— Nous l’ignorons, mon commandant. Les longues-vues confirment qu’il est toujours là-haut, à une altitude extrême. La marine a lancé un démon intercepteur expérimental. »
Étrange. Hayate regarda par la fenêtre. Le président s’occupait toujours d’infliger à Toru une correction digne d’un chiot désobéissant. Il remarqua un éclair lumineux dans le ciel. Une forme tombait droit sur eux. « Il y a quelque chose là-haut. » Il tendit le bras.
Le chef de la Tokubetsu Koto Keisatsu plissa les paupières. « C’est un vaisseau ? »
Le garde de fer, furieux à l’idée d’avoir perdu un Kaga, regarda à son tour. « C’est un oiseau.
— Non… » Hayate se pencha. « Je crois que c’est un homme. »
Soudain, un grand vacarme, un grondement de tonnerre qui fit trembler les vitres. Toute l’assistance se mit à fixer les cieux. Même le président interrompit un coup de pied pour lever la tête.
Une voix terrible succéda au tonnerre.
« Écoutez-moi, peuple de l’Imperium. Je suis Jake Sullivan, chevalier du Grimnoir. »
Le tour de magie était fascinant. Hayate avait entendu ces mots en japonais, mais il parlait également mandarin, cantonais, anglais, néerlandais, allemand et russe, et il aurait juré les avoir aussi entendus dans ces six langues. S’il en avait maîtrisé d’autres, l’effet aurait été le même. Vraiment, un sortilège magistral.
« Abattez-le ! » ordonna Goto. Ses hommes se précipitèrent. « Vite ! Bougeurs, préparez-vous à faire dévier l’intrus ! »
« J’ai un message pour les guerriers de l’Océan ténébreux. L’éclaireur est revenu. »
L’affirmation était si peu attendue que beaucoup de gardes de fer se figèrent un instant. Ces noms étaient rarement prononcés.
La forme se rapprochait. Elle étincelait au soleil. Oui, une silhouette humaine. « Vos écoles ont été infiltrées. Les monstres sont cachés dans vos rangs ! »
Soudain, une autre voix, aussi sonore que la première. Okubo Tokugawa répondait. « Ne l’écoutez pas ! Le Grimnoir est malfaisant !
— Le président dit que nous sommes malfaisants… Il a raison. Nous le sommes. Je sais que l’éclaireur est ici… parce que l’éclaireur, c’est moi ! J’obéis à l’ennemi. Je l’emmène avec moi. Tu entends ça, Océan ténébreux ? Je suis ton pire cauchemar.
— Non ! » La voix du président faisait trembler le monde. « Détruisez-le ! Tuez-le !
— Allez voir dans vos écoles. Nous y sommes déjà. Nous sommes partout sur le territoire impérial. Vous voulez vous battre ? Venez vous battre ! »
Le président étendit les mains pour lancer des éclairs vers le ciel.
Un second bruit affreux, plus proche et plus fort. Les vitres se brisèrent. On aurait dit que l’homme venait d’accélérer. Il tombait plus vite qu’une bombe. C’était impossible. La magie concentrée des bougeurs se révélait impuissante à le repousser. Il atterrit avec une telle violence que la terre explosa autour de lui et ravagea un grand cercle de l’esplanade. Le président disparut dans un nuage de poussière.
« Au nom de l’Océan ténébreux, protégez le président ! Vite ! »
Le garde de fer courait rejoindre leur seigneur. D’un bond, il passa par la fenêtre pour descendre de quatre étages : c’était la voie la plus directe.
Hayate fronça les sourcils. « Fascinant.
— Vous êtes fou ? cria Goto. C’est comme ça qu’ils ont détruit le Dragon propice. On nous attaque ! L’adversaire est revenu ! Il faut protéger le président !
— En effet. » Hayate se caressa le menton. Toru avait-il toute sa tête, finalement ? Soit le Grimnoir avait monté une machination tordue pour une raison tactique incompréhensible, soit… soit c’était pire que tout. Dans un cas comme dans l’autre, il fallait faire jour sur toute l’affaire, et la justice triompherait. « Le président est un sorcier immortel. Ne le couvrez pas de honte en supposant qu’il a besoin de votre protection.
— Mais…
— Rappelez-vous votre formation, garde de fer ! Empêcher l’arrivée de l’ennemi est notre mission fondamentale. Vous avez entendu les paroles de l’envahisseur. Nous sommes infiltrés. Prévenez les écoles. » Hayate se tourna vers son aide de camp, qui s’appliquait toujours à se faire encore plus discret que son maître. « Envoyez des équipes d’intervention fantômes dans chaque école. Enquêtez sur tout le monde. Abattez quiconque essaie de vous en empêcher. Si on nous refuse l’accès aux locaux, bombardez l’école jusqu’à destruction complète. »
Par ces mots fut relancée la mission d’éradication de l’Océan ténébreux.
« Voyageuse » (CBF)
« Ça ne marche pas.
— Merde ! » Schirmer lâcha un coup de clé à molette dans la machine infernale de Fuller. « Et maintenant ?
— Rien », dit Fuller. Il était si excité que son casque se couvrait de buée ; il devait se tordre le cou pour lire les cadrans.
Schirmer cogna à nouveau. « Bordel ! »
Lady Origami trouvait fascinant que le plus grand génie magique vivant et un homme capable de construire une machine avec des matériaux de récupération en soient réduits à taper sur leur œuvre comme des chimpanzés qui auraient dégoté un caillou bien solide. « Qu’est-ce qui ne va pas ?
— J’ai négligé de tenir compte du déficit actuel de thermoénergie disponible dans les omnilocateurs de…
— Tout est gelé, traduisit Schirmer.
— Oh ? C’est tout ? » Elle posa une main gantée sur la coque de l’appareil. Élevée par un père qui, très pieux, expliquait la magie par les interactions entre les esprits cachés en toutes choses et considérait que sa fille parlait aux esprits du feu, elle n’avait jamais compris les bases scientifiques de ses pouvoirs et se contentait des croyances familiales. « Oui… Le feu intérieur est très faible. Je le réveille ?
— Euh… Oui, merci. Mais doucement, répondit Fuller.
— Bien sûr. » Elle se concentra. Toute matière contenait des flammes. Parfois, il suffisait de les attiser. En quelques secondes, l’intérieur de la machine se mit à luire d’un éclat jaune. Les diodes clignotaient enfin sur la console de Schirmer. La boule placée tout au sommet s’ébranla et tournoya de plus en plus vite. « Ça va, comme ça ?
— Ça marche ! Ça marche ! s’écria Fuller quand un bourdonnement inquiétant sortit de l’appareil.
— Commencez le balayage, ordonna Schirmer à deux techniciens. D’abord Shanghai, puis remontez la côte, puis l’intérieur des terres. Je veux toucher toutes les écoles de Chine ! »
Lady Origami était déçue. Elle avait espéré que le rayon magique serait visible. Néanmoins, heureusement qu’elle était venue dire au revoir à son lourd. Qu’auraient-ils fait sans elle, ces savants ?
BOUM !
La Voyageuse trembla sous l’impact, et les chevaliers perdirent l’équilibre. Lady Origami tomba, glissa vers la porte ouverte, mais son filin de sécurité la retint. Un technicien moins chanceux partit en roulé-boulé et passa par-dessus bord. Son câble résista, lui épargnant une chute de soixante-quinze mille pieds, mais il se retrouva suspendu dans le vide, trois mètres en contrebas. Schirmer entreprit de le remonter.