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—    À quoi sert tout ce... dispositif, docteur? C'est dans ma tête que ça se passe, pas à l'extérieur.

—       Le subconscient crée les émotions, qui s'expriment par un ensemble de signaux biologiques. Lèvres sèches ou humides, cœur qui change de rythme, muscles qui se tendent et se détendent. Voilà ce que je vais enregistrer. Juste avant qu'arrive, espérons-le, votre trou noir. D'accord ?

—    D'accord. Vous me montrerez les enregistrements cette fois ?

—    Bientôt, Alice, bientôt. Ne brûlons pas les étapes, nous sommes tellement proches de la solution à présent.

Il lui serre les poignets.

—     Vous y croyez, vous aussi, et c'est pour cette raison que cela va fonctionner. Nous allons y arriver.

Elle lui sourit.

—     J'ai confiance, docteur.

Il lui détaille le déroulement de l'expérience. Des images neutres, agréables ou désagréables vont défiler à l'écran. Alice devra réagir en appuyant sur le gros bouton correspondant, suivant l'émotion ressentie. Bouton « + », « - » ou « ? ». Dans tous les cas, il est primordial de répondre de manière spontanée.

Luc pose délicatement la tête de sa patiente contre le dossier du siège, puis il lui passe une mentonnière. Les muscles du cou de la jeune femme marquent une résistance, ses doigts enserrent les accoudoirs. Luc Graham lui parle clairement.

—    Il est essentiel de ne pas bouger pendant l'expérience. Les images, uniquement les images. Ne pensez à rien d'autre. Tout va bien se dérouler.

Il procède aux derniers réglages.

—    Certaines photos écœurantes peuvent provoquer des nausées ou des étourdissements. C'est parce que l'organisme compense les brusques changements d'état physiologique en diminuant la pression sanguine. On appelle cela un réflexe barorécepteur. Dans ce cas, contractez tous vos muscles d'un coup. Dans une heure, nous quitterons Paris et vous rentrerez chez vous. Je sors de la salle, mais je reste juste derrière vous, d'accord ?

Alice acquiesce en réajustant ses petites lunettes à monture marron.

Une voix, au micro. Le docteur. Alice tente de remuer la tête pour voir où il se trouve, mais, à moins de tout arracher, elle ne le peut pas.

—     Nous allons commencer par quelques essais, pour nous assurer de votre compréhension. Ne bougez pas.

Depuis son poste d'observation, le psychiatre se tourne vers son confrère, à sa gauche.

—    Je voudrais que tu me laisses seul avec elle.

—    C'est une patiente de ton hôpital ?

—    Non. De mon cabinet privé.

Marc Brossard, le codirecteur du laboratoire de psychologie expérimentale, regarde le visage d'Alice sur un moniteur, grâce à la mini-caméra dissimulée dans le boîtier de l'ordinateur. Sur les autres écrans défilent des rangées de chiffres et des courbes : les données biométriques du sujet.

—    Vachement mignonne. Tu as bien choisi.

Luc Graham lui sourit.

—    Je t'en prie...

Il presse un bouton, le système envoie une série d'images. Sur l'écran de l'ordinateur apparaissent de manière aléatoire des symboles identiques à ceux des trois boutons : « + », « - », « ? ». Alice a compris, elle réagit et répond correctement. Luc Graham se tourne vers Marc Brossard. Ses yeux bleu gris expriment une détermination sans faille.

—    Allez, laisse-nous à présent. Ce travail, il doit se faire entre elle et moi, c'est pour cette raison qu'elle m'accorde sa confiance.

Marc Brossard n'insiste pas, il n'en saura pas plus. Il franchit la porte située à l'arrière du poste de contrôle et la referme. Le psychiatre se lève et verrouille la porte. Un panneau s'allume : « Simulation en cours ».

Luc Graham charge les milliers de photos de la base de données IAPS[2] et retire, à l'aide d'un logiciel adapté, 70 % des images à valence positive ou neutre, pour ne garder que le pire.

Il s'apprête à injecter dans le cerveau d'Alice un condensé d'horreur, il le sait, c'est ce qu'il recherche. La terroriser pour les besoins de la thérapie, mais pas n'importe comment.

Il fixe les yeux d'Alice sur le moniteur, ce bleu de faïence si particulier, qu'il connaît par cœur. Aller au bout, pour elle...

Il charge le programme dans la mémoire de l'ordinateur.

Écran blanc. Alice patiente, cet exercice est monotone mais facile. Simplement choisir le bon bouton en se fiant à ses émotions.

De vraies images remplacent les « + », « - » et « ? ». Le test a démarré.

Apparaît alors une chaise vide, au centre d'une pièce bleue. Sans réfléchir, Alice enfonce le bouton « ? ». Cliché suivant. Un cocker, promené en laisse par un enfant. Alice sourit. C'est comme s'il se matérialisait, ce chien, pour venir lui écraser le nez de son épaisse truffe noire.

Un bip. Alice revient à elle. Elle clique sur « + », évidemment. Don Diego, le cocker de son enfance...

Opération à cœur ouvert, triple pontage. Alice s'agite, la mentonnière la maintient. Après deux secondes, elle presse le « - ». Très désagréable. De l'autre côté, le psychiatre peut constater l'emballement soudain du rythme cardiaque.

Un ours prêt à surgir, griffes en avant. Un dentiste au travail. Un mutilé de guerre. Alice respire difficilement, sa carotide bat rapidement, quelques gouttes de transpiration perlent sur sa peau, ses sens s'affûtent.

Rafale suivante. Blessures, accidents, maladies. Autant de coups de poignard. Alice tremble, son aorte propulse un sang épais et brûlant. Elle poursuit sa lutte. Le test, réussir le test, pour son docteur, pour la thérapie. Négatif, négatif, négatif, neutre, négatif. Elle contracte ses muscles, à la limite de la crampe. Plus rien n'existe autour d'elle. Elle flotte, quelque part. Les photos défilent en accéléré. Négatif, négatif.

Puis, une nouvelle image. Une monstruosité.

Alice écrase le bouton « - » des deux poings.

Elle arrache sa mentonnière, tous les capteurs, et fonce vers la porte.

Les appareils bipent dans tous les sens. Luc Graham accourt.

— Ça va, Alice ?

La jeune femme force le passage dans un accès de rage et se précipite vers la sortie.

Le personnel la regarde passer, incrédule. Nul ne réagit.

Quand le psychiatre arrive sur le parking, la voiture d'Alice démarre, le plantant sur place, à deux cent cinquante kilomètres de chez lui.

2.

Assis sur les marches du perron de sa ferme, Claude Dehaene profite des ultimes lueurs du soleil au son d'une petite radio. La journée dans le vaste potager a été laborieuse, éreintante. Il grimace en se massant le bas du dos. Une bonne nuit de sommeil devrait tout réparer, avant de remettre ça, le lendemain. Il vieillit, bon Dieu. En témoignent ses mains gercées et sa colonne vertébrale qui supporte beaucoup moins les efforts qu'avant. La terre du Nord ne pardonne pas les faiblesses.

Il relève soudain la tête en direction du chemin qui, depuis l'horizon, descend jusqu'à la ferme. Un bruit de moteur, puis des phares qui trouent l'obscurité. De la visite, à cette heure-ci ? Sûrement Dorothée, Mirabelle... Ou même Alice.

Son visage passe d'une expression de fatigue à celle de la satisfaction. Il repousse délicatement sur le côté le couteau utilisé pour déraciner les mauvaises herbes. Il se frotte les lèvres de la manche de son bleu de travail, éteint sa radio, se lève, récupère une bouteille d'eau dans la cuisine et en avale plusieurs gorgées.

Puis il s'assied à nouveau sur la marche la plus haute, la bouteille d'eau à ses côtés. La voiture dévale la route à une vitesse inhabituelle. Claude plisse les yeux. Avec l'obscurité, il n'arrive pas encore à distinguer de qui il s'agit. Des graviers sont projetés jusqu'à ses chaussures, tandis que les pneus crissent.

Une belle femme, jeune, sort du véhicule. Claude incline légèrement la tête. Alice ? Dorothée ? Il a vraiment du mal à voir quoi que ce soit.