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O l'humble créature qui ne se croyait pas digne de mon verbe ! Mais tu l'es même de ma bite, mon oiseau des îles !

— Je vous demandais votre nom.

— Marie-Jeanne.

Et moi qui croyais qu'elle se nommait « Fleur-de-Lotus-irisée-par-le-soleil-couchant » ou un machin de ce tonneau.

— Vous êtes vietnamienne ?

— Non, française. Mais mon père a épousé une Cambodgienne…

Je n'ose lui demander comment il se fait qu'elle se consacre à une tâche aussi subalternement modeste. Sa maman a vraiment accompli le plus gros du boulot car rien d'occidental ne transparaît chez cet être délicat comme un rameau d'églantier.

— Quel âge avez-vous ?

— Dix-neuf ans.

— Ça vous dirait de déjeuner avec moi ?

— Je ne peux pas, car je serai à Nanterre pendant midi.

— Vous habitez là-bas ?

— Non, je vais à la fac de lettres.

Mon ahurissement se développe comme un sexe de routier dans un cinéma classé « X ».

— Et vous travaillez le matin ?

— Pour pouvoir continuer mes études. Ma mère est morte, mon père m'a abandonnée, je dois me débrouiller seule.

Le cher ange ! Ah ! l'édifiante adolescente ! Et courageuse ! Et surdouée ! Délicieuse à t'en faire périr d'indigestion.

— Alors, on pourrait dîner ce soir ?

— Le soir je travaille et me couche tôt car je dois me lever à quatre heures !

Mais ça existe donc encore à notre époque des saintes de cette qualité ? Tu te rends compte d'une perle rare ? Je le savais, vois-tu, que cette fille était un être d'exception !

— Vous ne fréquentez personne, Marie-Jeanne ?

Son regard oblique se pose un instant sur moi, puis se dérobe.

— Pratiquement pas.

— Il faut absolument que je vous voie, où habitez-vous ?

Les Jaunes, on ne sait pas quand ils rougissent. Tout est infiniment secret chez eux.

— Ce n'est pas la peine, monsieur.

— Pourquoi ?

— Tant que je n'aurai pas achevé mes études, je ne sortirai pas.

— Mais votre vie est inhumaine, ma chérie ! Comment pouvez-vous, si jeune, ne vous consacrer qu'au travail ! Vous vous tuez !

— Oh ! non, ma vie est très bien organisée.

Puis elle murmure :

— Vous êtes le commissaire San-Antonio, n'est-ce pas ?

— Vous avez donc le temps de savoir qui je suis ?

— C'est écrit sur votre porte. Et d'autre part, je lis les journaux. Vous êtes un policier célèbre.

— Marie-Jeanne, je vous conjure de me donner votre adresse. J'aimerais vous écrire.

— Mais pour me dire quoi ? Nous ne nous connaissons pas !

— Je vous ai remarquée à plusieurs reprises lorsque je me trouvais dans la maison à l'heure de sa toilette et il se passe quelque chose en moi.

Elle me tourne le dos pour achever son ouvrage. Comme un glandu, je n'ose plus parler. Le biniou intérieur tintinnabule : c'est Achille !

— Je vous attends, San-Antonio.

— J'arrive, monsieur le directeur.

Je me tourne vers Marie-Jeanne.

— Bon, alors, au revoir, Marie-Jeanne.

— Au revoir, monsieur le commissaire.

C'est con à chialer. Je pars. Elle ne m'a même pas accordé un regard d'adieu.

Faudra que j'écoute la mère Soleil, à 7 heures, savoir comment ça se présente pour le Cancer, aujourd'hui. J'ai idée qu'il doit pas être blanc-bleu, mon thème astragale (comme dit Béru).

* * *

Je lui trouve un air d'archivieux, Achille. Il a eu été, quoi ! Ça me fait comme de revoir à la télé des artistes d'il y a lulure. « La Chance aux Chansons » par exemple ! Les fossiles sont de retour. Ils viennent chanter avec une canne blanche ou des béquilles, ces braves. Les dadames craquant de partout après leur énième liftinge ; le plissé soleil en apothéose ! Le geste emprunté. La gaucherie de l'âge ! Tu peux rien contre ! Les bonshommes, eux, leur drame, c'est le bide et les châsses. Ils ont grossi, ils ont picolé. Les yeux bordés de maigre de jambon (de Parme) et la rétine trouble. Contents de se produire encore une fois, avec le gentil présentateur blond qui leur oint le fion à la bonne pommade ! Refourbit leur gloire passée pour un ultime éclat ! Il est le Monsieur Propre de la ringarderie. Si bienveillant ! On marche, on s'attendrit ! Faut pas craindre. C'est triste pour un vieux de n'être pas grand-père ! La Dedion-Bouton for ever ! Merci, beau jeune homme, pour le son et lumière !

Le boss, il se biche une frime casse-noisette, comme ceux qu'on te vend dans l'Oberland bernois et qui représentent des tronches de vieux kroums. Lui aussi, son regard part à dame. Et il a des chiées de nouveaux plis sur les temporaux, avec les paupières gonflées, et puis le cou pendouillard, légion de fanons ! Et pas fanions de la Légion ! Ses cols amidonnés, tu dirais des cerceaux autour d'un bâton. La vache, ce qu'il a reçu, l'ancêtre ! Le Déclin de l'Empire Romain, dis, il baigne en plein dedans, mon Achille ! Il est minuit, docteur Schweitzer ! On ferme !

Ça me frappe, cette arrivée extra-matinale dans son P.C. Les gens, on les constate de temps à autre seulement. A un tournant de vie, on s'aperçoit qu'ils sont en train de couler brie ou calandos à force de s'attarder. Que je les reçois cinq sur cinq, Hemingway, Montherlant, consorts, de s'être fait sauter la gueule sur les rives affreuses du Trop-tard. Tu meurs cent fois à trop durer !

Mais peut-être a-t-il cette bouille défraîchie à cause de l'aube. Sans doute qu'il manque de sommeil, bébé-rose. N'a pas eu son taf, Chilou. C'est une grande cocotte coquette qui, à cause d'un événement grave, n'a pas eu le temps de se consentir les ravalements quotidiens d'usage. Sa crème antirides de chez Dermabite, ce sera pour domani, voire même tantôt.

Il puise un bonbon mentholé dans une boîte de fer posée sur son sous-main, because son haleine de pingouin.

— Merci d'avoir répondu spontanément à mon appel, mon petit, me fait-il avec solennité.

— Tout naturel, monsieur le directeur.

Un peu de lèche matinale, ça ne mange pas de bred ! Jamais hésiter à remouiller la compresse des supérieurs puisqu'ils aiment.

— Une affaire de merde, San-Antonio ! Et je pèse mes mots : de merde ! J'ai tout de suite songé à vous !

C'est gentil de sa part, non ? Pour cézigus, merde égale San-A. !

Il me désigne le fauteuil en attente de mon cul, de l'autre côté de son burlingue. Il sent son eau de toilette de toujours, un parfum ambré et opiacé, avec des arrière-pensées de printemps.

— Cette nuit, on a assassiné l'ambassadeur du Toufoulkan[1].

— Où cela, monsieur le directeur ?

— Dans un domicile où il allait prendre du bon temps avec une jeune actrice. C'est cette dernière : Alicia Surcouff, qui a découvert le cadavre en rentrant d'une soirée, sur le coup de 4 heures.

Je passe mentalement l'annuaire du cinoche en revue Alicia Surcouff, je la retapisse très bien. Une belle brune au teint mat, avec un regard tellement langoureux qu'il remplace le laxatif dans les cas de constipation rebelle. C'était elle la vedette de Ma femme est en colloque et de Tu me fais pleurer l'Ephèse.

Le Dabe continue en lissant ses pattes-d'oie à deux mains, simultanément et dans le sens des aiguilles d'une montre :

— Le meurtre a été précédé de violences inouïes : Son Excellence Tabîtâ Hungoû a subi d'effroyables tortures. L'actrice s'est évanouie en découvrant le corps. Il va falloir agir avec doigté, mon vieux lapin. Un ambassadeur, c'est un personnage délicat. Le fait qu'on l'ait trucidé dans l'appartement d'une actrice complique les choses, vous vous en doutez ! Ce personnage est marié, et plutôt deux fois qu'une. De plus son influence est considérable dans Les milieux diplomatiques où on le considérait un peu comme un arbitre, touchant les conflits du Moyen-Orient.

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1

J'avais mis le vrai nom, mais mon éditeur a pensé qu'on allait avoir des incidents plomatiques, et on peut pas se permettre de foutre la barabille entre ce pays et la France.

SANA.