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— Oh, le supplice de la planche ? »

Il soupira. « C’est pas dans nos traditions. »

Lance était mort.

Faye n’arrivait pas à y croire. Bob lui avait appris la nouvelle avec force ménagements, mais ça lui faisait l’effet d’un poignard dans le cœur.

Lance Talon était l’un de ses meilleurs amis. Il l’avait formée, aidée, traitée comme une égale, il lui avait sauvé la vie. Il lui avait fait prêter le serment du Grimnoir. C’était lui qui lui avait appris à conduire, à mieux tirer, à créer des sortilèges. À leur première rencontre, elle l’avait pris pour un écureuil mal élevé. Lance était un père pour elle.

Elle ne voulait pas y croire. Lance était coriace. Il était allé partout, il avait tout fait. C’était un casse-cou bien trop malin pour mourir. Mais elle n’avait pas trouvé sa bague en cherchant à le contacter, et à présent elle savait pourquoi : le bijou, fondu et brûlé, était enfoui sous des tonnes de bois et de cendres.

Il fallait voir la vérité en face. Faye pleurait toutes les larmes de son corps.

La mort de Lance n’apparaissait dans aucun des dessins de Zachary. Elle se prenait à douter de tout. Les avenirs possibles dépassaient-ils tout ce que le devin avait pu prédire ? Quelles conséquences sur les autres événements ?

La Voyageuse, amarrée près d’un petit village sur la côte chinoise, était couverte de cordages entrelacés de feuilles, afin de se confondre avec la forêt pour qui la survolerait ou la repérerait depuis la mer. L’existence de grands filets de camouflage indiquait à Faye que ce village abritait souvent des contrebandiers et des pirates comme les maraudeurs. Dans la crique était amarrée une flottille de petits bateaux. Beaucoup des employés du CBF et certains pirates y chargeaient leurs effets personnels. Ils partaient pour l’une des autres Cités libres, d’ailleurs à peine plus libres que Shanghai, d’où ils s’embarqueraient pour l’Amérique. Le capitaine Southunder les renvoyait chez eux pour leur épargner le sort des autres. C’était un geste noble.

Il fallait retirer les filets et les fausses branches d’arbre pour préparer le décollage. Le reste de l’équipage s’activait – à part Sullivan, qui dormait depuis qu’on l’avait marqué d’un formidable sortilège, et Faye, qui n’appartenait pas vraiment à la bande et qui, triste et furieuse, n’était pas d’humeur à donner un coup de main. Les pirates travaillaient en silence dans une ambiance solennelle. Elle se promena un peu pour observer les manœuvres, mais elle ne voulait pas qu’on voie ses yeux rougis. Elle voyagea donc pour s’installer tout en haut du dirigeable, sur l’une des deux grosses enveloppes, à l’écart.

Un peu plus tard, la torche japonaise grimpa à une corde pour s’installer au même endroit. Elle portait une combinaison sale et une ceinture rouge vif. Elle tenait ses chaussures à la main pour ne rien endommager. Sur la membrane futuriste de la Voyageuse, cette précaution n’était pas nécessaire, mais la pirate avait dû en prendre l’habitude sur son vaisseau précédent.

À présent que Faye prêtait attention aux informations que la malédiction lui transmettait, elle comprenait que cette femme avait un pouvoir immense, très développé. La jeune fille se sentait coupable, comme si elle espionnait les secrets des gens. Une petite voix avide, dans sa tête, lui répétait que toute cette énergie magique serait mieux à sa place en elle, mais elle la fit taire. La torche vit Faye, comprit qu’elle avait pleuré mais s’approcha néanmoins. Elle s’assit en tailleur sur la surface élastique et garda le silence un long moment.

Faye envisagea de s’en aller, mais l’expression de la torche la retint.

« Je suis désolée pour monsieur Talon. C’était un gentleman.

— Oui, vraiment. » Faye renifla. Elle n’aurait jamais cru pleurer devant quelqu’un qui l’avait jadis incendiée, même par accident. « Il va me manquer.

— Bien sûr.

— Et je vais le venger. »

La torche lui sourit gentiment. « C’est parler en vrai chevalier. Monsieur Talon serait fier, j’en suis sûre. »

Faye éclata en sanglots incontrôlables. La torche vint la prendre dans ses bras, et Faye lui pardonna tout à fait le malentendu enflammé. « Excusez-moi, j’ai oublié votre nom.

— On m’appelle Lady Origami. » Elle avait un gentil sourire. Elle n’était pas très vieille, mais Faye lui trouvait l’air maternel. « C’est bien, parfois, de pleurer… Voilà… Regarde ce que je fais quand je ne veux pas être triste. C’est de là que vient mon nom. » Elle défit le bouton qui fermait l’une de ses innombrables poches pour en tirer une feuille de papier. Elle se mit à la plier, dans un sens, dans l’autre, et encore, bien trop vite pour que Faye s’y retrouve. Enfin elle la froissa doucement pour lui donner l’air plus naturel, plus vivant, mais ça restait une sorte de pliage.

Elle tendit à Faye un oiseau très réaliste. Faye était émerveillée. Ça, c’était magique. « Comment tu fais ?

— C’est un art. Mon père m’a appris quand j’étais petite. Le pliage change tout. Les feuilles, au départ, sont pareilles, puis tu les plies et elles deviennent autre chose. »

Faye examina le volatile. Une bête feuille de papier avait donné naissance à un oiseau. C’était chouette… Elle l’examina à travers sa carte mentale. Elle mit deux secondes à tout déplier dans sa tête. Ce n’étaient que des liens établis sur le papier, mais, en changeant les liens, en écrabouillant la feuille différemment, on changeait l’objet final. Elle comprit tout à coup. « C’est ça que je fais, moi. Je plie !

— Oui. Toutes les feuilles se ressemblent, mais chacune a sa destinée propre. L’artiste est là pour révéler cette destinée. »

L’idée l’intriguait. Faye se concentra sur sa carte tout en examinant l’oiseau niché dans le creux de sa main. Elle écrabouillait l’espace afin de se déplacer. L’art de Lady Origami écrabouillait aussi, mais laissait tout en place ensuite, et, ce faisant, créait un objet nouveau et excitant. Faye entreprit de le déplier. Lady Origami fronça les sourcils en se demandant pourquoi on abîmait son œuvre. Faye réussit tant bien que mal à ne rien déchirer. « C’est comme ça que marche la magie !

— Je ne comprends pas.

— Toute la magie, c’est pareil. Les autres parlent de formes géométriques et tout et tout, mais, au départ, tous les pouvoirs sont les mêmes, jusqu’à ce qu’ils soient pliés ! Ça crée quelque chose de nouveau ! »

Faye était stupéfaite. Sa magie prenait note de toutes les lignes à mesure qu’elle défaisait l’oiseau. Elle imagina la feuille aplatie, puis ajouta une troisième dimension et décida de créer autre chose. Elle passa en revue les connexions nécessaires et se mit à tout écrabouiller différemment.

Lady Origami, perplexe, l’observait en silence. Les mains de Faye étaient beaucoup plus lentes que sa cervelle, mais elle finit par brandir fièrement le machin qui naguère était un oiseau.

« Je ne sais pas ce…

— C’est une Holstein ! »

Lady Origami s’en saisit sans comprendre. Faye, à présent qu’elle regardait l’animal d’un œil objectif et non comme la merveille conçue d’après sa carte mentale, le trouvait vilain comme tout. Au moins avait-il la forme et le nombre de pattes qu’il fallait.