toru abattit sa massue. L’armure semblait encombrante, mais c’était une illusion. Le tetsubo fendit l’espace si vite qu’on ne le voyait plus. L’impact pulvérisa les deux hommes. Le voyageur mourut sur le coup, réduit à l’état de brume rouge. L’estompeur bascula par-dessus la rampe et tomba dans un hurlement. Il aurait pu se dématérialiser pour survivre à l’atterrissage mais, puisqu’il laissait une jambe arrachée se convulser aux pieds de Toru, il ne représentait plus grand danger.

Tant de liens magiques s’entrecroisaient dans l’immeuble que Toru ne distinguait plus les alliés des ennemis. Un actif puissant déchaîna un pouvoir destructeur, faisant trembler les fondations. Toru crut un instant que l’infâme odeur de cendrier s’était accrue, mais il s’agissait de fumée. L’appartement était en feu.

À l’étage supérieur se déroulait une danse chaotique de chevaliers et de gardes fantômes. Peu de chevaliers étaient là au début de l’assaut, et ils avaient vite été submergés. Sullivan et Koenig étaient partis accomplir leur mission. Talon était en charge de l’équipe, mais Toru ne le vit nulle part.

Les quelques survivants se battaient comme des démons. Mottl le frigo, Simmons la torche, Genesse le parleur, Willis le liseur et deux Chinois dont il ignorait le nom et le talent résistaient de leur mieux aux Japonais, plus nombreux et plus rapides. Le parleur gueulait des ordres entre les coups de feu pour embrouiller leurs agresseurs ou les monter les uns contre les autres. Flammes et pointes de glace volaient pour les forcer à reculer. Le liseur maniait un fusil automatique. L’un des Chinois affrontait deux gardes fantômes en une démonstration admirable de l’art martial que les autochtones appelaient wing chun.

Les chevaliers s’abritaient derrière les quelques meubles, couraient, tiraient des balles et de la magie, cherchaient à surveiller tous les angles depuis lesquels un garde fantôme pouvait choisir d’attaquer. Les cadavres des Japonais s’amassaient un peu partout, ce qui prouvait leur courage, mais ça ne suffirait pas.

L’encadrement de la porte était trop étroit. Toru dut donner un coup d’épaule pour se frayer un passage et se jeter dans la mêlée. Les gardes fantômes avaient compris qu’il se rangeait chez l’ennemi. Balles subsoniques et couteaux de jet rebondissaient sur son armure sans même l’égratigner.

Les gardes de fer étaient formés à garder l’esprit clair au plus fort du combat, à évaluer les techniques de leurs adversaires pour établir la meilleure contre-offensive. Un voyageur recourut à son pouvoir pour éviter un coup, mais Toru avait anticipé son point d’arrivée. En général, les voyageurs ne pouvaient pas aller très loin, et il suffisait de deviner l’endroit qui leur paraîtrait le plus sûr. Le revers de bras de Toru faillit bien arracher la mâchoire de l’homme à l’instant où il se matérialisa.

Un coup de tetsubo dans les reins d’un de ceux qui affrontaient l’expert en arts martiaux l’envoya s’écraser contre le mur. Le Chinois en profita pour éliminer le second d’un coup dans la trachée. Un autre estompeur vira au gris pour échapper à la massue, se reforma et partit en courant. Toru, d’un coup de pied, envoya un blessé intercepter la trajectoire du fuyard. Les deux perdirent connaissance, et Willis les acheva de plusieurs balles bien placées.

Désarçonnés, les gardes fantômes survivants battirent en retraite ; certains voyagèrent, d’autres s’enfoncèrent dans les murs. Toru ramassa une épée et la lança à travers une cloison, là où un estompeur venait de disparaître. Un hurlement de douleur récompensa son initiative.

Puis il se tourna vers les chevaliers blessés et laissa les kanjis amplifier sa voix. Personne n’était indemne. « Fuyez !

— Nous n’avons pas tout le monde ! » lui cria Genesse. Au cours de leur brève conversation à bord de la Voyageuse, Genesse lui avait donné l’impression d’un homme fier et ratiocineur. Des qualités utiles dans une société barbare, mais, dans le contexte, gênantes. « On ne peut pas les laisser…

— Oh si ! L’important, c’est la mission de Sullivan. Vous devez survivre afin de l’accomplir. Ce sont des gardes fantômes qui vous attaquent. Si vos camarades ne sont pas là, c’est qu’ils sont morts. Gagnez le fleuve. Je vais les retenir. »

Il avait raison, et les chevaliers le savaient. Personne n’ayant envie de contredire un char à pattes, chacun ramassa ses armes et s’en fut en boitillant.

Toru attendit. Il savait ce qui allait suivre.

Hayate, son frère, apparut d’abord, effectuant un atterrissage gracieux parmi les flammes. Son unité débarqua juste après, à travers les murs ou le plafond, pour encercler Toru en brandissant des lames qui n’étaient pas conçues pour ça.

« Toru… » Le premier garde fantôme ne s’inclina même pas. « Je ne m’attendais pas à cet équipement. Je suis intrigué.

— Notre père a jugé bon de bénir mon entreprise en plaçant cette armure sur mon chemin. » La voix de Toru était filtrée par les kanjis magiques du mempo. Elle pouvait atteindre un volume sonore terrifiant mais, pour l’instant, il s’en tenait à celui d’une conversation polie.

« J’ai été sincèrement choqué de te voir secourir des chevaliers. Les avoir évacués, c’est intéressant… mais ça ne changera rien. Mes hommes les cueilleront un à un. » Hayate se tourna vers les gardes fantômes qui encerclaient Toru. « Allez-y ! Tuez-les tous. »

Ils disparurent, laissant Toru et son frère seuls.

Lance libéra le rat de son emprise mentale. Il ne parlait pas japonais, mais les ordres du chef étaient clairs. Les ninjas pourchassaient les chevaliers survivants. Il serait bientôt à court de sang comme de temps ; il fallait avancer. Poser un pied nu, poser l’autre… Il devait garder une main contre le mur pour s’empêcher de tomber. Elle laissait une trace rouge vif sur le papier peint miteux.

Son pouvoir ne lui servait pas à grand-chose. Il n’y avait pas beaucoup d’animaux utiles dans les parages, et toutes les bestioles fuyaient l’incendie. Lance cherchait malgré tout. Sa magie lui révélait des rongeurs dans les murs, des poissons dans le fleuve, et des oiseaux, qu’il investissait brièvement pour surveiller à travers leurs yeux la progression de l’ennemi, des chevaliers et d’autres dangers potentiels.

Sauter ainsi de cervelle en cervelle, c’était difficile, mais il n’avait pas le choix. Arrivant à l’escalier, il savait qu’un ninja attendait en embuscade : une souris avait senti son odeur et perçu les vibrations. Il colla donc le canon du Colt contre le bois et perfora le Jap à travers la cloison.

Il eut du mal à ouvrir la porte à cause du garde fantôme allongé en travers, mais il se faufila comme il put. Du sang jaillissait de la carotide arrachée, mais le type essaya quand même de lever son épée. Pour sa peine, il reçut une nouvelle balle.

Même indemne, Lance aurait eu du mal à rester gracieux tout en contrôlant des nuées d’oiseaux. Il faillit tomber dans l’escalier. Le sang de sa blessure à la poitrine avait imbibé son pantalon en jean puis ses chaussettes, et il glissait à chaque pas. Il y avait de la fumée partout dans la cage d’escalier. Il toussa : du sang lui coula dans la barbe. Le sortilège de guérison dont Sullivan l’avait marqué brûlait comme l’enfer. Sans lui, il serait déjà mort. Il espérait que la magie suffirait à le faire tenir.