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Prendre langue ! Le mec qu'a inventé ça devait être facétieux !

Avant de la suivre au salon, je passe vérifier l'état de la serrure. A vrai dire, il y en a deux, dites de sécurité. Aucune trace d'effraction.

Une fois dans le salon, nous allons nous installer devant la cheminée de marbre blanc. Deux élégants canapés sont disposés face à face, perpendiculairement à l'âtre, séparés par une table basse en plexiglas.

On se place part et d'autre. Je croise mes jambes sans trop meurtrir les plis de mon futal. Alicia en fait autant, mais comme elle, est en robe du soir, le gracieux mouvement est négatif pour l'homme aux aguets qu'I am. Circulez, y a rien à voir !

Je lui virgule un léger sourire qui se voudrait gêné.

— Bon, écoutez, mademoiselle Surcouff, vous vous doutez bien que les questions indiscrètes sont incontournables.

— Allez-y, je suis prête !

Je tire mon sacré calepin à couvrante de moleskine, on n'en trouve pratiquement plus dans le commerce, des commak. M'man en a un stock qui lui vient de papa, lequel adorait faire des réserves. Il accumulait les trucs les plus insensés, mon vieux : des grosses et des grosses de crayons papier, des caisses de trombones de toutes les tailles, des cornes à chaussures, des crochets « X », des savonnettes Gibbs, des brosses à dents, que sais-je encore ? Il avait un côté écureuil, mon dabe. Des marottes lui venaient brusquement. Un besoin de se prémunir contre les vacheries futures de l'existence. II se disait un jour, par exemple, que le temps des calepins allait disparaître et cette perspective lui paraissait intolérable. Alors il fonçait dans une grande papeterie et achetait tout son stock de calepins.

Dommage qu'il ait disparu si tôt, p'pa. On aurait sûrement eu des choses à se dire ; des connivences somptueuses à établir entre nous, les deux.

L'actrice reste très calme, un peu rassurée par les dispositions prises à propos du corps. On va lui empaqueter Son Excellence et l'embarquer à la morgue, daredare ; ensuite, ne restera plus que du ménage à faire.

— Parlez-moi de votre liaison avec l'ambassadeur, mademoiselle. Où, quand, comment ? Tout, quoi !

Elle opine. C'est assez son genre !

— Nous nous sommes rencontrés à la première de mon film Un Coup de Pied dans le Cube. Je ne sais qui l'avait invité, probablement le producteur qui est levantin lui aussi. Ma prestation avait dû l'impressionner car, d'emblée, il s'est fait pressant et m'a harcelée pendant la réception ayant succédé à la projection.

« C'est… Pardon, c'était un homme plutôt laid, plus très jeune, mais qui possédait un charme fou. J'ai accepté un rendez-vous et suis devenue sa maîtresse rapidement. Au lit, c'était un amant éblouissant. »

— La chose remonte à quand ?

— Nous sommes en juin… C'était fin janvier, début février.

— Vous vous rencontriez souvent ?

— Plusieurs fois par semaine, disons trois ou quatre, selon nos emplois du temps respectifs.

— Toujours la nuit ?

— Oh ! non, au contraire. Tabîtâ avait des mondanités presque chaque soir. On se rencontrait beaucoup le matin, voire dans l'après-midi.

— II possédait les clés de l'appartement ?

— Oui, car dans mon métier je ne puis être exacte à mes rendez-vous.

— Ce soir, sa visite était exceptionnelle ?

— Oui, en ce sens qu'il disposait de toute sa nuit. Malheureusement, j'étais prise par la « Nuit des Gaston » où, peut-être l'ignorez-vous, j'ai obtenu le prix de la meilleure interprète féminine.

— Toutes mes félicitations, mademoiselle, je n'ai pas écouté les informations, ce matin.

— Nous étions convenus, Tabîtâ et moi, qu'il se coucherait et dormirait en m'attendant. Je suis rentrée il était plus de 4 heures. Et je l'ai trouvé…

Elle porte la main à ses yeux, sans chiqué, pour conjurer l'horrible vision.

— Et alors, qu'avez-vous fait ?

— Mon mouvement de panique surmonté, j'ai décidé d'appeler la police, naturellement. Mais, compte tenu de la personnalité de la victime, il m'a semblé opportun de ne pas appeler Police-Secours.

Dis, elle a du sang-froid, la mère ! La tronche sur ses jolies épaules !

— Qu'avez-vous fait ?

— J'ai réveillé mon ami Léo Pauldine, le sous-secrétaire d'Etat à la Para-Culture pour lui signaler ce qui m'arrivait. Nous étions au cours Jacob ensemble, il y a quelques années, c'est un type épatant. II m'a dit qu'il allait faire le nécessaire en prévenant les hautes autorités policières.

Je pige la raison pour laquelle Achille a été affranchi de si bonne heure. C'est à lui que Léo Pauldine a téléphoné. Le Vieux a prévenu le procureur de la République directement, puis le commissaire du quartier et m'a branché ensuite.

Sage comportement qui évitera peut-être que l'affaire ne fasse de trop hautes vagues.

— Quelqu'un d'autre que l'ambassadeur possède les clés de votre appartement ?

— La femme de ménage.

— Vous voulez bien me fournir ses coordonnées ?

— Bien sûr, mais vous savez, c'est une brave Portugaise que j'ai à mon service depuis cinq ans et qui n'a jamais dérobé une épingle !

— Elle vient souvent ?

— Tous les après-midi, excepté le week-end.

Alicia Surcouff me donne le nom et l'adresse de sa Maria (elles se prénomment toutes Maria, les Portugaises). Elle, c'est Maria-José de Herredia ; domiciliée 8, Impasse des Ternes.

— Elle est mariée ?

— Oui. Son mari est camionneur. Ils ont un fils qui prépare son bac, c'est paraît-il un sujet brillant.

— Revenons à ce soir, mademoiselle Surcouff. Votre ami a été torturé et tué alors qu'il se trouvait en pyjama. II a donc été cueilli au lit par surprise. Ce qui nous amène à conclure que ses meurtriers possédaient les clés.

— Comment se les seraient-ils procurées ?

— A nous de l'établir. Serait-il concevable qu'ils eussent sonné et que l'ambassadeur soit allé ouvrir en croyant qu'il s'agissait de vous ?

— Sûrement pas ! riposte vivement l'actrice.

— D'où vous vient cette belle certitude ?

— J'ai téléphoné à Tabîtâ dans la soirée, vers onze heures environ. Il regardait la télé et venait de voir que j'avais obtenu le prix, il était fou de joie. Je lui ai dit que j'allais devoir fêter ça avec les gens de la profession, ce qu'il a parfaitement compris, et je lui ai demandé d'aller dormir en m'attendant. Je lui ai précisé que j'avais mes clés et que je le réveillerais par une délicatesse dont il raffolait.

Pas bégueule, la star ! Elle annonce la couleur. Je m'imagine de quelle délicatesse il est question et ça me met de l'émoi dans le composteur. Tu la vois, roulée grand luxe, avec des lèvres charnues et un regard qui promet tout, tu t'inscrirais d'autor sur sa liste d'attente, mam'zelle, afin qu'elle t'opère un jour la grande sortie du Petit Chose !

— Donc, on peut formellement conclure que les assassins avaient les clés de votre appartement.

Elle sursaute :

— Il va falloir que je change les serrures ! Je n'y avais pas encore pensé.

— Je ne saurais trop vous le conseiller. Quel genre d'homme était-ce, cet ambassadeur, en dehors de ses performances amoureuses ?

— Un être exquis, d'une grande douceur, intelligent, généreux.

— Vous aurait-il parlé d'éventuels ennemis ?

— Oh ! non, bien au contraire, il intervenait dans les litiges. C'était une espèce de sage dont on sollicitait l'intervention pour le règlement des problèmes délicats.

— Et sa vie de famille ?

— Je crois savoir que son épouse est du genre terne-résigné ; c'est une femme maladive sans éclat ni conversation qu'il montre le moins possible.