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Tendue, elle examina la magie en elle. Le fleuve d’énergie était impétueux et profond. Fermant les yeux, elle s’aperçut que sa carte mentale couvrait des kilomètres. C’était trop d’un seul coup, et elle fut prise d’un vertige. Mais elle n’avait pas de temps à perdre avec ces bêtises, parce qu’elle n’était pas une petite chose fragile. Elle serra les dents, essuya son couteau sur le rideau, le rengaina, rechargea son .45, retrouva la cachette où l’attendaient ses vêtements de rechange et les dessins de Zachary, à près d’une heure de marche, et y voyagea directement.

, elle était prête à affronter l’ennemi.

« Voyageuse » (CBF)

Le sortilège de communication fut coupé. Le cercle de sel solidifié retomba sur la table et se brisa. Sullivan en contempla les fragments en s’efforçant de digérer les implications de ce qu’il venait d’apprendre. Un silence de mort planait dans la salle de briefing tandis que les derniers soupçons d’énergie magique se dissipaient lentement.

Il leva les yeux vers ses compagnons. Les sentiments se lisaient à livre ouvert : incrédulité, colère, tristesse et même résignation. Le rapport de Heinrich avait été bref, car les chevaliers redoutaient que l’Imperium ne détecte le sortilège. L’Allemand n’avait pas eu besoin de longs discours pour leur annoncer qu’ils étaient en mauvaise posture. Trois de leurs quatre planques avaient été attaquées en même temps. Les seuls survivants étaient les quatre chevaliers repêchés par la vedette volée.

Le Grimnoir était à genoux.

Sullivan ne pouvait pas manifester ses doutes. Ses camarades avaient besoin de se reposer sur sa force. Il avait cru quitter l’armée, mais c’était pareil. Quand on était le chef, on ne montrait jamais ses doutes.

Pang n’avait sans doute pas entendu parler de la bicoque où logeaient Heinrich et quelques autres. La plupart des chevaliers arrivés à bord de la Voyageuse avaient disparu ; on les présumait morts ou capturés. Le Grimnoir local était anéanti ; il ne restait plus que Zhao, Yip, grièvement blessé, et une femme qui avait servi de guide à l’équipe de Heinrich.

Au cours de deux des trois assauts, la garde fantôme avait éliminé toute résistance ; le groupe de Ian Wright, en revanche, avait réussi à franchir le barrage installé par l’Imperium. Ian avait sûrement chargé un esprit de patrouiller dans le quartier, ce qui lui avait donné un peu de temps pour réagir. Ses hommes étaient sortis de leur immeuble, et une longue bataille avait secoué la rue de Nankin. Aucun n’avait donné signe de vie depuis, mais certains avaient peut-être réussi à s’en tirer. Peu probable, jugeait Sullivan, mais, en période de crise, les soldats avaient besoin d’espoir.

Il s’appliqua à rester impassible. C’était sa faute, il le savait, il en acceptait la responsabilité. C’était lui qui avait pris la décision. L’idée du docteur Wells était leur meilleure piste, et Sullivan l’avait adoptée. S’il n’avait pas brandi Toru sous le nez de l’Imperium, les représailles auraient-elles été si brutales ? Certes, c’était un chevalier qui les avait trahis, mais il n’aurait rien pu faire si Sullivan n’avait pas lancé la mission.

Personne ne devait deviner son abattement. Même si les autres ne s’en rendaient pas encore compte, il fallait continuer.

Bob Southunder s’écarta de la table en frottant son crâne chauve. Malgré toute son expérience, il ne trouvait pas ses mots. Lady Origami et Barns, tout pâles, avaient les yeux pleins d’effroi. Buckminster Fuller et Chris Schirmer, entrés à la fin du rapport de Heinrich, en avaient assez entendu pour savoir que l’heure était grave. L’engrenage et le répareur, couverts de graisse et trimballant une puanteur de produits chimiques, venaient de quitter leur projet. Celui-ci avait envahi toute la soute.

« L’appareil est prêt ? demanda Sullivan en guise de salut.

— Il s’inspire de ma technologie d’annulation, mais multirenforcée et omnireconfigurée afin de repousser une partie des géométries récemment découvertes. Malgré l’insuffisance des matériaux de récupération quant à la complétude de la tenségrité sphérico…

— Je l’ai bidouillé, il tourne. » Schirmer, illustration parfaite de la différence entre savants et techniciens, répondait à la question. « Le problème sera d’atteindre la zone où il servira à quelque chose.

— Vous comptez le mettre où, mon dirigeable ? » demanda Southunder d’un ton méfiant.

Fuller ne tenait plus en place depuis qu’il avait un nouveau jouet. « La portée des particules chargées de magie est fonctionnellement illimitée, mais elles ne se déplacent que dans le plan. Plus on s’éloigne de la curvature du vaisseau Terre, plus grande est la surface de la zone de nullification !

— Très haut, expliqua Schirmer. Plus haut on peut monter, mieux ça vaut. Il ne faut qu’une minute pour déplacer le cône d’action ; mais plus haut on sera, plus on couvrira de terrain.

— Très haut… C’est-à-dire là où tout l’Imperium nous verra comme le nez au milieu de la figure, pile dans la ligne de tir du rayon de paix ? Super plan, lança Barns. Je suis un bon pilote, mais pas au point d’éviter un rayon de paix.

— Le plus proche des rayons basés à terre se trouve au Japon, marmonna le capitaine Southunder. Vu l’altitude maximale théorique de la Voyageuse, nous serions au-dessus de l’horizon… Ils pourraient recevoir nos coordonnées par radio et se mettre à tirer, mais leurs chances de nous atteindre sont à peu près nulles. La vraie question est celle-ci : le Kaga que nous avons vu en arrivant, où est-il ? Ça fait des jours entiers qu’on n’a pas bougé, et le téléradar n’a pas signalé la présence de ce monstre. » Bob n’allait pas le dire clairement : l’Imperium n’avait pas construit beaucoup de Kaga, et l’un avait été détruit en même temps que le Tokugawa, mais, si le président était à Shanghai, il serait forcément accompagné d’un vaisseau de guerre. « Je n’ai peur que de ça : ce titan et son rayon. Pour le reste, soit on va plus vite, soit on va plus haut, soit on a une meilleure portée. Heureusement que je contrôle le temps. Ça nous garantit une protection.

— Ça ne marchera pas ! s’écria Buckminster Fuller. La réfraction de l’humidité atmosphérique provoquera une dissolution des énergies magiques concentrées…

— Dans la pluie ou le brouillard, il ne tirera pas bien loin, expliqua Schirmer. Ça nous desservirait. La puissance maximale ne sera atteinte que par beau temps.

— Je vous engage comme interprète de monsieur Fuller, déclara Bob le Pirate. Merci, monsieur Schirmer.

— Vous voulez quand même continuer ? souffla Lady Origami à Sullivan, qui hocha la tête.

— Pas le choix. C’est notre seule chance. Maintenant qu’il croit nous avoir chassés, il viendra forcément à Shanghai.

— Il nous a effectivement chassés, releva Barns.

— Ouais. Il ne s’attend donc pas à nous revoir. Toru est mort, sans doute, mais je reste convaincu par la théorie de Wells sur l’imposteur. Il viendra à la fête, ne serait-ce que pour nous narguer.

— Le docteur Wells est-il au nombre des morts ? demanda Buckminster Fuller.

— Il était avec Ian. Ils se sont enfuis. » Sullivan haussa les épaules. « Alors, peut-être… » Sans doute.