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— Ce que je crois, c'est qu'il travaille pour les gens qui détiennent le secret. Il doit être le grand organisateur des coups foireux. Par lui nous devrions remonter jusqu'à eux !

— Et ensuite ? demande le Ricain.

Il aime bien voir dans quoi il met les pieds, Céziguemuche, il sait que nos trottoirs parisiens sont jonchés de crottes de clébards.

— Vous aimez connaître l'avenir, l'ami ! ricané-je. Après ? Je vais vous dire, après. Vous usez de vos petites recettes de grand-mère pour faire jacter le gros. Vu l'état dans lequel vous l'avez déjà mis, je suppose que ça ne sera pas difficile. Une fois qu'il s'est allongé, on part à l'attaque. Je dispose de troupes d'élite pour lancer l'assaut et vous ne pouvez pas en dire autant vu que vous travaillez en solitaire. Si les faquins ayant programmé la mort de l'ambassadeur parlent, eh bien, nous serons deux à connaître ce putain de secret ! Ce ne sera pas dramatique, mister Wilby. Après tout, jusqu'à preuve du contraire, la France et l'Amérique sont alliées, non ? Et puis dites-vous que les secrets les plus secrets finissent toujours par être connus de tout le monde un jour.

Il sort une cigarette froissée de sa poche, la glisse entre ses lèvres minces, mais oublie de l'allumer.

* * *

Alors voilà on dégage de l'autostrada par la seconde bretelle. On tire sur la gauche ensuite. Je connais un aimable boqueteau où, voici quelques années, j'allais calcer des petites vendeuses leur jour de congé. J'espère que le bois n'a pas été goinfré par les promoteurs, ces salauds voraces qui te saccagent la planète pour confectionner de la résidence secondaire !

Y a un chemin cavalier qui y mène vu que c'est plein de manèges-à-moi-c'est-toi dans la région, où les gonzesses du seizième vont se martyriser les ovaires avec une bombe sur la tronche. Dieu soit loué : le boqueteau subsiste.

Et, biscotte la vase qui en jette à pleins seaux, nobody ne vient s'éclater dans le secteur, et puis d'ailleurs c'est pas l'heure, tu vois ! Ils pinent jamais le midi, j'ai remarqué. Quéquefois le morninge, au réveil, tentés par la bandaison matinale ; énormément l'aprème ; à poltron fait minette aussi ; mais midi, c'est un autre sacrement qui les tourmente : celui de la sainte bouffe !

Le gars Wilby enquille un sentier orniéreux qui déjà s'emboue. Nous voici sous les frondaisons dégoulinantes. Un brin de clairière pour les pique-niques d'été. Avec troncs d'arbres moisissants, bien moussus.

Un écureuil s'envole à tire-d'aile en nous voyant débouler. Comment ? Qu'est-ce que tu dis, Henri ? Ça n'a pas d'ailes, un écureuil ? Alors disons qu'il s'envole à tire-pattes, et me fais plus tarter, t'es mesquin.

Tout le monde descend. Le gros reste dans la semoule. Pas exactement : on voit qu'il est conscient, qu'il gamberge et, probablement, qu'il se rend compte de sa fâcheuse posture, seulement il n'y peut rien, sa volonté est enfoncée dans un tonneau de miel. Il a le caberluche en apesanteur.

Wilby ouvre les portes arrière de sa fourgonnette et nous y grimpons. J'émets un sifflement appréciateur en découvrant ses aménagements intérieurs. Les Ricains, c'est comme les Teutons, ce qu'ils ont toujours pour eux, c'est le matériel haut de gamme, perfectionné en plein. On sent, au premier regard sur cette espèce de labo mobile que rien n'est superflu et qu'avec tous ces éléments rassemblés, il doit prendre parfois des pieds géants, le rat musqué.

Il installe le gros dans un fauteuil pivotant. L'y fixe par les poignets et les chevilles. Pendant qu'il pratique, j'extirpe le porte-cartes du bonhomme pour faire plus amplement sa connaissance. Ses fafs d'identité m'apprennent qu'il se nomme Jean-François Morlon, négociant, 618, rue de la Pompe ; qu'il est né à Oran, Algérie, dix-neuf siècles et quelque chose après Jésus-Christ.

Je montre les papzingues à Wilby.

— Vous saviez à qui vous aviez affaire, Ben ?

— Non, avoue-t-il après un rapide regard à la carte.

Et maintenant, il ouvre une armoire à pharmacie dans laquelle des produits sont bien rangés et étiquetés. Il s'empare d'une seringue stérile, déjà emplie d'un liquide incolore.

— Avec ça, annonce Wilby, il nous racontera toute sa vie depuis sa première branlette.

Et lui, vachement dégagé des préoccupations prophylactiques, d'enfoncer l'aiguille dans le fion de M. Morlon à travers son bénouze et son slip.

* * *

Pour causer, il cause, le « négociant en meurtres ». Il est absolutely magique, le produit de Mister Ben !

Pas seulement qu'il jacte, le gros, le plus joyeux c'est qu'il parle sans même qu'on l'interroge. Un besoin éperdu de communiquer, tu vois ? Il te balance tout, depuis l'arrivée du Mayflower sur le continent américain. T'as juste à orienter son délire. Tu lui pilotes la bavasse comme on tient la barre d'un canot tomobile. « Et ça, m'sieur Morlon ? » « Oh ! oui, ça, c'est comme ça… Nani nanère. » Pour l'enregistreur (car mon nouvel allié est équipé en conséquence) c'est pas de la tartine ! II surchauffe, le pauvre biquet, comme le fignedé de la concierge honorée par Bérurier.

Au bout d'une demi-heure, nous sommes presque épuisés par tant de faconde, Wilby, moi et le magnéto.

Mais nous savons tout !

O

Mon ami, le peintre Arman, il te prend un violon normalement constitué et te le découpe en tranches minces comme des tagliatelles ; ensuite il colle les tranches sur une toile en laissant un espacement entre chaque morceau et ça te donne une œuvre d'art vraiment sublime, comme quoi un violon, c'est beau une fois pour toutes : entier ou débité en lamelles. Evidemment, le père Menuhin fait la gueule devant ce qu'il considère comme un sacrilège, et les mânes de Stradivanus exécutent des sauts périlleux dans leur tombe. Mais comment affirmer qui, de Menuhin ou d'Arman fait le meilleur emploi de l'instrument ? C'est affaire d'appréciation. De sensibilité.

C'est pourtant à Arman que je pense, ce soir-là en pénétrant aux Nuits Moscovites, un cabaret des Champs-Elysées pour touristes en goguette.

Ben Wilby m'accompagne. Parce que, dans cette taule, pour ce qui est du violon t'es servi !

Il a changé quelque peu d'accoutrement, le Ricain. Passé un costar de soie sauvage bleu, une limace blanche, mais comme cravate, un nœud pap' à pois, tu mords le style ? Et, bien of course, il a conservé son cher bitos. Je ne sais pas ce qu'ils ont, certains, exemple Béru, Pinuche, Ben Wilby à tellement tenir à leur couvre-chef, pis que le roi d'Espagne à sa couronne (qu'il ne met jamais pour jouer au tennis ou faire du yachtinge, j'ai remarqué). On jurerait que, pour ces hommes-là, le chapeau constitue un attribut essentiel à leurs fonctions.

Or, donc, Ben et moi, déboulons aux Nuits Moscovites, tout enfanfreluché : velours bleu, dorures, lourds rideaux, toiles de maîtres (ou plutôt de contremaîtres) représentant les fastes de la vieille Russie tsariste dans des cadres moulurés et dorés à la feuille d'automne. Y a des portraits de Catherine la Grande en train de caresser la braguette de son grand chambellan, le comte Harbourg (vieille noblesse allemande, tu parles : Chleue d'origine comme elle était) ; de Pierre le Grand se faisant tailler une pipe par Catherine, son épouse ; de Staline, revêtu du manteau de vermine qu'il portait le jour de son sacre et tenant un spectre à la main. Bref, tout ça est opulent, du moins de l'opulence telle que la conçoivent un marchand de pétrole texan ou un directeur d'usine de Düsseldorf.

Ben laisse à regret son couvre-chef au vestiaire, vu que la préposée le lui arrache de haute lutte.

Un maître d'hôtel se pointe, saboulé pingouin de cérémonie, nous drive à une table élevée, car la salle est disposée en gradins et comprend trois niveaux. C'est messire Bibi qui a demandé, talbin dans le creux de la main à l'appui, d'occuper une position chère à Napoléon Pommier : la position dominante.