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Geary sentit qu’il haussait les sourcils de surprise. « Ça fait bien du monde pour surveiller tout cet espace désert. Y aurait-il eu des problèmes ? » Il avait appris très tôt, alors qu’il n’était encore qu’aspirant, qu’on pouvait compter sur les matelots pour trouver des compartiments où se planquer discrètement pour s’adonner à toutes sortes d’activités interdites par le règlement. Sur la plupart des bâtiments, de tels refuges étaient déjà pratiquement introuvables, mais ils abondaient sur l’Invulnérable.

Le major Dietz et l’amiral Lagemann échangèrent un regard. « Pas avec des gars qui se seraient égaillés de leur propre chef, en tout cas, expliqua l’amiral. Du moins après les quelques premiers jours.

— Pourquoi pas ? Même si on ne cherche pas à ne pas se faire prendre la main la main dans le sac, on devrait avoir envie d’explorer, me semble-t-il.

— Pas ce vaisseau, lâcha le major. Ils sont partout. Dans les coursives.

— Qui ça ? s’enquit Geary, tandis qu’un léger frisson lui remontait l’échine.

— Les Bofs, répondit Lagemann. Je ne me crois pas particulièrement sensible ni superstitieux, mais je sens leur présence. Ils sont morts par milliers à bord de ce cuirassé et, quand on sort de ce secteur pour s’aventurer dans le bâtiment, on les sent grouiller tout autour de soi. Ils savent qu’on leur a volé leur vaisseau et ça ne leur plaît pas. »

Le major Dietz opina. « Je me suis déjà trouvé dans une installation abandonnée par l’ennemi, de celles où l’on a constamment l’impression qu’il pourrait revenir à tout moment vraiment très fâché de vous y découvrir. Ça flanque la chair de poule. Mais ce vaisseau est bien pire. Nous avons envoyé des patrouilles fortes d’une escouade parce que c’est le plus petit groupe qui peut s’empêcher de paniquer là-dedans. Pendant un temps, nous avions essayé avec une équipe restreinte. Une paire de fusiliers. Ils finissaient toujours par revenir au pas de course dans la zone occupée, en mitraillant au hasard, avant de nous abreuver de récits de centaines de Bofs vivants qui se trouveraient encore à bord. Ce genre de trucs.

— Était-ce plus grave dans l’espace du saut ? demanda Geary.

— Maintenant que vous en parlez, oui, amiral. Mais même ici, dans l’espace conventionnel, ça flanque les jetons. Personne ne part en vrille sans une bonne raison. Pas deux fois de suite.

— Bizarre. Nous allons ramener ce supercuirassé chez nous et laisser les scientifiques et les techniciens s’en disputer le contrôle et celui des Bofs restés à son bord.

— Nous avons émis l’hypothèse qu’il pourrait s’agir d’une sorte d’effet induit par une partie de leur matériel qui fonctionnerait encore, on ne sait pas trop comment, laissa tomber l’amiral Lagemann. Comme un sifflet suraigu qui perturberait un chien et mettrait les nerfs humains en pelote, à la manière d’ongles virtuels crissant sur un tableau noir imaginaire. À moins que nous ayons affaire à des fantômes. Que je sois pendu si je le sais !

— Assurez-vous de consigner vos spéculations sur le matériel des Bofs dans votre rapport quand vous quitterez l’Invulnérable, ordonna Geary. Ne pourrait-il pas s’agir d’une espèce de moyen de défense de dernier recours ? Que les Bofs auraient activé pour rendre intenable l’occupation de leur vaisseau ? »

Dietz et Lagemann échangèrent cette fois des regards intrigués. « Ce n’est pas non plus exclu, déclara le second. Mais, dans la mesure où nous y voyons une certaine logique, ça pourrait bien ne pas être la vraie raison.

— Je comprends », fit Geary en songeant à ce qu’il avait déjà pu voir de la technologie de ces extraterrestres. Nombre de leurs équipements reposaient sur des principes complètement étrangers aux conventions et conceptions humaines. « Où devrais-je poursuivre ma visite ? »

Lagemann pointa le sas provisoire de l’index. « Derrière ça.

— Vous voulez rire ? J’ajoute foi à vos histoires de fantômes. Ou, tout du moins, à l’existence de quelque chose de très perturbant.

— Il ne s’agit pas de ça, mais d’un truc que les fusiliers ont découvert pendant leurs heures de loisir. »

Une demi-douzaine d’autres soldats s’étaient joints à eux, tous revêtus de leur cuirasse de combat intégrale. Les soupçons persistants que nourrissait Geary quant à la possibilité que Lagemann et Dietz se soient payé sa tête s’évanouirent dès qu’il observa avec quelle circonspection les fusiliers s’introduisaient dans les secteurs inhabités de l’Invulnérable.

Des alertes clignotèrent sur l’écran de visière de sa combinaison de survie dès qu’il s’engagea derrière eux dans la coursive. Atmosphère toxique. Température permettant tout juste la survie. Ces seuls facteurs auraient suffi à décourager d’éventuels explorateurs parmi l’équipage humain de la prise de guerre.

Mais il éprouvait une autre sensation, que n’enregistraient pas les senseurs de sa combinaison. L’impression que quelque chose le suivait de très près, prêt à bondir. De formes se déplaçant à la lisière de son champ de vision. D’ombres qui, engendrées par les lampes de leurs combinaisons, tressautaient comme elles ne l’auraient pas dû.

Et cette conscience d’un environnement hostile ne cessait de grandir à chaque pas, à mesure qu’il s’éloignait du secteur occupé par des hommes.

L’amiral Lagemann prit la parole en s’efforçant de s’exprimer avec nonchalance, mais sa voix, qui parvenait à Geary par le canal de com ouvert entre leurs combinaisons, donnait un peu trop l’impression de contrefaire cette désinvolture. « Nous avons eu le temps d’y réfléchir, le major Dietz et moi-même, et voici ce que nous croyons. Nous nous trouvons derrière une formidable couche de blindage et nous sommes en outre accouplés aux quatre cuirassés qui le halent. Par-delà avance une flotte impressionnante encore qu’endommagée. Or l’Invulnérable, premier artefact extraterrestre contrôlé par des hommes, artefact incroyablement énorme qui plus est, bourré jusqu’à la gueule de technologie non humaine, est sans doute l’objet le plus précieux qu’ait détenu l’humanité dans toute son histoire. Quiconque l’apercevra ou aura connaissance de son existence cherchera à s’en emparer ou, tout du moins, à le détruire pour nous interdire d’en apprendre plus long sur lui.

— Je ne peux guère vous contredire jusque-là, admit Geary.

— Corrigez-moi si je me trompe, mais nos chances de rencontrer en cours de route une force capable de détruire la flotte et d’arraisonner l’Invulnérable sont voisines de zéro.

— Exact, là encore. Les chantiers navals syndics ont probablement continué à tourner au mieux de leurs capacités, de sorte qu’ils pourraient encore nous surprendre, mais, même s’ils s’y risquaient, notre supériorité numérique serait écrasante.

— Donc, poursuivit Lagemann, comment pourrait-on s’y prendre pour nous attaquer et s’emparer de l’Invulnérable ? »

Geary marquant une pause pour réfléchir, ce fut le major Dietz qui fournit la réponse : « Une équipe d’abordage.

— Une équipe d’abordage ? répéta Geary. Comment ça ?

— Avec un nombre suffisant de combinaisons furtives, on pourrait infiltrer une troupe à bord, expliqua Dietz. Nous frapper pendant le transit d’un système à un autre.

— Chacun sait où nous nous rendons, fit observer Lagemann. On pourrait poster des navettes furtives sur notre trajet entre un portail de l’hypernet et un point de saut et nous harponner au passage.

— Ils n’en auraient guère l’occasion entre ici et Varandal… » Geary s’interrompit net, un souvenir venant de lui revenir. « Le CECH Boyens nous a clairement fait comprendre qu’on sèmerait sur notre route des obstacles qui compliqueraient notre retour.