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—     Comme celui par lequel nous sommes arrivés ?

—     Oui, sauf qu'apparemment, Dehaene l'a aménagé pour faciliter la descente.

Birdy avance, mû par la haine, alors que le commandant, suivi par ses hommes, continue ses explications :

—     Les galeries ont été creusées par les tunneliers néo-zélandais, parce qu'ils étaient les meilleurs à l'époque, et surtout parce que les mineurs français, anglais et écossais étaient déjà sur le front. Un réseau ferré permettait l'accès de wagonnets chargés de munitions, de fournitures et de vivres. Des latrines et des cuisines avaient été aménagées, des poutrelles avaient été disposées par endroits pour protéger des éboule- ments. Pour s'y retrouver dans ce dédale, les sapeurs avaient attribué aux boyaux des noms de villes de leur pays : Wellington, Auckland, et caetera. Le but était de surgir juste devant le front allemand et de prendre les ennemis par surprise.

Le décor est effroyable, cet univers rocheux rappelle les pires cauchemars. Très vite, la température baisse, l'air reste étonnamment sec. Soudain, sur la gauche, apparaît une cavité naturelle dont l'accès est protégé par une grille aux épais barreaux métalliques. Au fond, un corps se tient recroquevillé. Immobile.

Birdy aperçoit une silhouette nue et amaigrie, enfermée au fond d'une cellule, et son cœur se remplit d'effroi. La barbe de l'homme est épaisse, ses cheveux longs et gras ne bougent pas d'un millimètre. L'individu est figé dans une position identique à celle d'une femme sur une table de gynécologie. Très vite, Birdy enfonce la clé dans le cadenas et ouvre la porte.

—     Sortez ! Dépêchez-vous !

Le prisonnier ne bouge pas, il est comme une statue de chair. Birdy se précipite à l'intérieur et tire l'homme par le poignet. Dans un grognement douloureux, il le lève du sol, passe ses bras maigres autour de ses épaules et le tire en dehors de sa cellule. Aussi vite que ses forces le lui permettent, il prend la direction de la sortie, ignorant à ce moment que, enfermées plus bas encore sous la terre, d'autres personnes subissent, jour après jour, les pires tortures mentales.

Le commandant de police se rue dans la cellule. Une petite tête blonde remue fébrilement lorsqu'il lui pose deux doigts sur la gorge.

—     Elle est vivante ! Vite, amenez-vous !

Des hommes en blouse se précipitent et lui dispensent les premiers soins. Hydratation, réchauffement.

—    C'est Julie Roqueval, murmure Birdy depuis la grille. Est-ce qu'elle va s'en sortir ?

Personne ne se retourne, tous sont affairés autour de la rescapée, qui reprend progressivement conscience.

Birdy fixe le psychiatre.

—     Nous n'y sommes pour rien.

—     Qui cela, nous ?

—     Moi, Alice, les autres.

—     Et combien vous êtes ?

Birdy ne répond pas. La plupart des hommes qui l'accompagnent voient en cette jeune femme possédée une tueuse de la pire espèce, embarquée dans une incompréhensible folie meurtrière. Tandis que le commandant donne ses ordres et s'entretient avec le procureur, Broca interroge Alice :

—     Comment connaissez-vous l'existence de cet endroit ?

Birdy se met à avancer vers d'autres cavités, rapidement suivi par le docteur, le commandant et quelques hommes, tout en expliquant :

—    Il y a quelques années, Alice a réussi à se cacher dans l'étable sans que mon père s'en aperçoive. Elle voulait comprendre ce qu'il faisait là-dedans, jour et nuit. Même s'il prenait énormément de précautions, on savait où il dissimulait un double des clés qui permettent d'ouvrir les portes de l'extérieur. C'était dans un accoudoir du vieux fauteuil roulant de ma mère, qu'il gardait replié dans la ferme. Alice a ouvert l'étable, est allée remettre les clés à leur place, a refermé soigneusement les portes puis s'est recroquevillée derrière la trayeuse. Ensuite, Claude est rentré avec sa camionnette. Elle l'a vu déplacer la vache de la deuxième à la troisième logette, soulever la trappe en béton et descendre là-dedans avec une bâche sur le dos. Il avait enfilé une cagoule...

Les flics se regardent tandis que Birdy poursuit :

—    Alors, Alice s'est engouffrée derrière lui. Elle est passée juste devant la cellule que nous venons de voir, puis...

Birdy court vers l'avant, et bifurque soudain dans une vaste grotte, aménagée en chapelle. Les crucifix, le visage du Christ, les noms des soldats...

—    C'est là que... que je me suis caché, dans ce renfoncement. J'ai alors vu des choses terribles. Des hommes attachés aux quatre coins, nus, maigres. Ils avaient tous le crâne rasé, et portaient des combinaisons noires.

Le psychiatre note le changement de sujet, sa patiente parle à présent à la première personne, mais toujours en gardant une attitude distanciée. Il suppose que, par le passé, Alice Dehaene s'est dissociée à ce moment-là, frappée par une vision d'horreur, pour laisser place à Birdy.

Les doigts de la jeune femme viennent effleurer des anneaux en métal fixés dans le mur.

—    Il y avait un homme ici, suspendu. Puis... mon père a déroulé la bâche, et là, j'ai vu. J'ai vu un corps d'homme blond, il...

Les mouvements de ses yeux s'accélèrent. Pour la première fois depuis le début, Birdy semble ému.

—       ... il avait la gorge tranchée. Ça ressemblait beaucoup à la photo que vous m'avez montrée.

Il secoue la tête, des larmes affleurent.

—      C'est là que... que je n'ai pas pu m'empêcher d'émettre un petit cri. Mon père l'a entendu, il... il s'est jeté sur moi. Son visage s'est approché du mien, j'ai pu sentir son haleine, j'ai cru que... qu'il allait me tuer. Il a plaqué sa main sur mes lèvres pour m'empêcher de crier, puis...

—     Puis ? Prenez votre temps pour me répondre.

Birdy est au bord de la rupture.

—     Il m'a enfermé, attaché dans l'autre cellule, des jours et des jours. J'ignore combien de temps cela a duré, mais... je voyais mes ongles pousser. Mon père revenait, des fois, avec le fusil qu'il appliquait contre ma tempe, en pleurant. Il m'a supplié de partir, de laisser Alice revenir, et m'a dit de ne plus jamais sortir, que sinon il me tuerait comme il voulait tuer Dorothée quand elle restait trop longtemps à la place d'Alice. Il l'a juré devant Dieu. Chaque fois que j'entendais le bruit de ses pas, je croyais que j'allais mourir. Des fois, mon père dormait avec moi dans la cellule, et me frappait, pour me faire partir, pour « chasser le mal qui m'habitait », comme il disait. Mais il n'y avait personne, personne d'autre que moi, jusqu'à ce qu'Alice finisse enfin par revenir. Elle ne s'est jamais souvenue d'avoir été enfermée, ni d'être descendue ici. J'ai en moi les souvenirs de tout le monde. Je suis ce qu'Alice aurait dû être...

Birdy réussit à tirer l'homme incroyablement amaigri jusqu'à l'étable. Ce pauvre type est traversé de convulsions mais il ne bouge toujours pas. Sans réfléchir, Birdy se précipite vers la ferme. Son père n'est plus là, des traces de sang montrent qu'il s'est traîné jusqu'à la salle de bains pour s'y enfermer. Birdy tente d'ouvrir la porte en hurlant, mais elle est verrouillée de l'intérieur. De toutes ses forces, il cogne contre le bois, le petit verrou cède.

Claude Dehaene se tient assis au fond de la douche, immobile, les yeux grands ouverts.

Le croyant mort, Birdy s'éloigne et se rue finalement à l'étage, où il s'empare d'une couverture en laine dans la vieille armoire de sa chambre. Une couverture dans laquelle Alice se roulait nue, après le supplice de la douche. Il retourne auprès du prisonnier. L'homme continue de trembler mais reste incapable d'effectuer un quelconque mouvement. Birdy parvient à Vinstaller sur le siège arrière de sa Fiat Croma et pose la couverture sur ses épaules. La voiture disparaît dans un nuage de poussière.