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Il ne veut plus que Paris l'étouffé, il ne veut plus d'ombres autour de lui ni évoluer dans un environnement qu'il ne maîtrise pas. Tout est danger, dehors.

Il cherche le calme, celui de son enfance, du vent frais qui rase l'herbe et fait chanter les arbres, il veut se rappeler la respiration de son père avant les ravages de la silicose.

Il revend son appartement dans le neuvième, déniche une fermette flamande en pleine campagne, dans le Nord, sa région d'origine, et part y habiter avec des comptes en banque pleins à ras bord de ses travaux passés.

Il cache tous ses reportages ainsi que la mèche de cheveux dans la grange de sa propriété. Il ne peut pas s'en défaire.

Blandine, son épouse, retrouve aisément un poste d'infirmière à l'hôpital d'Arras. Elle ne se plaît pas vraiment dans le Nord car, hormis le travail, elle ne trouve rien à y faire. De plus, cette ferme se situe à deux cents mètres d'une nécropole allemande, où reposent plus de trente-six mille soldats tombés durant la Première Guerre mondiale. La fenêtre d'une des chambres donne sur un magnifique orme datant de 1918 et, en arrière-plan, sur d'interminables alignements de croix sombres. Lugubre...

Voilà. Claude vient de changer de vie aussi facilement qu'un journaliste change de sujet. En tournant la page.

Sur cette terre de quiétude et de sérénité, ses cauchemars s'estompent. Claude, qui n'avait jamais été pratiquant jusque-là, se met à lire la Bible, à prier Dieu. Auprès de sa famille, il se sent bien, heureux.

Pourtant, depuis le Liban, Claude se sait encore perturbé et certains traumatismes subsistent. Il n'a plus aucun désir sexuel et a entamé une thérapie qu'il a brusquement interrompue. Blandine accepte difficilement tout cela, mais elle l'accepte quand même. Elle aime son mari.

Tout semble tellement simple en apparence.

Tout est tellement compliqué en réalité.

PROLOGUE 2

De longues années plus tard.

Un jardin. Une belle petite maison familiale. De gros arbres, derrière un carré de pelouse, donnent sur un champ de mais.

Entre les hauts épis, quelqu'un observe, avec ses jumelles, un enfant qui joue au ballon. Un ballon rouge.

Le gamin court vers son père, qui vient d'arriver.

—     On fait une partie de foot, papa ?

Alexandre verrouille la porte de sa voiture et

embrasse tendrement son fils.

—    Demain. Papa a beaucoup travaillé aujourd'hui.

—     Tu dis toujours demain !

—                    Oui mais cette fois, je te le promets. Demain, d'accord ?

Il lui caresse les cheveux et rentre en laissant la baie vitrée ouverte.

L'enfant continue à jouer en lançant son ballon rouge contre le mur. L'observateur, lui, n'a pas bougé. Il attend.

Plus tard dans la soirée. Une chambre à l'étage décorée avec goût. La fenêtre, au bout de la pièce, donne sur le champ de maïs.

Au rez-de-chaussée, à l'intérieurde la maison, dans l'obscurité, V individu aux jumelles patiente. Il tient une matraque électrique dans une main, et des sédatifs sous seringue dans l'autre. Derrière lui, la baie vitrée est fermée.

Dans la chambre, Alexandre enfile un pyjama. Le tissu recouvre le tatouage sur son mollet droit, une tête de loup.

Il se glisse sous les draps, sa femme Carine sort de la salle de bains et vient se serrer contre lui. Elle commence à le caresser, il l'embrasse sur la bouche et repousse délicatement sa main.

—                   Demain, chérie, c'est mon jour de repos. Je suis crevé.

—                   Demain, toujours demain ! Et s'il n 'y avait pas de demain ?

—     Nous ne le saurions pas.

—     Quoi ?

—                    S'il n'y avait pas de demain, nous ne le saurions pas.

La lampe s'éteint.

Le lendemain matin.

Une secousse, comme un tremblement de terre.

Carine peine à ouvrir les yeux. Sa gorge est sèche, elle a l'impression d'avoir avalé un sac de plâtre. Tout tourne dans sa tête. Elle se souvient. La douleur abominable dans son dos, la paralysie. Puis le trou noir.

Les sons parviennent à ses oreilles.

—     Oh ! Maman ! Et mon tournoi de foot ?

Carine se redresse, les neurones en vrac. Le tournoi

de foot ?

Son fils, Théo, la regarde, les yeux chargés de reproches.

—                   Papa devait me conduire. Sa voiture est dehors. Mais lui, tu sais où il est ?

1.

Lundi 8 octobre 2007. Vingt-cinq ans après le massacre de Sabra et Chatila.

Laboratoire de psychologie expérimentale, CNRS UMR 8767\ Boulogne-Billancourt.

—    Test terminé.

Alice Dehaene s'apprête à suivre les autres individus, mais son psychiatre s'approche d'elle et lui barre le passage.

—                   Non, pas par là. Eux ont fini, pas vous. Il reste un dernier test, le plus important pour notre travail.

Alice ne se sent pas rassurée. Ce laboratoire, ces machines bizarres, ces gens en blouse...

—    Très bien, docteur. Vous resterez à mes côtés ?

—    Évidemment.

La voici à présent dans un antre d'appareils et d'électronique. Le docteur Luc Graham l'invite à s'asseoir devant un ordinateur équipé d'un écran gigantesque. Alice obéit, ses iris bleus s'attardent sur les fils de multiples capteurs. Elle rétracte ses doigts sur les accoudoirs en cuir. Son chemisier est trempé. Le psychiatre applique un gel sur une bande blanche munie de trois capteurs bleu, noir et jaune. Il l'approche de sa joue gauche.

—    Ce dispositif va me permettre de mesurer la fréquence de tension de vos muscles. Il va falloir coller celui-ci sur votre poitrine, il me servira à estimer l'activité de votre cœur. Vous pouvez le glisser entre les boutons de votre chemisier. Allez-y... Tranquillement...

Alice glisse la bande autocollante sous son vêtement et la fixe entre ses seins.

—     Fini.

—    Très bien. Encore quelques-uns. Ceux-ci sont les plus amusants... Donnez-moi votre main gauche.

Luc Graham lui enfile le gant, une sorte de mitaine perfectionnée, en précisant que toute cette électronique permettra de mesurer la conductivité de sa peau, sa température corporelle et le volume de sang dans ses artères. Son rythme respiratoire sera finalement contrôlé par une ceinture, qu'elle serre au-dessus de son abdomen.

Alice remue ses doigts devant elle, inquiète mais fascinée.