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— Mon collaborateur est venu ici, il vous a interrogé, ainsi que l'ambassadrice et la domestique, et puis il est descendu dans la partie fonctionnelle de l'ambassade pour questionner le personnel. Au fait, celui-ci se compose de combien d'éléments ? Sans vouloir vous vexer, ça ne doit pas être les bureaux de la Régie Renault, l'ambassade du Toufoulkan. Les gens souhaitant s'y rendre ne font pas la queue comme au rayon des soldes des Galeries Lafayette !

— En dehors de moi, répond Kadmir Saabit, il y a le second secrétaire, une dame chargée des relations culturelles et deux autres femmes pour la réception et le travail de bureau ; plus un chauffeur.

— L'officier de police Bérurier vous a interrogé ici, dès que l'ambassadrice vous eût fait appeler, n'est-ce pas ? Vous êtes redescendu aussitôt après ?

— Non, j'avais un rendez-vous à l'extérieur.

— Si bien que mon collaborateur s'est rendu seul dans les bureaux ?

— C'est probable.

— Plus tard, dans l'après-midi, vos collaborateurs ont mentionné sa visite ?

— Naturellement ! Ils étaient tous atterrés par l'affreuse nouvelle et sanglotaient.

— Son Excellence aura été très aimée et donc beaucoup pleurée, conclus-je.

Et c'est alors qu'il se produit dans les pièces agaçantes un remue tu sais quoi ? Ménage !

Cela ressemble à une échauffourée très fourrée. Y a même des meubles renversés, des cris, des appels en langue étrangement étrangère. La porte principale s'ouvre à toute volée et trois personnes déboulent trois femmes. L'une est boulotte, très brune, c'est elle qui glapit. Les deux autres se composent de la femme de chambre déjà mentionnée dans la liste des engagés et d'une grande gonzesse anguleuse, type matonne, portant une blouse blanche. Visiblement, la bonne et l'autre bonne femme s'efforcent de contenir la première, laquelle semble hors d'elle-même, et même, après une rapide auscultation, j'ajouterais légèrement pincecornée sur les pourtours.

Le secrétaire a blêmi (il avait tout pour ça au départ, vu son teint semblable aux boulettes de papier journal détrempées puis séchées, que ma grand-maman confectionnait pour allumer son poêle).

Il se précipite. Barre la porte d'entrée à la sombre boulotte en écriant des choses véhémentes dans son patois national. Une scène confuse s'ensuit. Ça gesticule. Jérémie et moi nous nous tenons à l'écart du conflit because quand tu te trouves nez à nez avec une guerre que tu connais pas, garde bien tes pieds au sec au lieu de te jeter dans la mêlée comme la première France venue sitôt qu'une Pologne quelconque gueule au secours ! Il est toujours temps d'y être entraîné bon gré mal gré dans la guerre. Plus tu retardes ton entrée, plus t'économises de vies humaines, et point à la ligne !

Aidées du premier secrétaire, les deux juguleuses finissent par avoir le contrôle de la situasse. La boulotte brune change ses piaillements et ses appels en pleurs. Elle s'effondre au sol et, les jambes à l'équerre, la tête basse, arrose le chiraz de ses larmes. D'autres gens sont apparus. Quatre personnes. Un vieil homme chenu, genre roi mage déshydraté, une jeune fille pubère, deux dames de « par là-bas », loquées à l'orientale. Suit une période plutôt confuse. Tout le monde jacte avec volubilité, à l'exception de la fille pubère, laquelle me couve d'un regard qui précède son pucelage. Je pige pas le dialecte, mais il ressort des gestes et expressions que chacun produit son avis sur la conduite à tenir. A la fin, c'est celui du pommier secrétaire qui prévaut car il a grade de prévôt. On force la dame à terre à se relever en la saisissant sous les aisselles. On l'entraîne.

— Ton avis, docteur Mabuse ? je demande à Jérémie.

Manque de bol : il n'est plus là.

Ne l'ai point vu s'éclipser. Est-il parti par la grande porte du salon ou par celle du palier ?

Le gars Kadmir Saabit réapparaît essoufflé, plus tiqueux que jamais. Ça consiste en un léger haussement d'épaules répété une dizaine de fois à toute vibure et ponctué par une torsion de la bouche.

Il est surexcité comme une bite dans la main de la princesse Sarah, la copine rouquemoute à Lady Di, devenue sa belle-sœur par le jeu des partouzes. Son épaule, tu dirais franc un levier de pompe à main un jour d'incendie au village.

— Fâcheux ! fait-il. Navrant ! Le chagrin !

— Il s'agissait de Mme l'ambassadrice, si j'ai bien compris ? demandé-je.

— En effet. Elle vient d'avoir une crise de nerfs. La mort de Son Excellence lui a provoqué un traumatisme terrible. D'ailleurs j'ai dû appeler le docteur…

— Je comprends, fais-je. Un drame pareil, dans un foyer aussi uni ! Aussi ne vais-je pas vous importuner plus longtemps, monsieur Saabit ; donnez-moi les noms et adresses de tous vos collaborateurs et je viderai les lieux.

Il a un léger temps de surprise.

— Ah oui ?

— Oh oui !

— Bon, je vous demande un instant…

Il sort. Je constate alors que M. Blanc lui, est de retour. Un magicien, ce Noirpiot !

— Tu pars en croisière sans prévenir ! reproché-je.

— J'ai profité de l'inattention générale pour visiter les lieux.

— Intéressant ?

— Très.

Il ajoute, non sans mélancolie :

— Dans le fond, c'est bien d'être noir : même en plein jour, personne ne te remarque !

A

Comme il est l'heure de la croque, que nous sommes en France et que je suis français jusqu'au plus humble poil de ma raie culière, je propose à Jérémie d'aller casser une graine dans un troquet de mon invention.

Comme il est athlétique, doté d'un solide appétit et familiarisé avec cette cuisine occidentale, fleuron de notre chère patrie, il accepte à pieds joints.

Et nous voilà chez Bézuquet, cuisine provençale, pieds et paquets, anchoïade, pâtes au pistou, et autres délicieuseries, à écluser un Estandon rosé pour faciliter nos mastications carnassières.

— Allons, fais-je au bout d'un instant, dis-le-moi sans que j'aie à te fouiller !

Je fais bien sûr allusion à ce qu'il a découvert dans les appartements de l'ambassadeur, et il le comprend très bien puisqu'il répond sans barguigner :

— L'épouse est malade et c'est bien antérieur au décès de son mari. Le système nerveux qui patine, probablement. Tu verrais sa chambre ! On se croirait dans une clinique ! Il y a même des sangles à son lit ; lequel est en fer ! Pour une ambassadrice, ça la fiche mal, non ? Elle doit piquer des crises sauvages, la mère ! Je ne te parle pas de l'armoire à pharmacie bourrée de médicaments ! Ce qui rend l'endroit dramatique, c'est que les murs sont garnis de posters représentant deux enfants d'environ huit et douze ans. Un garçon et une fille ! En outre, le lit est empli de peluches diverses qui représentent des nounours, des koalas, des chienchiens et je ne sais quoi encore. Si Tabîtâ Hungoû allait se régaler ailleurs, c'est probablement parce que sa bonne dame roule sur la jante. Vu sa position diplomatique, il écrasait le coup. L'une des femmes qui maîtrisaient l'ambassadrice est, de toute évidence, une infirmière attachée à sa personne.

Ces révélations de mon précieux collaborateur ne me surprennent pas outre quiévain, ni outre mesure, comme dit mon tailleur. (Cerruti, l'homme qui fait parler l'homme — publicité rigoureusement gratuite.) Depuis l'intrusion de la mère Hungoû dans l'antichambre, j'ai parfaitement réalisé qu'elle cloquait un peu de la matière grise, Mémère.

— La femme de chambre a prétendu que Bérurier a interrogé l'ambassadrice, crois-tu que la chose soit possible ?

— Pas trop, même en période de calme elle paraît hors circuit.

— Donc, la soubrette nous a berlurés ?

— C'est extrêmement probable.

— Dans quel but ?