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Mais la véracité n’est sans doute pas l’élément le plus important du récit né de l’imagination en surchauffe de Frédéric : la frénésie mortelle dans laquelle baigne son histoire, avant de déboucher sur une chute cocasse, ressemble à s’y méprendre à la cavalcade tragique de Kaput, le tueur sinistre imaginé à l’époque où le succès de San-Antonio était loin d’être acquis. La juvénile ardeur que le romancier déploie au fil des pages du Dragon de Cracovie a quelque chose de rassurant.

En 1997, au lendemain de la mort de Georges Marchais, Frédéric décide sur un coup de tête de se rendre au siège du parti communiste, afin d’y signer le registre des condoléances.

Il convient de prendre au second degré le « Bonne nuit, monsieur Marchais » qu’il appose distraitement sur la page blanche, concluant ainsi la série de mots d’auteur administrés, au fil de la saga, au pittoresque premier secrétaire du Parti…

En revanche, lorsqu’il salue, quelques mois plus tard, dans les colonnes d’un quotidien suisse, le décès de son grand ami le père Bruckberger, c’est avec la douleur de voir s’éloigner de ce bas monde un « moine chevalier » dont « la statue d’airain est rendue à l’argile ». Il souhaite à Bruck une « bonne éternité », ajoutant dans un élan fraternel, certainement plus fanfaron que prémonitoire : « À bientôt. »

L’exigeante fiction reprend ses droits, chaque matin de sa vie. Le crépitement discret de l’I.B.M. à boule — un modèle périmé dont il a heureusement fait provision ! — emplit la pénombre lambrissée de sa chambre-bureau de la ferme proche de Fribourg où il se plaît davantage. Le cent soixante et onzième San-Antonio est déjà derrière lui… Frédéric entame avec un enthousiasme mesuré un nouveau tour de piste « promotionnel » à Paris. Cet exil ne dépasse jamais trois jours, au terme desquels la dépression née de son inactivité d’écriture montre le nez… Pour réfréner son angoisse, le fauve en cage de l’hôtel Royal Monceau écrit à Françoise des lettres enflammées, comme au premier jour… Il téléphone à Odette, remariée dix ans après leur séparation, et qui vit à présent dans une jolie maison ancienne, à quelques kilomètres seulement des Mureaux. Il se repaît de l’existence de ses sept petits-enfants, sans s’accepter tout à fait dans ce rôle de patriarche que la vie aimerait lui faire jouer.

Le dur à cuire du roman français confesse parfois, avec un aimable sourire, qu’il n’a jamais atteint dans ses livres le degré de violence dont il a si souvent rêvé. Mais, dit-il, « toutes mes violences, tous mes désirs, toutes mes pensées filent dans ma machine à écrire… » Comme pour témoigner des tempêtes qui s’élèvent encore, de loin en loin, sous son crâne.

De plus en plus souvent, pourtant, lorsqu’il séjourne à Marbella, Frédéric s’isole sur sa terrasse, s’allonge paisiblement sous le ciel nocturne, retrouvant la position qu’il occupait jadis à Jallieu, sur la couverture à repasser de Bonne-Maman. Alors, le regard perdu dans les étoiles, il songe à la vanité des hommes et à l’amour de celle qui l’attend là-haut.

Un jour, il le sait, tout au bout de la route menant au céleste hameau, elle agitera la main…

Novembre 1998

Bibliographie

1. Ouvrages publiés, sauf autre mention, à Lyon sous le nom de Frédéric Dard.

La Peuchère, préface de Max-André Dazergues, Lugdunum, 1940 Monsieur Joos, suivi de Vie à louer et Plaque tournante, Lugdunum, 1941

Équipe de l’ombre, préface d’André Warnod, Lugdunum, 1941 Le norvégien manchot, illustré par Roger Samard, éditions de Savoie, 1943

Georges et la dame seule, Gap, Éditions Ophrys, 1944

Croquelune, Éditions de Savoie, 1944. Une édition de luxe en 1946

Saint-Gengoul, Éditions Cartier, 1945

Les pèlerins de l’Enfer, Éditions de Savoie, 1945

La mort des autres, Editions Optic, 1945

Quelques bêtes parmi celles qu’on appelle sauvages, en collaboration avec François Monnet, Éditions Volumétrix, 1945 Des animaux petits et gros pour les enfants, Éditions Volumétrix, 1945 Cacou, l’œuf qui n’en faisait qu’à sa tête, Éditions Volumétrix, 1945.

Réédition chez Nathan, Paris, 1996 La Crève, Confluences, 1946. Réédition au Fleuve Noir, 1989 Le cirque Grancher, Editions de Savoie, 1947

Au massacre mondain, préface de Georges Simenon, Editions Chatelet, Paris, 1948

Batailles sur la route, Editions Dumas, Saint-Etienne, 1949 Le tueur en pantoufles, S.E.P. O, Paris, 1951. Ouvrage non distribué.

Quand la mort vient, Jacquier, 1954 Anna Soleil, Jacquier, Col. Tourterelle, 1954

2. Ouvrages publiés sous divers pseudonymes, à l’exception de San-Antonio et des romans « masqués » du Fleuve Noir.

Le mystère du cube blanc (F.D. Ricard) Editions de Savoie, 1945

La mort silencieuse (Sydeney) Éditions de Savoie, 1945

L’agence S.O. S (Frédéric Charles) Jacquier, 1949

La police est prévenue (Frédéric Antony) Jacquier, 1950

On demande un cadavre (Maxell Beeting) Jacquier, 1951

Le tueur aux gants blancs (Comel Milk) Jacquier, 1951

28 minutes d’angoisse (Verne Goody) Jacquier, 1951

Monsieur 34 (Wel Norton) Jacquier, 1951

Signé tête de mort (Max Beeting) Jacquier, 1951

Réglez-lui son compte (Kill Him) Jacquier, 1952

Une tonne de cadavres (Kill Him) Jacquier, 1952 (Ces deux ouvrages sont la réédition du premier San-Antonio paru en 1949 chez le même éditeur. Dans le second, figure en outre une nouvelle intitulée Bien chaud, bien parisien.)

La maison de l’horreur (Frédéric Charles) Jacquier, 1952

L’horrible Monsieur Smith (Frédéric Charles) Jacquier, 1952

Le Disque mystérieux (Cornel Milk) Jacquier, 1952

Boulevard des allongés (L’Ange Noir) La Pensée Moderne, 1952

Le ventre en l’air (L’Ange Noir) La Pensée Moderne, 1952

« N’ouvrez pas ce cercueil ! » (Frédéric Charles) Jacquier, 1953

La main morte (Frédéric Charles) Jacquier, 1953

Vengeance ! (Frédéric Charles) Jacquier, 1953

Le bouillon d’onze heures (L’Ange Noir) La Pensée Moderne, 1953

Un Cinzano pour l’Ange Noir (L’Ange Noir) La Pensée Moderne, 1953

La grande friture (Frédéric Charles) Jacquier, 1954

3. Ouvrages publiés sous le nom de Frédéric Dard aux éditions Fleuve Noir.

Du plomb pour ces demoiselles, Spécial-Police, 1951