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Marie-Jeanne demande :

— La fille est jeune ?

— Elle n'a pas trente ans.

— Alors soyez certain qu'il s'agit d'un vrai couple !

— Et s'ils possédaient un repaire dans une campagne éloignée et discrète, comme on l'a vu faire à certains couples de terroristes ?

Elle étudie mon objection puis fait la moue.

— Je ne pense pas. La motivation des terroristes n'est pas la même. Ils ont une certaine idéologie à la base, ils cultivent un certain fanatisme. Des tueurs à gages, comme le nom l'indique, agissent pour gagner du fric, donc pour le dépenser. On ne dépense pas bien son argent dans des provinces lointaines, alors que Paris est là avec toutes ses tentations.

— Donc, tu les « sens » en ville ?

Elle rit.

— Vous savez, je ne suis pas médium. Je parle en me basant sur ce qui me paraît être une évidence. J'imagine que ces deux criminels font la fête et vivent dans un luxe que leurs origines ne leur avaient probablement pas apporté.

Son langage me paraît limpide comme de l'eau de roche. Tout devient clair et sans faille.

Dans un élan de reconnaissance, je me mets à lui narrer les étranges aventures de la journée. Je ne lui cèle rien, ce qui te prouve la confiance spontanée qu'elle m'inspire. Méthodiquement, je lui décris mes faits et gestes à partir du moment où je l'ai quittée ce matin : l'appartement de la rue Meissonnier, ce que j'y ai trouvé, la visite à la femme de ménage, les confidences du grand dadais, l'espèce d'empoisonnement dont a été victime mon zélé Béru, l'étrange climat qui règne au domicile de l'ambassadeur. Tu sais sa réaction ?

— Et pris par une enquête aussi passionnante vous avez trouvé le moyen de me rendre visite ! s'écrie-t-elle.

Oh ! la belle âme !

Si peu jalonnent notre route. Je savais bien qu'elle était digne d'intérêt, cette presque enfant !

Ne peux me retenir de saisir son doux visage à deux mains, comme au théâtre tu saisis la coupe ciselée contenant le philtre d'amour, mon vieux ! Elle n'a aucun mouvement de recul. Elle sait parfaitement qu'il s'agit là d'un élan du cœur. Je pose mes lèvres sur les siennes. Juste un chaste baiser, un peu appuyé mais qui, contrairement à l'Hexomédine, n'est pas pénétrant.

Et puis je la lâche, rouvre mes yeux, un instant clos sous l'effet de l'intense émotion qui m'a saisi. Sa peau de pêche irradiée me chauffe le visage.

— Ma belle rencontre ! soupiré-je.

Elle garde son air d'enfant sage, à peine troublée par ce contact de ma bouche.

Un nouveau sourire.

— Votre métier est passionnant, dit-elle, j'espère que vous ne vous en lassez pas ?

— Pour moi, il est toujours neuf !

— Tant mieux. C'est stimulant pour l'intelligence d'avoir à débrouiller ce genre de mystère. Il faut interpréter chaque détail, faire des hypothèses, tirer des conclusions, suivre des pistes. Je crois que j'aimerais ça.

— Eh bien, entre dans la police, mon ange !

Je ne lui précise pas que j'ai déjà recruté un balayeur sénégalais qui fait merveille.

— Non, ça reste encore un métier d'homme. Une femme qui brandit un revolver fait rire tout le monde.

Elle se met à gamberger.

— Il est clair que quelque chose s'est produit, au dernier moment, entre l'ambassadeur et ses meurtriers.

Je relève la tête.

— Tu le penses ?

Marrant que, spontanément, elle rejoigne mon propre sentiment. Faut croire que je roulais dans la bonne direction.

— Bien sûr. Ce couple est venu tuer le diplomate. Seulement le tuer. Et puis il a été amené à lui faire avouer un secret.

— Comment auraient-ils appris que cet homme en détenait un ?

— Mais parce qu'il le leur a dit, bien sûr ! répond Marie-Jeanne étonnée par ma question. Quand il a compris qu'ils allaient l'assassiner, le pauvre homme a tenté de faire dévier le cours de son destin en négociant avec eux. Il leur aura proposé de leur révéler une chose qui doit représenter une grande valeur en échange de sa vie, ce qui est une réaction humaine. Mais le couple n'a pas marché à fond dans la proposition et ces deux misérables ont voulu s'approprier le beurre et l'argent du beurre ; alors ils se sont mis à le torturer jusqu'à ce qu'il parle ; après quoi, ils l'ont achevé ! C'est horrible !

Ecoute, c'est pas pile ce que je te disais, rue Meissonnier en considérant le marteau, le coupe-cors, le mégot de cigarette ? Tu sais qu'elle a du chou, ma jolie Asiate ?

— Côté gamberge, tu as tout ce qu'il te faut, admiré-je. Voilà qui est raisonné de première !

Elle ne s'attarde pas sur ce compliment :

— Je suis convaincue que c'est à cause de ce secret qu'on a décidé de faire mourir votre ambassadeur. Du coup, ceux qui ont payé pour que s'accomplisse cette exécution en sont pour leurs frais puisque le diplomate a confié ce qu'il savait à ses bourreaux !

— Peut-être n'a-t-il pas parlé ?

Elle me regarde d'un air incrédule.

— J'espère que vous ne le pensez pas ! S'il a eu la faiblesse de vouloir négocier, il n'a pu avoir la force de résister aux tortures !

— En conclusion, d'après toi, il y a en ce moment dans Paris un couple de meurtriers qui détient le secret ayant causé la mort de Tabîtâ Hungoû ?

— Sûr !

Elle porte à sa bouche sa boîte de Coca. Le breuvage doit être tiédasse.

Je la regarde boire en me disant que je suis là à empiéter sur son sommeil. Elle dispose de si peu d'heures de repos, la gentille !

— Et tu dis qu'ils ont déménagé aujourd'hui ?

— Si ce n'est aujourd'hui, ce sera demain. Et ils ne fréquentent pas des hôtels, j'en suis convaincue beaucoup trop dangereux. Tout le monde est pratiquement fiché dans un hôtel. Ils doivent louer des studios meublés.

J'attrape sa menotte.

— Sais-tu ce que c'est que le parfilage, Marie-Jeanne ?

— Oui : c'est l'art de retirer les fils d'or ou d'argent d'une étoffe précieuse.

— Bravo pour ta culture ! Eh bien ! tu es une parfileuse surdouée, ma chérie !

Elle hausse les épaules.

— Tout ça est élémentaire, mon cher San-Antonio ! A mon tour, je peux vous poser une question ?

— Toutes celles qui te viennent à l'esprit !

— Ces tueurs ont été engagés par qui, selon vous ?

— Si tu me le disais, je te prendrais un abonnement de cent ans au Petit Echo de la Mode !

— Quand vous aurez retrouvé les tueurs, vous les arrêterez ?

— Tu voudrais que je les propose pour une prochaine promotion dans l'ordre de la Légion d'honneur ?

— Ils ne pourront pas vous apprendre l'identité de celui qui les a engagés pour trucider l'ambassadeur.

— Pourquoi ?

— Parce qu'ils l'ignorent !

— Qu'en sais-tu ?

— On m'a toujours dit que l'abc du métier (si j'ose dire) de tueur à gages c'est d'être coupé de son sponsor (toujours si j'ose dire !).

Voilà qu'à présent elle me déballe les principes de Paul Akourdidé ! Mais elle sent tout, cette gamine ! Je vais me mettre à complexer sérieusement, moi !

— Il y a bien un intermédiaire, puisqu'il y a marché !

— Bien sûr, mais cela doit rester très « occulte ». S'opérer d'une façon tellement subtile que l'anonymat des deux parties est préservé.

Comprenant qu'elle me donne un cours de criminologie, elle s'empresse de balbutier, confuse :

— Du moins, c'est ainsi que j'imagine les choses.

Et mézigue pâte, dindon dindonnant, de balancer avec une suffisance badine :

— Tu imagines juste, ma petite fille ! Pauvre con ! Je lui viens pas à la cheville, Marie-Jeanne !

Mais quand une idée la mène, cette greluse, pour la lui faire lâcher ! Morpionne, la bougresse !