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— On va le faire marcher, monsieur Sullivan. Quoi qu’il advienne.

— Vous commencez à parler comme un chevalier du Grimnoir, Fuller. »

La bulle de verre gigota : Fuller essayait de hocher la tête. « Avant de m’embarquer, je n’aurais pas pensé que c’était là un grand compliment. Maintenant ? Je vous remercie. » Et l’engrenage retourna s’occuper de la machine.

Schirmer examinait les instruments de mesure. « Félicitations. Nous avons atteint une altitude record. » Les employés du CBF poussèrent des hourras. « Vérifiez que votre combinaison est fixée au câble de sécurité. » Bonne remarque. Autant que les engrenages ne soient pas aspirés dans le vide à l’ouverture des portes.

Sullivan ne s’attacha pas. Il ne pouvait pas se permettre d’attendre Faye. Absorbé par la révélation sur l’active la plus puissante de l’histoire, il fixait la rampe de chargement d’un regard absent et ne l’entendit pas approcher. Il sentit un choc métallique brutal sur son avant-bras. Plus doux, il ne l’aurait pas remarqué. Il se tourna et vit Lady Origami engoncée dans une tenue du CBF, combinaison et casque sphérique. Des cordes passées dans son harnais l’assuraient. Elle glissa dans sa ceinture la clé à molette avec quoi elle venait de le frapper.

« Akane ? Qu’est-ce que tu fais là ? » Il regretta aussitôt cette question et son ton agressif. « Je suis content de te voir.

— Le commandant a dit que je pouvais venir te dire au revoir. Les incendies, je peux les éteindre de n’importe où. » Elle leva un bras pour tapoter le heaume. « Je t’embrasserais bien pour te souhaiter bonne chance, mais…

— Ouais, j’ai pas envie de t’arracher les lèvres… Je sais pas si ça s’entendait, mais j’ai dit ça en souriant. C’était une plaisanterie… Elles sont très bien, tes lèvres.

— Je sais, Sullivan. Quand tu es nerveux, tu es plus bavard. C’est drôle que parler à une femme t’inquiète plus que partir en guerre. »

Il réussit à hausser ses énormes épaules. « À la guerre, je suis bon. »

Elle ouvrit une main gantée pour révéler un joli animal en papier. Un canard, cette fois. « Pour te porter chance. » Elle le lui glissa dans une sacoche à munitions, sur sa poitrine. « Il ne reviendra pas intact, j’en ai peur. Alors il faut que tu reviennes, toi, pour que je t’en fasse un autre.

— Tope là. » Le plus délicatement possible, il posa un gantelet sur le casque en verre. Elle le recouvrit de sa main à elle.

« On y va dans soixante secondes ! cria Schirmer. Sullivan ? Pourquoi tu n’es pas attaché ? »

Jake agita la main. « Je prends un raccourci. » Après tout, c’était ça, le plan, avant qu’il n’apprenne que Faye vivait toujours. « Tu ferais mieux de reculer », dit-il à Akane.

Elle souleva son filin de sécurité pour ne pas se prendre les pieds dedans et retourna à l’abri. Quand elle atteignit l’un des pylônes qui entouraient la machine, elle y passa un autre câble, qu’elle fixa par un nœud de marin magistral.

Les ampoules rouges se mirent à clignoter, le signal d’alerte à bourdonner, les systèmes hydrauliques à tourner.

Sullivan prit une longue inspiration et tourna vers Akane la tête de mort de son casque. Elle le regardait avec un mélange de crainte, d’impatience et, surtout, de fierté provocante. « Écrase-les, Sullivan. Jusqu’au dernier !

— Jusqu’au dernier. »

La porte s’ouvrit lentement. Le vent hurla autour de lui.

Il faisait très noir. Les lignes grises et blanches, tout en bas, très loin, c’était Shanghai. Les engrenages remorquaient déjà leur machine sur les rails vers l’ouverture.

Il lança un dernier regard à Akane. « Un sourire sur cette jolie figure ? »

Elle sourit.

Sullivan sauta de la rampe. Dans le vide.

Chapitre 21

Au cours de mes campagnes j’ai observé qu’il existe deux types de soldats efficaces, les gazelles et les troufions. La gazelle est capable d’extraordinaires pointes de vitesse, mais elle se montre parfois nerveuse, absente et inefficace ; dans ses moments de grâce, nul ne peut la rattraper. Le troufion, à l’opposé, n’éblouit ni par sa grâce ni par sa vivacité, mais il va trimer jusqu’à l’achèvement de sa mission. À présent que j’ai vu l’Imperium au combat, je dois ajouter une troisième catégorie. Avec les Moros, j’avais cru connaître le fanatisme, mais rien ne m’avait préparé à la dévotion absolue du guerrier impérial. On peut penser ce qu’on veut des méthodes de l’Imperium ; les fanatiques, il ne faut jamais les sous-estimer.

Capitaine John J. Pershing, rapport d’observations militaires sur la prise de Vladivostok, 1905.

Cité libre de Shanghai

C’était un cauchemar drapé dans un poème. Un rêve voilé de brume.

Toru combattait le monstre qui saccageait ses pensées. Il savait se battre physiquement, mais pas sur un champ de bataille mental. L’entité tapie en lui chuchotait secrets et mensonges.

Le temps passait par saccades incohérentes. Il était dans le présent. Puis dans le passé. Enfant, à l’académie de la garde de fer, au garde-à-vous pendant que son sensei le bastonnait pour éprouver sa détermination. Il était dans le présent et hurlait parce qu’une vrille lui transperçait les yeux. Il était dans le passé, dans le Mandchoukouo, à ramasser des têtes. Il était dans un rêve, il écoutait les paroles de son père, ou bien était-ce le passé de Hatori ? Il l’ignorait. Puis le présent, sauf que ce devait être une hallucination parce que Hayate se tenait devant lui.

Des heures passèrent, des jours peut-être. Il ne savait pas. Mais il revécut chaque instant de sa vie, malgré lui, comme si l’envahisseur dans sa tête feuilletait un album de souvenirs. Épuisé, il dérivait dans la brume.

Ses frères de la garde de fer vinrent le détacher, mais ils n’étaient pas ses frères, il le voyait à présent. Ils portaient des peaux humaines, mais, à l’intérieur étaient contaminés, malades, des pantins qui servaient la cruauté de l’éclaireur. Jadis, oui, c’étaient des gardes de fer, mais Dosan Saito les avait exposés à la bouillie cancéreuse, ils n’étaient plus que des coquilles vides. Toru, lui aussi, aurait connu le même sort. Mais, par chance, il mourrait bien avant que le processus n’ait atteint son terme.

On effaça le kanji de paralysie griffonné sur son front ; il sentit la vie revenir dans ses membres. Les chaînes se défirent. Il tomba à genoux. L’armure de Nishimura fit du bruit.

Les faux gardes de fer l’encadraient. Toru mourrait au combat. Il voulut en frapper un, sans succès. Il voulut forcer son bras à bouger, mais son esprit était comme prisonnier de son corps. Il n’était plus paralysé, non, mais ça ne changeait rien. On posa des mains sur ses épaules et il se leva, incapable de résister. Non ! Il ne pouvait même pas crier.

Les marionnettes de l’éclaireur communiquaient sans paroles. On apporta le casque ; Toru, obéissant, s’inclina pour qu’on l’en coiffe. Les kanjis défilèrent à l’intérieur de la visière sans que la brute n’arrive à accommoder pour les lire.

Ses pieds se posaient l’un devant l’autre. Ses mains s’ouvrirent ; on lui confia son tetsubo d’acier. Il voulait tuer ces hommes, les abattre d’un coup de massue, mais sa volonté se bandait en vain. Il était un esclave soumis.

Toru bouillait de rage, d’une rage inconnue jusque-là, d’une rage inconcevable. L’offense était trop amère. Humiliante. Une mort de pion, un exemple sacrifié à la gloire de l’imposteur. Inacceptable. Pourquoi ses membres ne réagissaient-ils pas ? Il voulait laisser éclater sa fureur.