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Cinq heures, puis six…

La rue s'éveille, comme chantait le bon Dutronc.

Le quartier prend sa vitesse de croisière.

A sept heures, je réveille le all black. Il fait un bruit d'avion dont on actionne les aérofreins et deux boules blanches, grosses comme des balises de plage, affléurent sa face sombre.

Il visionne le plaftard, se dresse sur un coude.

— C'est mon tour ? il murmure avec la voix d'Armstrong chantant Hello Dolly sur la fin de ses jours.

— Je l'ai assumé, ton tour, blondinet !

Il s'aperçoit que le jour est là avec plein de pluie pour le rendre moins gai. Regard professionnel au couple.

— Ces messieurs-dames se sont tenus peinards ?

— Je vois pas comment ils auraient pu faire les foutraques !

Jérémie pompe dix mètres cube d'air avec son aérateur géant.

— Dis, mon vieux, ça pue, ici !

— Parce que nos clients se sont abandonnés.

— Ça va être gai !

— T'auras qu'à te foutre un oreiller dans chaque narine, ça tombe bien il y en a deux !

Il bâille, profite de ce qu'il a la gueule béante pour me lâcher, en fin de parcours :

— T'es chié, mon vieux ! Le café est prêt ?

— Là, il me semble que tu en veux trop ; t'aimerais peut-être que j'aille acheter des croissants ?

— Non, le matin je prends des figues arrosées d'huile d'olive. L'huile d'olive, c'est le secret de la santé !

Il se rend aux chiches, puis, du temps qu'il se trouve dans la salle de bains, s'offre une douche. Lui, c'est carrément « Nuit de Prince », qu'il joue chez l'ami Aubergenville ! J'irais bien préparer le caoua pendant que le négro s'ablutionne, mais je me méfie des deux voyous.

Alors je reste dans mon fauteuil, les reins endoloris, le regard cuisant de veille[6].

La môme Elodie, je constate nettement qu'elle parvient au bout de son rouleau. Voilà un moment qu'elle trémousse, pousse des petites plaintes, me balance des regards éperdus. Faut pas longtemps, dans le fond, pour amener les méchants à merci.

Peu à peu, ses plaintes se muent en un cri continu. Son regard chavire dans une semi-folie. Elle va y aller d'une crise de nerfs, Poupette !

M. Blanc se pointe, nu dans une serviette de bain bleu ciel couleur épinard.

— C'est la gonzesse qui fait ce foin ?

— Elle a ses nerfs ! dis-je paisiblement. Pas la peine de te relinger tout de suite, Tarzan, on peut préparer du café à poil, je le sais : j'ai essayé un matin, chez une dame dont la bonne avait congé.

Vu que je lui ai accordé une pleine noye de dorme, il passe dans la kitchenette sans rechigner.

La fille Smurgh poursuit son concerto. Son julot la défrime avec inquiétude, tâchant à l'exhorter du regard, mais elle, fume ! Elle craque, un point c'est tout.

Je m'approche d'Aubergenville.

— Si ton brancard continue de la ramener, on va lui bricoler une piquouze, annoncé-je.

J'ajoute :

— Une vraie, comme celle qu'on administre aux clébards insoignables, tu vois où je veux en venir ?

Il acquiesce.

— Je t'enlève ta muselière, calme-la. Inutile de gueuler, tu serais mort avant la fin de ton cri.

Je retire le collant qui lui sert de mors. Il l'a haché de ses ratiches voraces et c'est tout gluant de bave.

— Ecoutez, lance-t-il, un chouïe pathétique, si vous voulez quelque chose, dites-le ! Vous attendez quoi ?

— C'est mon problème !

— Vous travaillez pour qui ? Vous n'êtes pas de la police, c'est pas dans les méthodes de la Rousse, vos procédés !

Il est mûr, Dunœud. Comme un avocat sous sa cuirasse noirâtre, bourré d'une chair qui ressemble à de la merde de bébé et qui en aurait le goût sans la vinaigrette dont on l'accompagne.

Moi, visage de bois, mutisme. La grande tactique. Le silence, je t'y dirai jamais suffisamment, fiston : y a que ça ! On te cherche des noises, on t'injurie, on veut te faisander, réagis, mais en silence. Les gens te font chier pour que tu leur dises des choses, la plupart du temps. En leur opposant le mépris du mutisme, comment tu les baises, mon pote ! Oh ! la la !

Il poursuit, l'apôtre :

— Vous travaillez pour les Américains, hein ?

Tiens, voilà qui commence à devenir intéressant.

— Ils m'ont filé quand je suis sorti de l'ambassade et ils veulent me piquer le secret sans lâcher un dollar, ces salauds !

« Bon, je vais vous le refiler, ce secret de merde. Seulement, ensuite, faudra nous foutre la paix ! On ne vous a rien fait, la gosse et moi ! Simplement on vous propose un marché. Bon, vous décidez de nous fliquer, O.K., on met les pouces n'étant pas de force ! »

Un temps, je regarde ailleurs. L'air perdu dans mes songes de la nuit. Tu sais que je dois être bougrement impressionnant commako. J'aurais jamais cru avoir l'air terrible. Il a foncé bille en tronche dans une brèche qu'il a cru apercevoir, Aubergenville. Probable que d'être ainsi mis sur la touche par une équipe efficace comprenant un Noir, ça l'a branché sur le côté ricain, l'horreur. Hier, il a voulu négocier la découverte et s'est rendu chez les Yankees. Ça lui saute aux yeux qu'ils veuillent le baiser en canard, ces malins !

Maintenant, il supplie :

— Bon, je vous le donne, le secret. Tout ce que je sais. Qu'est-ce que je peux faire de mieux ?

Je me tourne vers King-Kong, immobile, qui écoute de toutes ses oreilles grandes comme ses narines.

— Il y a un bloc sur la table à jeux, note ce que va dire ce type !

Jérémie lâche sa serviette et obéit. Sa chopine est moins sombre que le reste de son corps et se balance comme une trompe d'éléphant en promenade.

Il s'assoit devant la table de marqueterie où s'étale un jeu de brèmes qui devait servir de passe-temps à nos gredins.

— Voilà, je suis branché, annonce-t-il.

Aubergenville se met à parler en reniflant. Il a l'air d'un petit malfrat de grande banlieue surpeuplée, soudain.

…………………….
…………………….

Une voiture s'arrête rue de la Muette, devant l'immeuble habité par Régalo et Blanche-Fleur : une Renault 11 noire, passablement flétrie des ailes et des pare-chocs qui ont trop pare-choqué.

Un petit mec coiffé d'un bitos style incorruptible, désinvolte, la laisse en double file. Il se nomme Ben Wilby (ça tu l'as déjà pressenti) et il se sent plutôt jubilateur vu la célérité avec laquelle il a su trouver la trace du cave de l'ambassade. Une enquête au bar Le Mazagran, sur les Champs-Elysées. La photo du mec, sortie de sa poche, a porté ses fruits. Rien de plus marle que Ben Wilby. Personne comme lui pour tirer les vers des nez ! Sans en avoir l'air. Une gentillesse exquise, je dis. Pour un peu, quand tu ne sais rien, t'inventerais pour lui faire plaisir. Au bar, un loufiat l'a branché sur un consommateur qui devait connaître le gazier de la photo. A vrai dire, il le connaissait pas personnellement, mais il connaissait le cousin du beau-frère de la bicyclette à Jules. Toutes les bonnes opérations policières ou parapolicières en passent par ce genre d'individus, suivent ces mêmes ricochets. Géant comme foot ! Du délectable. L'homme qui avait vu l'homme qui avait vu l'homme qui avait vu l'os, l'a parachuté sur un énième. Bref, dans la soirée, il a abouti au précédent studio du couple, rue Magellan. Manque de bol, l'oiseau s'était tiré la veille.

Mais Ben Wilby, tu ne peux pas t'imaginer combien il est pugnace. Il a les crocs rentrés, comprends-tu ? Il voudrait lâcher sa proie, une fois qu'il y a planté les chaules dedans, il pourrait plus !

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6

Je pense pas que l'expression soit du bon français, mais alors là, si tu savais ce que j'en ai à cirer, t'enlèverais ton dentier pour rire plus large !

SANA