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On carillonne à une porte de fer toute rouillée, mais le fil de la sonnette n'est plus relié à rien. Il tirebouchonne par-dessus le mur tel un pampre de vigne. Je pousse le vantail posé au-delà des barreaux, il s'ouvre en grinçant, nous dévoilant une sorte de jardin en friche tout en longueur, d'environ quatre mètres de large sur cent de long. Un sentier pelé, causé par un passage permanent, conduit à l'extrémité du terrain, là que se trouve une bicoque en déliquescence, d'un étage, avec un toit pointu, et qui ressemble à une grande niche à clébard.

Dans l'allée, y a une grande bringue aux tifs roussâtres coiffés en nattes, qui fait du tricycle. L'engin est conçu pour un gamin de six ans, aussi la fille qui mesure un mètre soixante-dix est-elle obligée d'écarter à fond ses cannes pour pouvoir pédaler.

Elle ne porte pas de culotte et la selle disparaît presque dans sa chatte.

Je fais jouer le loquet après avoir passé la main à travers les barreaux et la portelle s'ouvre en grinçant.

Ces masures de la banlieue parisienne m'émeuvent toujours. Elles sont si humbles, si tristes malgré des arrière-pensées prétentieuses. Un jour, un mec sans moyens a voulu se donner l'impression qu'il en avait. Il a acheté à kroum cette pauvre bande de terrain et l'urbanisme de l'époque, encore plus tarte que celui d'aujourd'hui, l'a laissé édifier son clapier.

Et puis tout ça s'est délabré. Et aujourd'hui, mon pote Akourdidé y élève sa fille azimutée et ses cochons d'Inde en se fichant pas mal du décor.

Notre survenance épouvante la gerce au tricycle qui abandonne son bolide en glapissant pintade. Ses bieurlements alertent le retraité et le voilà qui surgit sur son seuil, comme le petit bonhomme annonciateur de pluie dans les baromètres-chalets.

En nous reconnaissant, il fait un grand geste de bienvenue, puis entreprend de calmer sa grande fille toute simplette.

Il a sa blouse grise de jadis. Celle qu'il mettait, le vieux rat, pour évoluer dans la poussière des Sommiers. C'est un petit gusman, avec une calvitie en forme de coucourbe, un teint plombé, un bout de ventre malsain au-dessus de jambes maigrelettes. De loin, tu croirais quelque échassier en disgrâce, achevant de se déplumer loin des siens.

Il a expédié sa gosse à l'intérieur de la cahute et s'avance en souriant.

— Commissaire ! Si je m'attendais ! Vous déplacer jusqu'ici en personne !

C'est un modeste que tout impressionne, Akourdidé. Un être diffus, ténu, auquel une poignée de main fait de l'usage. Je lui en vote une, justement, puis lui présente l'inspecteur Blanc lequel lui en accorde une autre pour faire la paire. Des poignées de mains à poignées ! Byzance !

— Entrez, messieurs !

Seigneur ! Il a évidé tout le rez-de-chaussée de sa baraque et les murs sont tapissés de cages. En entrant, t'es chaviré par l'odeur. Des centaines de cochons d'Inde bouffent, pissent, forniquent ou se battent, composant un formidable remuement assorti de couinements.

Au centre du local, il y a une table surchargée de nourriture pour les bestioles et, au fond, l'étroit escadrin menant à la partie habitable.

— Je me permets de vous précéder, il déclare en s'engageant dans l'escalier.

Dans un sens, le haut est pire que le bas. Là encore il se compose d'une seule pièce. Ce bordel ! Deux lits de fer disposés côte à côte. Un évier et une cuisinière à charbon. Une table de jardin en fer, des chaises également en fer (Akourdidé ne semble pas apprécier le bois). Une théorie d'armoires en toile pourvues de fermetures Eclair. Tout le reste de la place est occupé par des livres empilés jusqu'au plaftard.

La grande bringue demeurée s'est placée dans un angle, nez au mur, comme une élève au piquet.

— Asseyez-vous, je vous prie ! invite Akourdidé.

On lui obéit, en évitant de se regarder, M. Blanc et moi. Lui, dans son antre de nègre, il mène une vie plus normale. Certes, on fait le méchoui à même le carreau de la cuisine chez Ramadé, son épouse. Ses chiares mènent une bacchanale d'enfer et la lumière ne s'y éteint jamais car il y a toujours un ou plusieurs des occupants en train de bouffer ou d'écouter de la musique ; mais ça reste un appartement, avec des chambres, un living, une salle d'eau. Ici, c'est une sorte de roulotte sédentaire. Une niche humaine. T'as envie de pleurer. De demander pardon. Tu te sens concerné par ce mode d'existence.

— Je ne vous offre rien à boire, car je n'ai rien, déclare notre ex-collaborateur.

Il ajoute :

— Ma fille et moi ne buvons que de l'eau.

— Tu es allé au Sommier, tantôt ?

— J'en arrive.

Il sourit et va chercher une liasse de feuillets sur son traversin.

— Je vous ai relevé deux affaires non solutionnées dans lesquelles il y a eu assassinat avec utilisation de menottes.

— Magnifique, Paul !

— Je ne sais pas si vous pourrez me relire, commissaire ?

Il me présente ses fafs et je constate qu'ils paraissent noircis par des caractères arabes.

— Effectivement, je ne lis pas le Coran dans le texte, avoué-je en les lui rendant.

Il rit.

— Moi non plus, commissaire. C'est du français, mais j'écris mal.

— En ce cas, j'espère que tu te relis bien ?

Il se met à déchiffrer ses hiéroglyphes, lesquels auraient flanqué la gerbe à Champollion.

— Le 14 avril 83, au Vésinet, le général Hougredocq est assassiné d'une balle en plein cœur de calibre II en l'absence de son épouse qui se trouvait à Deauville chez sa sœur. A noter que c'était le jour de congé de la domestique et qu'on a trouvé des traces de menottes aux poignets du général.

Là, Akourdidé avale sa cotonneuse salive, jette un œil navré à sa pauvre grande fille et reprend :

— Seconde affaire. Elle a eu lieu l'an passé à Paris, dans une luxueuse maison de rendez-vous proche des Champs-Elysées. Un important P.-D.G. autrichien, Wolfgan Deflanelh, qui dirigeait une usine de produits chimiques, a été abattu d'une balle dans le cœur, de calibre 9, cette fois-ci. On l'avait bâillonné avec des bandes de sparadrap et attaché à l'aide de menottes au robinet de vidange du bidet. La balle a été tirée dans le dos. L'arme comportait un silencieux. La victime s'est entamé les paumes des mains dans les efforts qu'elle a produits pour se défaire des cadennes. On présume qu'elle avait été amenée là par une femme. Le lit non défait indique qu'elle fut tuée dès son arrivée dans le baisodrome. Le meurtre n'a été découvert que six heures après qu'il eut été commis.

— On a eu un signalement de la fille ?

— La préposée à la serviette a prétendu qu'il s'agissait d'une personne d'un certain âge, aux cheveux gris, portant des lunettes à verres teintés et un manteau de fourrure noire. Le meurtre a eu lieu le 24 novembre.

— La femme s'était camouflée, dis-je.

— Très probablement, convient Akourdidé. J'ai relevé encore plusieurs affaires non élucidées où le meurtrier a tué d'une balle de gros calibre dans le cœur, mais là, on ne mentionnait pas de traces de menottes. Pour mémoire elles figurent sur mes notes.

— Donne ! Je les transmettrai pour décryptage à Mathias qui est quelque peu égyptologue !

Il me rend ses feuillets mystérieux en souriant. Quelle drôle d'existence que celle de ce fonctionnaire à la retraite. Quelle pauvre vie mutilée, passée entre une enfant demeurée et des douzaines de cochons d'inde dans un taudis biscornu. il attend encore quelque chose, Paul Akourdidé ? Il espère confusément, quelque part, tu crois ? En qui ? En quoi ?

— A mon tour de te confier un document, Paulet, déclaré-je en lui produisant le portrait robot réalisé à partir des indications de Blaise de Herredia. Ce dessin évoque un souvenir dans ta grange à idées ?